Le 1er février 2012 , elle a interdit la fusion entre le franco-américain Nyse Euronext (ci-après « NYX ») et l’allemand Deutsche Börse (ci-après, « DB ») sur les marchés de cotation, de négociation des valeurs mobilières et des produits dérivés au motif que les gains d’efficience sont insuffisants pour compenser les effets anticoncurrentiels de l’opération de concentration, et alors même que l’argument des gains d’efficience était mis en évidence dans la demande d’autorisation. Il s’agit là de la 21ième décision d’interdiction adoptée par la Commission depuis l’adoption du système de contrôle des concentrations communautaires en 1989.
Le cas d’espèce est intéressant, dans la mesure où les enjeux ne se réduisent pas aux seules considérations de pure compétition économique. L’affaire présente, en effet, une spécificité qui en fait tout l’intérêt. C’est sans doute moins l’affirmation d’une volonté politique de favoriser l’émergence de la première société de bourse mondiale, contrôlée par les européens, qui a motivée la décision de la Commission que sa propre détermination à préserver la fluidité des marchés concurrentiels en cause. La réalisation du projet de concentration aurait entraîné, selon la Commission, un double monopole sur le marché européen des produits dérivés, dans la mesure où, d’une part, le nouvel ensemble aurait représenté 90% des transactions boursières (concentration horizontale) et, d’autre part, les deux participants à l’opération contrôlent des filiales communes (concentration verticale) . L’issue de cette affaire suscite néanmoins un vrai mécontentement auprès des acteurs économiques. La réalisation du projet de fusion aurait pu être profitable aux marchés financiers européen et français, compte tenu de leur marginalisation économique actuelle et de leur dépendance aux marchés étrangers .
Tout l’intérêt est de savoir comment cette spécificité du projet de concentration entre DB et NYX se traduit dans la pratique décisionnelle de l’autorité européenne de concurrence. Il est intéressant de relever que la Commission a choisi d’adopter une analyse prospective des atteintes à la concurrence engendrées par la fusion des deux entités, plutôt que de privilégier une approche plus économique fondée sur un examen in concreto des effets positifs de l’opération de concentration, étant précisé que l’analyse économique des concentrations est souvent considérée comme moins rigide sur le plan juridique . Pour justifier ainsi sa décision de refus, la Commission invoque l’existence de nombreux risques d’atteinte à la concurrence (I) et la faiblesse des gains d’efficience du projet de concentration (II).
I.- La prise en compte des risques d’atteinte à la concurrence du projet de concentration
L’enquête de marché menée par la Commission a révélé que la transaction entre les parties à l’opération donnerait lieu à la création d’un leader incontesté en situation de quasi-monopole sur le marché de la négociation des produits dérivés en Europe, ne serait-ce que parce que NYX et DB sont deux opérateurs concurrents les plus proches et les plus puissants. La fusion projetée par les parties ferait alors courir des risques négatifs, jugés trop élevés, tant à l’égard des structures concurrentielles du marché (risque de monopolisation du marché) (A) qu’en ce qui concerne la compétition avec les concurrents existants et potentiels (risque d’affaiblissement et/ou de disparition des concurrents potentiellement efficaces) (B).
A) Le risque de monopolisation du marché
Le test de marché de la Commission a montré que le marché des produits dérivés se caractérisait déjà, avant fusion, par la présence de barrières à l’entrée. L’opération de concentration risquait de rendre ces barrières particulièrement élevées, remettant ainsi en cause l’équilibre concurrentiel sur les marchés considérés.
Trois explications peuvent être mises en évidence.
En premier lieu, la puissance de marché des concurrents reste faible. Ils ne sauraient entrer ou se développer sur les marchés en cause, faute pour eux d’avoir les capacités techniques à innover plus que ne pourrait le faire la nouvelle entité fusionnée. Les tiers opérateurs seraient également incapables de réagir par une augmentation de leur offre de produits dérivés en cas de hausse de prix qui serait introduite par l’entité née de la fusion entre NYX et DB.
