Si la finance était contée...

Publié le Modifié le 28/01/2015 Vu 1 356 fois 0
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L'ignorance est-elle un crime? En soi, sans doute pas, mais l'action visant à maintenir ses semblables dans l'ignorance peut, elle, s'avérer meurtrière.

L'ignorance est-elle un crime? En soi, sans doute pas, mais l'action visant à maintenir ses semblables dans l

Si la finance était contée...

L’ignorance est-elle un crime ? En soi, sans doute pas, mais l’action visant à maintenir ses semblables dans l’ignorance peut, elle,  s’avérer incroyablement meurtrière.

Une science venue d’outre-Atlantique a pour objet d’étudier les techniques de production culturelle de l’ignorance : l’agnotologie. Modélisée dans les  années 1990 par l’historien des sciences Robert N. Proctor, elle a notamment été appliquée aux industriels du tabac qui sont parvenus à cacher, pendant de nombreuses décennies, les effets nocifs de la cigarette sur la santé.

Déploiement d’une propagande visant à innocenter le produit (marketing ciblé), subvention de rapports scientifiques visant à contredire les rapports à charges contre la cigarette, une multitude d’artifices furent utilisés par ces derniers pour parvenir à leurs fins.

Tout l’enjeu de cette science est donc d’identifier ce qui se cache derrière les zones d’ombre, souvent au détriment des masses.

Pourquoi ne pas lui soumettre, dès lors, notre domaine de prédilection, la gestion de patrimoine ?

Le premier sujet qui, d’emblée, nous vient à l’esprit, est notre chère fiscalité nationale. En matière de production culturelle de l’ignorance, elle n’a pas grand-chose à envier aux cigarettiers.

Plusieurs éléments contribuent à la rendre opaque, malgré l’impératif de transparence censé gouverner notre administration.

Entre autres, nous pourrions citer le changement constant des règles fiscales, en cours d’année, rétroactivement ou non, l’empilement normatif qui éparpille les règles applicables à chaque notion, ainsi que la dégradation de la qualité des textes, qui posent plus de questions qu’ils ne fournissent de réponses. Comment, dans ce contexte, affirmer avec hauteur que « nul n’est censé ignorer la loi ? »

En illustration de nos propos, prenons le PEA-PME. Cette nouvelle enveloppe fiscale avait, aux dires du ministre des finances qui l’a fait naître, Pierre Moscovici, l’ambition d’ « orienter plusieurs milliards d’euros de l’épargne des Français vers les entreprises ».

Créé depuis le 1er janvier, il a fallu tout de même attendre le 5 mars pour que le décret précisant les conditions d’éligibilité des entreprises au dispositif soient enfin publiées. Mais les critères sont tellement complexes que Bercy a renoncé à dresser la liste des valeurs éligibles, laissant aux chefs d’entreprise le soin de déterminer si leur société remplit ou non les conditions pour figurer dans la nouvelle enveloppe. Et d’engager leur responsabilité si l’administration fiscale venait ultérieurement à leur refuser le précieux sésame.

Lorsque l’on confronte cet épisode à nos souvenirs, on ne peut que se désoler : à la fin des années 1970, Monory puis Delors, en 1983, avaient su créer des dispositifs simples visant à amener les Français à investir dans les PME. Le marché était simple : l’investissement en actions françaises ouvrait droit, dans une certaine limite, à 25% de réduction d’impôt.

Le dispositif avait connu un franc succès, car il était simple et intéressant pour les épargnants.

A l’inverse, on peut s’interroger sur le processus de complexification actuel : est-il le fruit d’une évolution naturelle ou résulte-t-il d’une démarche volontaire visant à maintenir les contribuables dans l’ignorance des règles qui leur seront finalement appliquées ?

Nous laisserons nos lecteurs le soin d’en juger, préférant porter notre analyse sur un second sujet, la finance.

Partons d’un constat simple, presque un cri du cœur : les Français n’entendent rien à la finance, et le reconnaissent volontiers. C’est ce qu’a révélé un sondage réalisé auprès du public commandé par l’AMF en 2011, ayant fait l’objet d’une étude par le Crédoq[1].

Corollaire de cette ignorance, peu de Français détiennent des actifs financiers. Seuls 21% d’entre eux déclarent posséder des actions. Le phénomène est, du reste, transversal : il n’est qu’à observer le patrimoine de nos élites gouvernantes. Souvenez-vous, nous nous étions étonnés, il y a tout juste un an, que notre ministre du redressement productif, chantre du PEA-PME, ne possède pas une seule action[2].

On peut pourtant légitimement penser que nos concitoyens ne sont pas plus bêtes que leurs voisins européens, qui ont mieux intégré les principes du capitalisme financier.

Parallèlement, nos financiers n’apparaissent pas sensiblement moins inventifs que ceux des autres pays. Nos clients ont parfois l’illusion que les produits proposés sur les places limitrophes (Suisse, Monaco, Luxembourg) sont plus élaborés que les nôtres. C’est toutefois rarement le cas, l’intérêt de ces pays reposant davantage sur la fiscalité que sur l’étendue de leur gamme.

Comment expliquer l’exception française ?

Plusieurs phénomènes se sont cristallisés pour lui donner le jour. Nous en dénombrons principalement quatre, économique, morale, historique et politique.

La première raison relève de la tradition paysanne de notre pays. La France a longtemps été un pays agraire, ce qui explique à la fois la tendance à thésauriser (le « bas de laine ») et la méfiance vis-à-vis de tout ce qui n’est pas tangibles (tout ce qui n’est pas la terre). Quoi de plus dématérialisé qu’un actif financier ?

