Clause d'arbitrage et ouverture d'une procédure collective

Publié le Modifié le 20/06/2014 Vu 9 498 fois 0
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Qu'advient-il d'une clause compromissoire en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre d'une des parties à l'instance arbitrale ? L'ouverture d'une procédure collective empêche-t-elle toute saisine du tribunal arbitral ? Quelles sont les compétences respectives du juge étatique et de l'arbitre ?

Qu'advient-il d'une clause compromissoire en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre d'une d

Clause d'arbitrage et ouverture d'une procédure collective

La convention d’arbitrage est la convention par laquelle les parties décident de recourir à l’arbitrage. Elle prend la forme d’une clause compromissoire lorsqu’elle est rédigée en vue d’un litige éventuel futur (article 1442 alinéa 2 du Code de procédure civile) et celle d’un compromis lorsqu’elle porte sur un litige déjà né (article 1442 alinéa 3 du Code de procédure civile).

L'article 1442 du CPC dispose en effet que :

"La clause compromissoire est la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats.

Le compromis est la convention par laquelle les parties à un litige né soumettent celui-ci à l’arbitrage".

Or, dans l'hypothèse d'une procédure collective ouverte à l'encontre d'un des co-contractants, qu'advient-il de l'instance arbitrale ?

En effet, l'ouverture d'une procédure collective engendre l'arrêt des poursuites individuelles et l'interdiction de condamner un débiteur au paiement d'une somme d'argent. 

Comment articuler clause d'arbitrage et principes d'ordre public découlant de l'ouverture d'une procédure collective ?

I/ Les principes régissant la répartition des compétences entre arbitre et juge étatique

Le premier effet d'une clause d'arbitrage est de donner compétence à l'arbitre pour statuer sur le litige que les parties lui ont soumis (c'est l'effet positif). 

Le second effet d'une clause d'arbitrage est de retirer au juge étatique son pouvoir juridictionnel (effet négatif). En effet, la clause d’arbitrage oblige, en principe, la juridiction étatique saisie à se déclarer incompétente. 

Ce principe de compétence-compétence implique que l'arbitre doivent statuer de lui-même, et en premier, sur la validité et les limites de sa saisine, c'est-à-dire sur la possibilité d'arbitrer le litige qui lui est soumis. 

Néanmoins, si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable, le juge étatique saisi préalablement à l'arbitre peut se déclarer compétent pour statuer sur le litige.

II/ L'articulation de la compétence de l'arbitre et du juge-commissaire 

Certains principes de la procédure collective sont d'ordre public. Il en va ainsi pour le principe de l'arrêt des poursuites individuelles (article L.621-40 du Code de commerce) et de l'obligation de déclarer sa créance pour tout créancier antérieur au jugement d'ouverture (article L. 622-24 du Code de commerce).

L’article L. 621-40 du Code de commerce dispose que :

"I. - Le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

II. - Il arrête ou interdit également toute voie d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles.

III. - Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence suspendus".

Ainsi, le jugement d'ouverture de la procédure collective interdit ou suspend toute action en justice de la part de tous les créanciers (dont la créance trouve son origine avant le jugement d'ouverture, et tendant à la condamnation pécuniaire du débiteur ou à la résolution du contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent).

L'arrêt des poursuites individuelles résultant de l'article L. 621-40 du Code de commerce s'applique donc aux instances arbitrales en cours. 

La chambre commerciale avait jugé que l'instance n'est en cours au sens de l'article L. 622-22 du Code de commerce que lorsque le tribunal arbitral est constitué et peut être saisi du litige (Cour de cassation, 1ère civile, 30 mars 2004, n° 01-11.951).

L'article L. 622-24 alinéa 1 du Code de commerce dispose que :

"A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile élu. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement". 

Qu'advient-il de l'instance arbitrale en cas de l'ouverture d'une procédure collective ?

