Pour une appréciation in concreto du caractère raisonnable de la durée de l'essai

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Pour une appréciation in concreto du caractère raisonnable de la durée de l'essai

« Qu'en statuant ainsi alors qu'est déraisonnable, au regard de la finalité de la période d'essai et de l'exclusion des règles du licenciement durant cette période, une période d'essai dont la durée, renouvellement inclus, atteint un an, la cour d'appel a violé la convention internationale susvisée ; »

Il y a bientôt trois ans, la Chambre sociale de la Cour de cassation jugeait, à propos d'un stage probatoire de douze mois imposé aux agents de classe III par la convention collective nationale du Crédit agricole, que cette durée d'un an était déraisonnable au regard des principes posés par la Convention n° 158 de l'OIT(1). Malgré son fort degré de publicité (P+B+R) qui pouvait laisser présager quelque évolution, l'arrêt rendu le 11 janvier 2012 procède à la confirmation de cette décision dans une situation somme toute très proche(2).

Un cadre supérieur avait été engagé pour prendre la direction d'un supermarché par contrat de travail à durée indéterminée. La convention collective nationale du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire autorisait, pour les salariés de ce niveau, la prévision d'une période d'essai de six mois renouvelable une fois, clause reprise par le contrat de travail conclu par les parties. À l'issue de la période initiale, l'essai fut renouvelé. Une semaine avant l'échéance de cette période d'essai renouvelée, l'employeur mit fin à l'essai. Le salarié contesta la rupture devant le juge prud'homal.

La Cour d'appel de Montpellier(3), saisie de l'affaire, débouta le salarié de ses demandes par une argumentation relativement développée. Sa motivation s'appuyait, d'abord, sur la rédaction de la convention collective invoquée qui, conclue avant l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 2008, pouvait en principe comporter des durées d'essai plus longues(4) que celles désormais prévues par le Code du travail(5). Elle répondait, ensuite, de manière fort pragmatique au moyen du salarié invoquant expressément la Convention n° 158 de l'OIT et le caractère déraisonnable de la durée de son essai. Ainsi, les juges d'appel estimèrent que la durée de l'essai n'était « pas excessive eu égard non seulement à la qualification professionnelle du salarié mais également à la finalité de la période d'essai qui est de permettre l'évaluation de ses compétences, de sa capacité à diriger, à prendre en main la gestion d'un magasin dans son ensemble et à "manager" l'ensemble du personnel ».

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure cette décision au visa, comme en 2009, des principes issus de la Convention n° 158 de l'OIT(6). La motivation de la décision est, elle aussi, très similaire et toujours aussi générale puisque la Chambre sociale dispose « qu'est déraisonnable, au regard de la finalité de la période d'essai et de l'exclusion des règles du licenciement durant cette période, une période d'essai dont la durée, renouvellement inclus, atteint un an ».

Au premier regard donc, les similitudes entre les deux décisions pourraient faire douter de l'intérêt de diffuser si largement l'arrêt sous examen. À peine peut-on relever deux nuances qui permettent de différencier les deux solutions.

La première tient à l'applicabilité de la règle à la période d'essai stricto sensu qui, il faut le reconnaître, ne faisait que peu de doute. Rappelons que la décision de 2009 s'appliquait à un stage probatoire, lequel est toujours requalifié en période d'essai par la Chambre sociale(7). Indirectement, la solution confirme la contrariété des conventions collectives prévoyant une durée d'essai d'un an à la Convention n° 158 de l'OIT alors même que le Code du travail semblait les légitimer. Par effet de ricochet, c'est donc l'application de la disposition légale qui permettait aux conventions antérieures à la loi de prévoir des durées supérieures qui est au moins en partie écartée(8).

La seconde concerne l'application de la règle énoncée à la durée totale d'une période d'essai, renouvellement compris. En effet, en 2009, c'est la durée d'un stage d'un an, sans renouvellement, qui avait été jugée déraisonnable. Comme on pouvait s'en douter, c'est donc la durée totale de l'essai qui doit être prise en considération pour en apprécier le caractère raisonnable et non, seulement, la période initiale. Cette position stigmatise, une fois encore, l'hypocrisie législative consistant à conserver des durées d'essai relativement courtes mais assorties de facultés de renouvellement(9).

Outre ces premiers constats, on peut relever que l'affaire n'apporte rien au débat consistant à savoir si les durées d'essai maximales renouvellement compris, fixée avec « caractère impératif » par l'article L. 1221-21 du Code du travail, pourraient être remises en cause au regard de leur caractère éventuellement déraisonnable(10). La durée d'un an, mise en cause dans les deux affaires, n'est pas entourée d'indices qui permettraient de savoir si huit ou dix mois constituerait un délai raisonnable.

