La mise à la retraite fondée sur l'âge des salariés « à statut spécial » impossible ?

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La mise à la retraite fondée sur l'âge des salariés « à statut spécial » impossible ?

Soc. 4 avril 2012, n° 11-10.706

 

« Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a constaté que l'employeur avait manqué à son obligation de reclassement dans un emploi au sol ;

Attendu, ensuite, qu'après avoir constaté que le licenciement ne reposait que sur le fait que le salarié avait atteint l'âge de 60 ans, la cour d'appel, qui a retenu que celui-ci était nul, a fait une exacte application des dispositions combinées des articles L. 421-9 du code de l'aviation civile et de l'article L. 1132-4 du Code du travail ; »

La Chambre sociale de la Cour de cassation s'est prononcée le 4 avril dernier sur la mise à la retraite d'un pilote de ligne en application de l'article L. 429-1 du Code l'aviation civile selon lequel « le personnel navigant de l'aéronautique civile [...] ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de soixante ans [...]. Le personnel navigant [...] peut de droit et à tout moment, à partir de soixante ans, demander à bénéficier d'un reclassement dans un emploi au sol. Lorsqu'il ne demande pas à poursuivre son activité de navigant ou atteint l'âge de soixante-cinq ans, le contrat n'est pas rompu de ce seul fait, sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus de l'intéressé d'accepter l'emploi qui lui est proposé ».

Les faits de l'espèce sont simples : un pilote de ligne de la société Régionale compagnie aérienne européenne atteignant l'âge de 60 ans se voit, par deux fois, proposer un « reclassement au sol » entraînant une « une forte diminution de rémunération ». Il refuse ces propositions et est licencié en « en application des dispositions de l'article L. 421-9 du Code de l'aviation civile pour atteinte de la limite d'âge de 60 ans et en raison du refus des postes proposés au reclassement ». Le salarié conteste cette mesure. Les juges du fond considèrent que le licenciement est nul et condamnent l'employeur à payer certaines sommes à titre de complément d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts.

La compagnie aérienne se pourvoit en cassation au motif que l'étendue de l'obligation de reclassement de l'article L. 421-9 du Code de l'aviation civile ne peut être appréciée plus strictement qu'en cas de licenciement pour inaptitude physique ou pour motif économique, que le pilote de ligne ne saurait tirer de son droit d'être reclassé au sol un droit au maintien de sa rémunération de pilote de ligne et qu'en l'absence de disposition expresse en ce sens, la nullité du licenciement ne se présumant pas, le non-respect par l'employeur de son obligation de reclassement ne pouvait avoir pour effet d'entraîner la nullité de la rupture du contrat de travail mais seulement de priver celle-ci de cause réelle et sérieuse.

La Cour rejette le pourvoi et précise que la cour d'appel, qui a retenu que le licenciement était nul, a fait une exacte application des dispositions combinées des articles L. 421-9 du Code de l'aviation civile et de l'article L. 1132-4 du Code du travail. Le salarié ne demandant pas sa réintégration, la nullité de la rupture du contrat de travail a exactement été compensée par des dommages et intérêts.

La question de la mise à la retraite « d'office » des salariés auxquels s'applique un « statut spécial » n'est pas nouvelle et, concernant spécifiquement le personnel navigant, la Chambre sociale a déjà eu l'occasion de se prononcer, notamment en 2004 et d'affirmer que le non-respect de l'obligation de reclassement prévue par le Code de l'aviation civile ouvrait droit pour le salarié, non seulement aux indemnités de mise à la retraite, mais également à une « indemnité de licenciement pour motif économique ». La Chambre sociale considérait alors que, lorsque les règles relatives au reclassement n'avaient pas été respectées, la mise à la retraite devait s'analyser en un licenciement pour motif économique et accordait les indemnités liées à ce type de licenciement en application du Code du travail qui prévoit que si les conditions de mise à la retraite ne sont pas réunies, la rupture du contrat de travail par l'employeur constitue un licenciement. Ainsi, lorsque l'employeur n'avait pas respecté les dispositions du Code de l'aviation civile relatives au reclassement, la rupture ne pouvait s'analyser qu'en un licenciement pour motif économique.