En deuxième lieu, l’élévation des barrières à l’entrée réduit l’accès des nouveaux entrants. D’après la Commission, même si l’entrée avait quand même lieu, l’entrant serait irrémédiablement dans l’impossibilité de réaliser des échanges suffisants du fait de la captation de la majorité des clients par l’entité fusionnée, ce qui l’aurait empêché vraisemblablement de réaliser des gains suffisants ou d’obtenir des liquidités dans un délai raisonnable.
En dernier lieu, les très fortes barrières à l’entrée réduisent de manière significative les possibilités pour les clients de changer de produits dérivés ou de contracter avec d’autres opérateurs. Une large majorité des clients questionnés au cours de l’enquête communautaire était incapable d’identifier un quelconque concurrent potentiel des parties à l’opération, en l’absence de plateformes d’offres concurrentielles paneuropéennes de même dimension que celle de l’entité fusionnée. De plus, les enquêtes de marché n’ont trouvé aucune preuve de l’existence d’une puissance d’achat compensatrice susceptible de contraindre l’entité fusionnée à baisser ses prix dans l’intérêt des clients.
Le test de marché met ainsi en évidence l’incapacité post-fusion des entrants potentiels d’exercer une pression concurrentielle suffisante ou efficace sur la nouvelle entité née de la fusion. Sans surprise, la Commission exprime son inquiétude quant aux conséquences négatives de l’opération sur la fluidité du marché des produits dérivés. La crainte est d’autant plus forte que la crise financière perdure en Europe.
B) L’affaiblissement de la concurrence par les prix
La Commission a relevé que la proximité des offres de produits dérivés entre les NYX et DB risque d’entraîner des effets horizontaux significatifs. Ainsi, en matière de prix, l’enquête de marché a montré que les très fortes positions de la nouvelle entité à l’issue de l’opération sur l’ensemble des segments de marché des produits dérivés (actions, taux d’intérêt, devises) étaient de nature à entraîner un risque de hausses unilatérales des prix sur les marchés pertinents. La hausse des prix décidée par l’entité fusionnée serait nécessairement répercutée sur les clients.
La Commission justifie son analyse de la situation en avançant deux raisons principales. D’abord, la nouvelle entité capterait après fusion une partie très importante des clients. Ensuite, le contrepouvoir des concurrents potentiels ou déjà présents sur le marché serait fortement restreint à l’issue de l’opération, de sorte qu’ils ne pourront pas s’opposer à une hausse unilatérale des prix pratiqués par l’entité fusionnée sur les contrats de produits dérivés.
Du point de vue des concurrents des parties à l’opération, la position de leader de la nouvelle entité a mécaniquement un effet inflationniste qui rend encore plus aléatoire la possibilité pour eux de pénétrer les marchés pertinents comme opérateurs référencés.
C) Le risque de l’affaiblissement et/ou de la disparition des concurrents
1. L’élimination de la concurrence directe entre les parties à l’opération
Les parties à l’opération sont les concurrents les plus proches sur le marché des produits dérivés. Combinée à des parts de marchés élevés, cette proximité de l’offre des parties est un indice significatif de risque d’effets horizontaux en l’absence de concurrents potentiellement efficaces. La nouvelle entité disposerait de plus de 90% des parts de marchés dans la fourniture de produits dérivés en Europe.
En ce sens, il a été constaté une forte concurrence entre les parties notifiantes quant au taux interbancaire offert en euros (Euribor). Cette concurrence n’est pas influencée par l’introduction de nouveaux contrats à terme sur le Euribor par un troisième opérateur dans la mesure où les contrats qu’il propose n’ont pas pour objectif d’attirer les clients de NYX et de DB, mais seulement de leur proposer un service complémentaire.
La Commission en conclut que l’opération entraînerait l’élimination de la principale pression concurrentielle exercée sur NYX. Or, l’élimination de DB, en sa qualité de concurrent le plus proche de NYX, aurait pour effet immédiat d’affaiblir la concurrence potentielle sur le marché concernant plusieurs types de contrats financiers, tels que les contrats portant sur les taux Euribor ou Eonia. Une fois la concurrence éliminée, l’entité fusionnée pourrait être tentée d’augmenter les prix de ses services.