La deuxième raison est d’ordre moral : la France est un pays catholique, religion caractérisée par certains interdits. Le rapport du catholicisme à l’argent est ainsi pour le moins compliqué. Reprenant à son compte, la condamnation d’Aristote du prêt à intérêt (l’argent est par essence stérile, il ne fait pas de petit et ne peut donc produire d’intérêt), l’Eglise a longtemps réprouvé l’ « usure », ce qui obligea les premiers prêteurs à rivaliser d’ingéniosité pour se faire rémunérer leurs prêts. D’où la naissance de la lettre de change et autres effets de commerce.

A l’opposé, Max Weber, dans son célèbre ouvrage L’Ethique protestante, a souligné les liens entre protestantisme et capitalisme, expliquant le succès de la doctrine auprès des pays anglo-saxons.

Le calvinisme repose, en effet, sur des notions de prédestination, d’accomplissement dans le travail, et opère une rationalisation des pratiques religieuses. La notion de salut est très importante : celui-ci ne repose pas sur les actes qu’un homme accomplit de son vivant, mais dépend uniquement du choix de Dieu. Or la réussite économique est perçue comme un signe d’élection divine. La fortune des croyants est donc particulièrement bien vue, là où, sous nos contrées, elle est décriée comme s’étant constituée au détriment des autres.

La troisième raison est d’ordre historique. La monarchie absolue à la Française, extrêmement aboutie, érige en modèle l’oisiveté des nobles paradant à la Cour. Loin de l’aristocratie affairiste britannique, le monarque français préfère garder sa Cour auprès de lui, pour mieux contrôler ses faits et gestes. En découle un mépris pour le travail et l’argent gagné de son front, au profit d’une caste dorée entretenue sur la cassette royale.

Enfin, dernière raison, d’ordre politique, les gauches ont longtemps dominé la vie politique française, véhiculant, à compter des années 1920, les théories marxistes. Pour Marx, le problème vient de la distinction entre capital et travail, l’idéal étant de les réunir sur la même tête. Donc de permettre aux travailleurs de posséder leur outil de travail. Cette analyse va évidemment à l’encontre du dogme capitaliste, qui admet la dichotomie pourvu qu’elle permette l’enrichissement de chacun.

Bien que l’histoire ait démontré que le modèle marxiste n’était pas viable, il a tout de même laissé de profondes traces dans les mentalités. En témoigne, entre autres,  la révulsion pour la figure du rentier.

Loin de combattre les préjugés négatifs des Français envers la finance, les établissements financiers contribuent à les maintenir dans l’ignorance.

Par peur de se heurter au tabou et à la règlementation, les grandes enseignes ne fons pas de promotion sur les produits financiers dynamiques, en expliquant clairement en quoi consiste le risque, comment le maîtriser, dans quels cas et dans quelle mesure il convient d’en prendre.

Au lieu de cela, chacun s’arcboute sur des combats d’arrière-garde en présentant uniquement le taux de rendement du support euro des contrats d’assurance vie, un rendement déclinant mais sûr,  qu’on devrait réserver à une petite partie de ses économies, celle qu’on n’a pas l’intention de faire fructifier à long terme. Est-il bien pertinent de gérer son épargne de long terme en utilisant des placements de trésorerie ?

Le danger de cette situation est qu’elle laisse le champ libre aux vendeurs de rêve et autres « placements atypiques » pour proliférer.

Grands crus, manuscrits anciens, œuvres d’art, photovoltaïque, sont ainsi présentés comme des alternatives aux placements traditionnels, ce qu’ils ne sont pas.

L’AMF a eu l’occasion d’émettre des recommandations en vue de dissuader les conseillers en investissements financiers (CIF), dont fait partie votre serviteur, de proposer de tels placements à leurs clients.

Le problème ne réside pas tant dans ces divers produits, qui peuvent être de qualité, mais dans la façon de les présenter, en les mettant sur le même plan que des investissements financiers, alors qu’ils n’en présentent pas les caractères.

L’amalgame est d’autant plus dangereux que l’étude de l’AMF révélait que 25% des personnes interrogées croyaient à l’existence d’une « martingale » qui offrirait une performance très élevée en contrepartie d’un risque très faible.

De là à ce que quelques escrocs, Madoff en puissance,  profitent de la porte ouverte pour se glisser dans la place, la tentation est trop grande.

La solution, pour éviter ces fléaux, n’est pas de sur-réglementer la matière, mais d’élever le niveau de culture financière des épargnants.

A en croire l’étude précitée, c’est justement ce qu’ils appellent de leurs vœux, estimant que les programmes scolaires devraient s’enrichir de notions financières, et espérant que des formations en finance leur soient dispensées au sein de leurs entreprises.

La IIIème République s’était faite forte de démocratiser le savoir, en rendant l’école gratuite et accessible à tous, en inaugurant des espaces verts au cœur de l’habitat urbain, véritables poumons verts, en y édifiant des musées, temples de la science moderne.

Pourquoi ne pas fonder une VIème République qui remettrait à la fois le travail, l’initiative, et l’enrichissement personnel dans le respect de la société, au cœur des préoccupations ?

Cette avancée concorderait bien avec l’état actuel de nos finances, qui ne permettront plus, demain, d’assurer aux retraités un revenu suffisant pour assumer leur train de vie. Le patrimoine personnel, intelligemment construit, permettrait ainsi de compenser la perte de revenus

De l’intérêt pour la finance pourrait aussi naître une meilleure compréhension et une meilleure connaissance de notre tissu économique, et profiter ainsi à nos PME. Mondialisation ne rimerait plus forcément avec délocalisation, mais plutôt avec consolidation.

 

[1] Sondage « La culture financière des Français », AMF, 09/11/2011

[2] Voir le dossier « La vérité sur le patrimoine de nos ministres », Gestion de Fortune, juin 2013

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