Cette observation amène à percevoir le véritable intérêt de la décision. Plusieurs observateurs de l'arrêt de 2009 avaient suggéré que la durée d'un an puisse être appréciée non seulement en fonction des finalités de la période d'essai et de l'exclusion des règles du licenciement comme le fait la Chambre sociale, mais encore en fonction de la situation concrète de chaque salarié, en fonction des qualifications professionnelles de chacun(11). La cour d'appel semblait avoir été séduite par cette argumentation puisqu'elle prenait en considération les qualifications professionnelles spécifiques du salarié pour apprécier le caractère raisonnable ou non de la durée de l'essai. Par cette cassation, la Chambre sociale désavoue donc les propositions doctrinales avancées. Peut-on s'en satisfaire ?

À la décharge de la Chambre sociale, il faut noter que, comme le relevait J. Mouly, la question de cette appréciation du caractère raisonnable n'est pas abandonnée au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond(12). La Chambre sociale exerce pleinement son contrôle sur cette qualification, ce qui a au moins le mérite de limiter les risques d'arbitraire et commande une certaine généralité. Toujours au soutien de la solution commentée, on peut douter qu'une période d'essai d'un an ne puisse jamais être considérée comme raisonnable. Il est d'ailleurs tout à fait significatif de constater, dans cette affaire comme dans tant d'autres, que la rupture de la période d'essai était intervenue à l'extrême fin de la durée d'un an, les motivations avancées par l'employeur ne pouvant pourtant pas avoir été découvertes quelques jours seulement avant l'échéance de l'essai(13). Cela faisait, en somme, bien longtemps que l'employeur avait conscience des limites professionnelles du salarié, une année étant alors loin d'être raisonnable au regard des finalités de l'essai.

Malgré tout, la Chambre sociale aurait parfaitement pu avaliser le raisonnement de la cour d'appel, consistant à prendre en considération les qualifications professionnelles du salarié qui sont tout à fait essentielles pour la caractérisation de la définition et des finalités de l'essai, cela sans pour autant valider cette durée dont nous partageons l'avis qu'elle était excessive. Quoique sommairement, le législateur, comme les partenaires sociaux avant lui, prend en compte les grandes classifications entre ouvriers et employés d'une part, techniciens et agents de maîtrise d'autre part, cadres d'une troisième part. Pour apprécier le caractère raisonnable, concept hautement subjectif et variable, il semble indispensable d'affiner cette prise en compte des qualifications professionnelles plutôt que de l'écarter au profit d'une règle trop abstraite et simplement assise sur la finalité de l'essai.

En refusant de mobiliser cet argument, la Chambre sociale se prive de la faculté de contrôler des durées d'essai plus courtes qui, pourtant, pourraient être perçues comme déraisonnables. Pour le démontrer, reprenons l'hypothèse présentée par E. Dockès et souvent citée en exemple(14). Imaginons, pure fiction, l'existence d'un accord collectif national de la restauration conclu antérieurement à la loi du 25 juin 2008 et qui prévoirait, pour les plongeurs dans la restauration, une durée d'essai de quatre mois renouvelable une fois pour un maximum de huit mois. Au regard du Code du travail, cette durée n'est pas contestable puisque l'accord collectif antérieur peut prévoir des durées plus longues par application de l'article L. 1221-22. Au regard de la jurisprudence générale et abstraite de la Cour de cassation, la durée est encore raisonnable puisqu'elle n'atteint pas la durée fatidique d'une année, déraisonnable au regard des finalités de l'essai et du droit du licenciement. Sans porter d'appréciation in concreto sur la corrélation entre les qualifications professionnelles du salarié et cette durée de huit mois, il s'avère alors impossible de juger qu'une durée d'essai de huit mois soit déraisonnable pour un plongeur...

Quoiqu'en désaccord avec les fondements de la solution adoptée par la Chambre sociale, il nous semble cependant qu'elle ne devrait pas avoir de conséquences trop importantes ou, du moins, trop pérennes. Par le cycle naturel des renégociations des accords collectifs de branche, les dispositions relatives à la durée de l'essai devraient progressivement être ramenées à des durées respectueuses des maxima du Code du travail. Restera alors simplement à se demander si, renouvellement compris, des durées de quatre mois d'essai pour les ouvriers, de six mois d'essai pour les agents de maîtrise, de huit mois d'essai pour les cadres sont des durées raisonnables. Reparaîtra alors, à n'en point douter, la question de l'appréciation in concreto ou in abstracto du caractère raisonnable de ces durées...

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