2. Les possibilités de réaction des concurrents actuels ou potentiels seraient très limitées
La Commission a, par ailleurs, examiné si les concurrents présents sur le marché (CME Group, London Metal Exchange (LME), Inter Continental Exchange (ICE), Italian Derivatives Market (IDEM), Nasdaq OMX Nordic, etc.) étaient capables de contraindre, par leurs éventuelles réactions, le comportement de la nouvelle entité fusionnée. Il ressort du test de marché réalisé par la Commission qu’aucun d’entre eux n’était susceptible d’exercer une quelconque pression concurrentielle compte tenu de leur faible part de marché.
En guise d’exemple, notons le cas d’Eurex qui a lancé au cours de l’année 2010 de nouveaux produits dérivés basés sur l’indice Eurostoxx . Le groupe NYX a réagi en lançant à son tour d’autres contrats dérivés basés sur l’indice Eurofirst, destinés à générer en bourse plus de dividendes que les contrats concurrents basés sur l’indice Eurostoxx. La concurrence s’est ainsi révélée comme un processus d’innovation, puisqu’elle est à l’origine du lancement de produits dérivés innovants visant à contrecarrer les prétentions aux gains des concurrents potentiellement efficaces sur les marchés des actions. Il appartenait donc à la Commission de savoir si le lancement de projets innovants par la nouvelle entité était susceptible de restreindre le jeu concurrentiel. Après vérification, l’autorité de concurrence a jugé qu’aucun concurrent des parties à l’opération ne joue un rôle majeur en matière d’innovation. Dans ces conditions, le développement de nouveaux modèles de gestion des risques plus avancés ou performants par la nouvelle entité fusionnée contribuerait inévitablement à renforcer les barrières à l’entrée et, par effet d’entraînement, à limiter la concurrence.
II.- Le rejet de l’efficience économique du projet de concentration
Le règlement (CE) n° 139/2004 sur les concentrations , et plus particulièrement les lignes directrices sur les concentrations horizontales qui l’accompagnent, reconnaissent explicitement la possibilité pour les entreprises – parties notifiantes – d’invoquer des gains d’efficience lorsque la réalisation de leur projet de concentration a pour effet de renforcer leur position dominante ou les mettre en état de monopoliser le marché, remettant ainsi en cause l’équilibre concurrentiel.
C’est la raison pour laquelle la Commission avait décidé d’ouvrir, le 4 août 2011, une enquête approfondie sur le dossier. A cette occasion, la Commission a effectué un contrôle proche du bilan concurrentiel (A) dans le but de se positionner sur le problème de la compensation entre les effets anticoncurrentiels de l’opération de concentration entre DB et NYX et les avantages économiques qui en découleraient (B).
A) Les données négatives du bilan concurrentiel dressé par la Commission européenne
Le bilan concurrentiel est un examen qui s’appuie sur deux registres : le premier, fondé sur la notion de position dominante (dominance test), permet de lutter contre les concentrations qui ont pour objet ou pour effet de créer ou de renforcer une position dominante sur le marché au détriment des entreprises potentiellement concurrentes ; le second évalue les atteintes à la concurrence (competition test) afin de lutter contre les opérations de concentration qui affecteraient de manière substantielle la concurrence sur le marché lorsqu’elle sont l’occasion pour les entreprises disposant d’une position dominante ou d’un fort pouvoir de marché d’exploiter abusivement leur position ou leur pouvoir.
Dans le cadre de cette méthode du bilan, la Commission applique tout spécialement le principe de proportionnalité afin que son contrôle ne porte pas atteinte à la liberté d’action des entreprises, y compris celles qui sont en position dominante à l’image de DB et NYX. Ces dernières sont, en effet, en droit d’accomplir tous les actes nécessaires visant à protéger leurs intérêts commerciaux lorsque ceux-ci sont menacés, sous réserve toutefois que les moyens utilisés ne soient pas abusifs.
