I) La loi de 2002 : ses objectifs, son bilan
1.1 objectifs de la loi de 2002
La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a consacré la résidence alternée (ou garde partagée) dans le code civil. Les travaux préparatoires montrent que la volonté du législateur était d'accorder la priorité à ce mode de résidence de l'enfant. Ainsi, le rapport de la commission des Lois de l’Assemblée nationale manifeste le souhait « qu'en cas de désaccord des parents sur la résidence de l'enfant, la priorité soit donnée à la formule de la garde alternée » (rapport n° 3117 de M. Marc DOLEZ, en date du 7 juin 2001).
1.2 bilan de la loi de 2002
Pourtant, près de 20 ans après le vote de cette loi, de nombreux magistrats sont réticents à accorder la résidence alternée en cas d’opposition de l’autre parent, de sorte que seuls 12 % des enfants de parents séparés ses trouvent en résidence alternée d’après l’INSEE, alors que ce chiffre atteint, par exemple, 40 % chez nos voisins belges.
II) L'intérêt de l'enfant à l'épreuve de l'aléa judiciaire ?
Lorsqu'il statue sur la résidence de l'enfant, le juge aux affaires familiales (JAF) évalue l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette notion, non définie par les textes, est laissée à l'entière appréciation des juges aux affaires familiales (JAF).
Une récente étude publiée par l'éditeur juridique DALLOZ, réalisée après une enquête auprès des juges (AJ Famille, juillet 2021, Bruno Lehnisch), souligne que les jugements en matière de résidence alternée dépendent grandement de la sensibilité des juges à cette question, ce qui explique sans doute la diversité des points de vues sur ce sujet. Ainsi, certains JAF y sont plutôt favorables, tandis que d’autres y sont opposés, ce qui nourrit chez les justiciables la crainte légitime d’un aléa judiciaire.
Or, dans un arrêt rendu le 1er juillet 2021, la cour d’appel de Paris, infirmant l’ordonnance de première instance, vient de juger que « la mise en place d’une résidence en alternance peut être tout à fait bénéfique pour l’enfant en lui permettant de développer avec chacun de ses parents de réelles relations et de continuer à se construire de la manière la plus équilibrée possible, en se nourrissant des apports spécifiques transmis par son père et par sa mère » (CA de Paris, Pôle 3 - Chambre 3, 1er juillet 2021, n° 20/12170 (arrêt joint dans le présent article).
III) Faut-il modifier la loi pour unifier la jurisprudence ?
Nombreux sont les parlementaires qui souhaitent une modification de la loi française quant aux modalités de fixation de résidence de l’enfant afin d’unifier la jurisprudence sur cette question et de réduire l’aléa judiciaire, contraire au principe d’ordre public d’égalité devant la loi. Chacun a en effet le droit d’être jugé de la même manière, quel que soit son lieu de résidence.
Il ne s’agirait pas d’imposer au juge de se prononcer sur une solution unique, mais de faire en sorte que tous les JAF de France examinent, prioritairement à la demande d’un parent, une possibilité de temps parental équilibré, en dehors naturellement des cas avérés de violences physique, psychologique ou d’emprise d’un parent sur l’autre parent ou sur l’enfant.
Cette priorité pourrait se traduire par la création, comme en Belgique, d’un régime de présomption légale, de la même façon qu’il est présumé conforme à l’intérêt de l’enfant d’entretenir des relations personnelles avec ses grands-parents (art 371-4 du Code civil).
IV) La nécessité de recourir préalablement aux modes amiables
En cas de désaccord entre les parents sur la garde partagée, les modes amiables sont naturellement à privilégier afin d’apaiser les tensions entre les parents, seule solution pour mettre l’enfant à l’abri du conflit. En effet, celui-ci peut avoir de grandes répercussions sur son équilibre et sa construction future. Il appartient aux acteurs du monde judiciaire d’épauler et d’accompagner les parents dans leur cheminement avec une optique prioritaire de pacifier leurs rapports dans l’intérêt de tous. Outre l’écoute et l’empathie qui doivent prévaloir dans les matières familiales, avocats et magistrats doivent faire œuvre de pédagogie pour expliquer les bienfaits des modes amiables de règlement des différends et toutes les techniques pour apaiser les litiges. Cette obligation est prévue dans le code de déontologie des avocats, et le pouvoir de concilier les parties est offert au juge en application de l’article 21 du Code de procédure civile.
En écoutant les besoins des deux parents, de l’enfant, les contraintes de chacun, ses préférences, par la voie amiable, on peut bâtir des solutions souples et innovantes qui satisferont tout le monde.
Par exemple, si l'un des parents est effrayé par la mise en place d'une résidence alternée, un système transitoire et progressif peut être prévu avec un droit de visite élargi au milieu de semaine qui s’étendra jour après jour sur plusieurs semaines en accord avec le rythme et les besoins de l’enfant jusqu’à parvenir à une semaine sur deux (ou au rythme final envisagé).
La voie amiable permet de choisir ensemble, dans le cadre d’un véritable « travail d’équipe » (les deux avocats et les deux clients), des formules "sur mesure" en fonction de l’âge de l’enfant, de l’éloignement géographique, de la scolarisation, des activités de l’enfant, du rythme de travail des parents, de la sensibilité de chacun, de la composition de la fratrie, des conditions de vie, de remariage ou de concubinage, de l’aide familiale, de la proximité des grands-parents...
Chaque famille est unique alors chaque solution l’est aussi. La voie amiable permet de choisir comment rebâtir son univers familial et nonde se le voir imposer par une décision judiciaire.
Mais lorsque le conflit judiciaire n’a malheureusement pas pu être évité, la décision judiciaire peut être assortie d’une mesure de médiation familiale post-sententielle afin de recréer les conditions d'une communication sereine et intelligente entre les parents.
Du dialogue restauré naissent de meilleures conditions de vie pour tous, parents comme enfants.