Par deux arrêts du 2 juin 2004, relatifs à l'affaire Alstom, la chambre commerciale s'est prononcée sur l’articulation de la règle de l’arrêt des poursuites individuelles avec le principe de compétence-compétence de l'arbitre, dans le cas où l’instance arbitrale n’est pas en cours au jour du jugement d’ouverture. 

Le premier arrêt énonce qu'un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture ne peut saisir le tribunal arbitral après ouverture de la procédure collective, à défaut d'avoir au préalable déclaré sa créance. 

Elle affirme en effet que :

"Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le principe d’ordre public de l’arrêt des poursuites individuelles interdit, après l’ouverture de la procédure collective, la saisine du tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture, sans qu’il se soit soumis au préalable à la procédure de vérification des créances, la cour d’appel a violé le texte susvisé" (Cour de cassation, chambre commerciale, 2 juin 2004, N° 02-13.940).


Le second arrêt affirme que le juge commissaire, saisi d'une contestation au cours de laquelle est invoquée une clause arbitrale, doit se déclarer incompétent après avoir vérifié la régularité de la déclaration de créance. Elle émet cependant une exception, selon laquelle le juge commissaire n'est pas tenu de se déclarer incompétent si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable.

La chambre commerciale affirme en effet que :

"Lorsque l'instance arbitrale n'est pas en cours au jour du jugement d'ouverture, le juge-commissaire, saisi d'une contestation et devant lequel est invoquée une clause compromissoire, doit, après avoir, le cas échéant, vérifié la régularité de la déclaration de créance, se déclarer incompétent à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle ou inapplicable. En l'espèce, la cour d'appel qui a constaté que la clause d'arbitrage n'était pas discutée quant à sa validité et a retenu que le juge-commissaire, saisi d'une contestation, ne pouvait se déclarer compétent, a par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision" (Cour de cassation, chambre commerciale, 2 juin 2004, N°02-18.700).


Par un arrêt du 14 janvier 2004, la chambre commerciale avait confirmé le pouvoir du juge-commissaire de se déclarer compétent en cas de clause compromissoire manifestement inapplicable. Il s'agissait en l'espèce d'une clause contenue dans un contrat de franchise, qui était étrangère au litige, et donc manifestement inapplicable. Le liquidateur d’une société franchisée agissait contre le franchiseur, dans l’intérêt collectif des créanciers, en responsabilité pour soutien abusif (Cour de cassation, chambre commerciale, 14 janvier 2004, N°02-15.541).

Il déduire de ces décisions que la Cour de cassation ne consacre pas la prééminence d’une compétence sur l’autre, mais elle établit seulement une hiérarchie dans le temps. 

Tout d'abord, même en présence d’une clause d’arbitrage, le créancier doit déclarer sa créance et se soumettre à la procédure de vérification résultant de l'ouverture d'une procédure collective. Il est placé dans la même situation que tout autre se prévalant d’une créance antérieure au jugement d’ouverture. 

Ensuite, l'existence de la cause d'arbitrage ne pourra être invoquée que devant le juge-commissaire, qu'il faut saisir d'une contestation. En ce sens, le juge-commissaire devra se déclarer incompétent, à moins que la clause compromissoire ne soit manifestement nulle ou inapplicable. 
Le juge-commissaire devra, malgré sa déclaration d'incompétence, statuer sur la régularité de la déclaration.

En résumé, voici les étapes à suivre :

- Déclaration de créance par le créancier (obligatoire, même si le litige relève de l'arbitrage)
- Saisine de l'arbitre 
- Signaler au juge-commissaire l'existence d'une clause arbitrale 
- Le juge-commissaire doit déclarer son incompétence, à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle ou inapplicable 

En conclusion, l'ouverture d'une procédure collective n'empêche pas de façon absolue le déroulement d'une instance arbitrale. En tout état de cause, il semble problématiquement que l'arbitre condamne, in fine, le débiteur au paiement d'une somme d'argent en raison des principes d'ordre public énoncés par le Code de commerce pour les procédures collectives. L'arbitre peut néanmoins se prononcer sur l'existence et le montant de la créance. 


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Joan DRAY
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