La loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à la question prioritaire de constitutionnalité, portant application de l'article 61-1 de la Constitution a été publiée au Journal Officiel (JCP G 2009, étude B. Mathieu à paraître ; V. L. const. n° 2008-724, 23 juill. 2008 : JO 24 juill. 2008 ; JCP G 2009, act. 203) et prendra effet au 1er mars 2010.
Elle sera applicable aux procédures en cours.
Ce texte ouvre au justiciable la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel lorsqu'il lui paraît, à l'occasion d'un procès devant une juridiction administrative ou judiciaire, « qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ».
La réforme comporte trois aspects :
- elle permet à tout justiciable de soutenir devant le juge qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ;
- elle confie au Conseil d'État et à la Cour de cassation la compétence pour décider si le Conseil constitutionnel doit être saisi de cette question ;
- elle réserve au Conseil constitutionnel le pouvoir de trancher la question et, le cas échéant, d'abroger la disposition législative jugée contraire à la Constitution.
Le vote de cette loi organique n'a jusqu'ici pas fait couler beaucoup d'encre ni, apparemment, de salive parmi nos concitoyens et en particulier chez les "spécialistes" des droits de l'homme qui font profession semble-t-il de donner des leçons d'humanisme et de démocratie à la France entière, quand ce n'est pas au reste du Monde! Or la réforme dont il s'agit - qui faisait partie des promesses de campagne de Nicolas SARKOZY - est une véritable bombe à fragmentation dans le monde de notre bon vieux droit.
Jusqu'ici (et encore jusqu'au 1er mars prochain) le justiciable avait beau dire que telle ou telle condamnation demandée ou prononcée contre lui se heurtait à un principe constitutionnel contraire, rien n'y faisait, quand bien même personne n'est censé oublié qu'il y a une hiérarchie des normes juridiques qui place la constitution au plus haut de nos textes nationaux, juste après la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, qui a été placée en préambule de la constitution.
Certes, il existait bien la possibilité de saisir d'une question préjudicielle la juridiction administrative dans le cas où, dans un procès judiciaire, une décision risquait d'être entachée de nullité en cas d'annulation d'un acte administratif ou d'une décision de droit public (exemple de poursuites pénales intentées à l'encontre d'une personne, physique ou morale, poursuivie pour infraction aux règles d'urbanisme alors qu'en même temps le permis de construire ou le refus de permis, le POS ou le PLU était attaqué devant une juridiction administrative ).
Mais désormais, ce qui sera en jeu concernera la constitutionnalité ou plus exactement la conformité constitutionnelle d'un acte ou d'une décision susceptible de fonder une demande en Justice qui pourra faire l'objet, sous le contrôle toutefois du Conseil Constitutionnel, et avant lui de la Cour de Cassation ou du Conseil d'Etat, qui constitueront des filtres de recevabilité, d'une question préalable et prioritaire émanant directement du justiciable.
L'avenir nous dira si à court terme la Cour de Cassation et la Conseil d'Etat constitueront des filtres ou des freins. Mais en tout état de cause, le principe est là, et même si cela ne sera sans doute pas aisé ni forcément fructueux de soulever la question prioritaire, l'essentiel est que la nouvelle loi organique le rende possible.
Les applications de cette réforme dans la vie judiciaire courante risquent d'être peu nombreuses dans les premiers temps, mais une fois intégrée dans les esprits et les pratiques, elle va provoquer un véritable séisme dans notre système judiciaire ou administratif et également dans les comportements contentieux.
La Constitution va devenir un véritable livre de chevet pour les juristes de tous ordres, et ce ne peut être que bénéfique à l'heure où, dans le domaine économique, financier, culturel, cultuel, artistique, philosophique, républicain même, la mondialisation renverse toutes les barrières de notre Histoire.
Enfin le citoyen pourra-t-il, sans avoir à demander d'autorisation à l'État -qui n'est que l'organisation juridique de la nation - , se prévaloir de ce qu'il estime constituer une violation directe ou indirecte de notre Constitution, issue de la Révolution Française, et qui, malgré toutes les modifications qu'elle a subies (notamment en 1958 et en 1962), représente encore les fondements de notre société républicaine.
Ne nous y trompons pas cependant: le combat va être rude entre ceux qui vont vouloir en appeler à l'application de cette loi et ceux qui vont tenter d'y mettre obstacle. Déjà, devant la Cour de Cassation, nous connaissons les Rapporteurs et les décisions de non admission des recours qui résultent de leur interposition.
Mais, d'un autre côté, ne l'oublions pas, la Cour Européenne va surveiller de façon très attentive la manière dont la Justice française, donc l'État, applique ou freine l'application de cette loi. Et dès lors que, par ailleurs, se profile la possibilité d'admettre en droit français les actions collectives, l'on peut raisonnablement penser qu'à moyen terme, la réforme produira effet et qu'enfin le lien sera renoué, même s'il constituera une véritable corde raide, entre justiciables et citoyens.
Il faudra retenir cette date du 10 décembre 2009!
Henry FLECHER