Justification d'une discrimination directe et exercice du pouvoir de direction

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Justification d'une discrimination directe et exercice du pouvoir de direction

« Mais attendu qu'ayant rappelé qu'en vertu de l'article L. 1132-1 du Code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son sexe ou de son apparence physique, la cour d'appel a relevé que le licenciement avait été prononcé au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes", ce dont il résultait qu'il avait pour cause l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe ; qu'ayant constaté que l'employeur ne justifiait pas sa décision de lui imposer d'enlever ses boucles d'oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, elle a pu en déduire que le licenciement reposait sur un motif discriminatoire ; que le moyen, inopérant en ce qu'il se fonde sur l'article L. 1121-1 du Code du travail dont la cour d'appel n'a pas fait application, n'est pas fondé ; »

Les Pays-Bas peuvent s'enorgueillir de La jeune à la perle, la France a son serveur aux boucles d'oreilles depuis un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 11 janvier 2012.

Un chef de rang d'un restaurant est licencié pour avoir refusé pendant le service, d'ôter les boucles d'oreille qu'il porte depuis un peu plus d'un mois. Saisis de la licéité de son licenciement, les juges du fond déclarent le licenciement nul.

L'employeur se pourvoit en cassation en contestant la qualification de discrimination, puisque les contraintes vestimentaires imposées au salarié sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. L'employeur met en avant la notoriété de son restaurant et le contact du serveur avec la clientèle, le port de boucles d'oreilles pendant la durée du service étant incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail. Selon le pourvoi, la cour d'appel a violé ensemble les dispositions des articles L. 1121-1 et L. 1132-1 du Code du travail.

La Haute juridiction rejette le pourvoi en motivant uniquement sur le terrain des discriminations en raison du sexe et de l'apparence physique au sens de l'article L. 1132-1 du Code du travail. La Cour se concentre sur la motivation de la lettre de licenciement qui affirme que « votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes ». Le licenciement avait, selon la Cour, pour cause l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe. Ayant constaté que l'employeur ne justifiait pas sa décision de lui imposer d'enlever ses boucles d'oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a pu en déduire que le licenciement reposait sur un motif discriminatoire. Selon la Haute juridiction, le moyen, inopérant en ce qu'il se fonde sur l'article L. 1121-1 du Code du travail dont la cour d'appel n'a pas fait application, n'est pas fondé.

Deux éléments retiennent ici l'attention : la façon dont la Cour de cassation permet à l'employeur de combattre l'apparence d'une discrimination directe et le cantonnement de la discussion sur le seul champ de la discrimination. La solution se distingue bien des seules contraintes vestimentaires imposées aux salariés, en dehors de toute discrimination. Dès lors qu'un motif illicite de discrimination est en jeu, c'est sur ce seul terrain qu'il convient de rester.

I. - La possibilité pour l'employeur de combattre l'apparence d'une discrimination directe


La Cour de cassation fait une analyse croisée de deux motifs discriminatoires ou pour être plus précis, met l'accent sur l'apparence physique « rapportée à son sexe ». On imagine que le motif de l'orientation sexuelle n'est pas loin. Il s'agit aussi d'un cas de discrimination directe. La qualification de la discrimination n'est pas explicite. Il n'est pas précisé en quoi ce salarié est traité « de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable »(1).

La Cour de cassation confirme l'argumentation de la cour d'appel en ce qu'elle déduit le caractère discriminatoire du licenciement de l'absence d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il était question de la régularité du licenciement. En principe, seuls les motifs de la lettre de notification doivent justifier le licenciement. Or, ici n'apparaissent que les motifs discriminatoires. On peut s'étonner que la cour d'appel ait ouvert le débat de la justification par l'employeur à des éléments extérieurs à la lettre de licenciement mis en avant par l'employeur (extraits de guides gastronomiques, attestations de clients), même si elle en rejette la pertinence. La justification de la décision de l'employeur doit passer par les motifs qui justifient le licenciement.

En constatant que l'employeur n'a pas justifié sa décision par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la Chambre sociale applique la règle de partage du fardeau de la preuve prévue à l'article L. 1134-1, alinéa 2, du Code du travail. Il appartient à l'employeur de combattre l'apparence de discrimination. Il aurait été utile que la Cour de cassation se réfère explicitement à cette disposition, afin d'éviter toute confusion. On serait tenté de déduire de l'arrêt que la Chambre sociale admet la justification d'une discrimination directe(2). Le Code du travail ouvre cette faculté de façon limitative. Les motifs de l'âge ou de l'inaptitude donnent lieu à des justifications spécifiques prévues par le législateur(3). La loi permet d'adopter des mesures temporaires visant à établir l'égalité professionnelle entre les sexes(4). Le Code du travail ouvre enfin la possibilité de justifier la discrimination directe ou indirecte par une exigence professionnelle essentielle et déterminante(5). En dehors de ces dispositifs qui ne sont pas mobilisés dans la présente décision, on ne trouve pas le fondement d'une justification possible d'une discrimination directe(6). Il ne faut pas que la question de la répartition de la charge de la preuve se confonde avec celle de la justification d'une discrimination.

II. - Le cantonnement de la discussion sur le seul champ de la discrimination


La défense de l'employeur oriente le débat vers celui de la justification du pouvoir de direction sur le fondement de l'article L. 1121-1 du Code du travail. Dès lors que l'employeur exerce simplement son pouvoir de direction dans les conditions légales, il n'y a plus place pour une discrimination. L'employeur met en avant le contact avec la clientèle ou la notoriété de son établissement. L'atteinte à la liberté vestimentaire, celle-ci n'appartenant pas à la catégorie des libertés fondamentales, peut se justifier dans le cadre du pouvoir de direction de l'employeur(7). La jurisprudence est sensible au contact du salarié avec la clientèle(8). Il y aurait donc, si l'on suit l'employeur, un ordre de priorité entre deux sources possibles de justifications, celle de l'article L. 1121-1 qui autorise sous certaines conditions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et celle des articles L. 1131-1 et suivants du Code, consacrés aux discriminations. La question n'est pas sans rappeler les contentieux sur le port des signes religieux au travail. Lorsqu'il est question du foulard islamique, les cours d'appel sont divisées. Certaines font prévaloir la neutralité du lieu ouvert au public(9), tandis que d'autres ramènent la question sur le terrain de la discrimination(10). Les deux domaines peuvent être liés dans la mesure où la neutralité peut venir justifier une discrimination(11).

Le pouvoir de direction de l'employeur n'échappe pas au champ de la lutte contre les discriminations. La Cour de cassation n'examine pas le pourvoi au regard de l'article L. 1121-1 du Code, la Cour d'appel n'en ayant pas fait application. Dans tous les cas, l'article L. 1132-1 suffit. Certes, l'employeur peut apporter des restrictions à la liberté de se vêtir des salariés. Mais il ne doit pas le faire pour un motif discriminatoire illicite. Le caractère d'ordre public absolu des discriminations est ainsi confirmé(12). Dans l'arrêt du 11 janvier 2012, il est question de l'apparence physique rapportée au sexe du salarié. La solution est facilitée par la présence du genre. La discussion sera sans doute plus ouverte dès lors qu'il sera en jeu seulement l'apparence physique.

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