Dans l'arrêt du 4 avril 2012, la Cour ne se prononce pas sur le motif du licenciement. Elle affirme, après avoir dit que les juges du fond, dans leur appréciation souveraine des faits, avaient pu considérer que l'employeur avait manqué à son obligation de reclassement, qu'il s'agit d'un licenciement nul sur le fondement de l'article L. 1132-4 du Code du travail. L'arrêt ne se situe plus sur le terrain de la « requalification de la rupture », mais sur celui de la nullité d'un acte en raison d'une discrimination fondée sur l'âge.

Certes, dans une affaire de 2010, la Chambre sociale avait déjà cassé un arrêt d'une cour d'appel qui avait débouté un pilote de ligne de sa demande d'annulation de son licenciement motivée par la limite d'âge et l'impossibilité de reclassement, mais la Cour de cassation avait alors rendu sa décision au visa de l'article 6 paragraphe 1 de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, article permettant une dérogation à une discrimination du fait de l'âge pour un objectif légitime de politique de l'emploi. Dans l'arrêt du 4 avril 2012, il n'est aucunement fait référence aux dispositions communautaires.

En outre, le Code du travail interdit, depuis 1987, les « clauses guillotines » dans les conventions collectives ou les contrats de travail. La rupture du contrat de travail ne peut plus depuis cette époque être fondée sur l'âge du salarié. Toutefois, les « statuts » actes administratifs réglementaires de certaines entreprises peuvent encore contenir de telles clauses. Ces statuts sont alors applicables puisque la Cour de cassation considère que lorsque le Code du travail exclut l'application de ses dispositions (de façon explicite ou non) aux salariés des entreprises publiques à statut, les dispositions de ce Code ne leur sont pas applicables. À propos des clauses contenues dans les statuts, la Cour de cassation avait également précisé que « des dispositions réglementaires autorisant, à certaines conditions, la mise à la retraite d'un salarié à un âge donné peuvent ne pas constituer, par elles-mêmes, une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du Code du travail, lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime, notamment de politique de l'emploi, et lorsque les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires [mais] qu'il ne résulte pas de ce dispositif que la décision de l'employeur de faire usage de la faculté de mettre à la retraite un salarié déterminé [en raison de son âge] est nécessairement dépourvue de caractère discriminatoire ».

Dès lors, au vu de la jurisprudence antérieure, deux arguments peuvent peut-être permettre d'affirmer que la mise à la retraite fondée sur le seul critère de l'âge est, par cet arrêt du 4 avril 2012, désormais impossible.

D'une part, en ce qui concerne les pilotes de ligne, ce n'est pas un « statut acte administratif réglementaire » qui est applicable, mais une disposition législative du Code l'aviation civile. Or s'il est permis qu'une disposition réglementaire autorise, à certaines conditions, la mise à la retraite d'un salarié à un âge donné, cela ne concerne pas les dispositions législatives qui peuvent a priori déroger au dispositif général et, en tout état de cause, les directives européennes et la CJUE ne distinguent pas selon la nature des dispositions en cause (loi, règlement ou accord) ; une différence de traitement ne peut être justifiée que par un objectif de sécurité, une exigence professionnelle essentielle et déterminante ou des objectifs de politique de l'emploi.

D'autre part, et surtout, pour affirmer que la rupture du contrat est nulle, la Cour ne vise pas les dispositions de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Les articles L. 1132-1 à L. 1232-4 du Code du travail permettent à eux seuls de fonder la nullité d'un acte pris en méconnaissance du principe de non-discrimination.

S'il est incontestable que le droit de l'Union européenne a joué un rôle déterminant, par le biais de l'application des textes prohibant les discriminations, dans l'interdiction de la mise à la retraite fondée sur l'âge des salariés « à statut spécial », la Cour de cassation semble aujourd'hui avoir intégré le dispositif européen et n'utiliser que le droit national pour interdire (définitivement ?) ce type de rupture.

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