En l’espèce, la Commission a estimé que les deux plateformes, Eurex (exploitée par DB) et Liffe (exploitée par NYX) sont les deux concurrentes les plus proches. Elles exercent l’une sur l’autre une contrainte concurrentielle qui disparaîtrait en cas de fusion de DB et NYX, ce qui aurait pour conséquence négative de renforcer le monopole de la nouvelle entité dans les secteurs de la cotation, de la négociation des valeurs mobilières (actions et obligations) et des produits dérivés. En outre, l’entrée de nouveaux concurrents serait plus difficile, entraînant ainsi une baisse des prix et une limitation de l’innovation sur les marchés pertinents.
La Commission européenne a donc proposé aux parties notifiantes de céder ces deux plateformes à des tiers concurrents, comme l’une des conditions essentielles à une autorisation de réaliser l’opération de concentration. Cependant, les actionnaires des deux opérateurs ont refusé de s’en défaire.
B) L’insuffisance des avantages économiques de l’opération de concentration envisagée
Dans l’espoir de convaincre la Commission européenne du bien fondé de l’opération de concentration, les parties lui ont adressé, le 5 septembre 2011, cinq documents annexes visant à démontrer que la fusion projetée entre NYX et DB serait porteuse de forts gains d’efficience au profit des consommateurs (économies d’échelles, synergie des coûts, valorisation des actifs financiers, élargissement des offres de financement aux entreprises, etc.)
Il peut être frappant de constater que les gains d’efficience relevés par les parties, et non contestés par la Commission, en particulier sur les marchés de cotation et de négociation des valeurs mobilières, n’ont pas suffit à convaincre la Commission d’autoriser la fusion entre DB et NYX. S’il en est autrement, cela tient du fait que la compensation de l’effet anticoncurrentiel de l’opération de concentration avec les gains d’efficience dont profiterait la nouvelle entité en position dominante sur les marchés en cause, ne saurait être accordée si les gains d’efficience ne profitent pas immédiatement et directement aux clients et consommateurs finals. L’existence de gains d’efficience ne doit pas se limiter à la protection des intérêts stratégiques et commerciaux de la nouvelle entité en position dominante.
Pour faire sienne cette dernière position, la Commission s’est fondée sur une consultation publique auprès des acteurs de marché (opérateurs concurrents et consommateurs), visant à recueillir leurs avis sur les éventuels gains d’efficience qui seraient susceptibles de découler de l’opération de concentration. Il ressort de cette consultation que la réalisation de gains d’efficience consécutifs à l’opération est seulement probable, puisque l’entité fusionnée aurait les capacités suffisantes pour minimiser ses coûts de production et réaliser des économies d’échelles dans une proportion plus grande que ses concurrents actuels ou potentiels.
La méthode est pourtant contestable pour au moins deux raisons. Sur le plan normatif d’abord, la lecture du considérant n° 29 du règlement (CE) n° 139/2004 laisse à penser que la charge de la preuve de la compensation des effets anticoncurrentiels avec les gains d’efficience pèse en principe sur les entreprises participant à l’opération de concentration : « Pour déterminer l'effet d'une concentration sur la structure de la concurrence dans le marché commun, il convient de tenir compte des gains d'efficacité probables démontrés par les entreprises concernées ». Ensuite, le simple fait de se limiter à une consultation publique qui viendrait contredire les arguments des parties est révélateur à la fois d’une faiblesse de la démonstration et d’une insuffisance de la preuve.
Une application stricte du bilan concurrentiel aurait dû conduire la Commission à mettre en balance, sur la base de preuves suffisantes, au passif de l’opération, les pertes consécutives au renforcement de la position dominante de la nouvelle structure et, à l’actif de l’opération, les gains d’efficience pour les clients. Dès lors que l’actif l’emporte sur le passif, la fusion devrait être autorisée.
Cependant, l’analyse de l’impact concurrentiel se faisant lors de la notification de l’opération, les gains à venir sont largement hypothétiques. C’est pourquoi la Commission exige que le degré de réalisation des gains soit suffisamment élevé et qu’ils présentent de réels avantages pour les consommateurs. Or, en l’espèce, elle estime que la simple réduction des coûts des contrats de produits dérivés ne constitue pas un gain d’efficience réel pour les clients. De plus, selon la Commission, la réduction des coûts des produits dérivés proposés par la nouvelle entité n’est pas clairement établie, mais seulement possible, d’autant plus que les estimations des parties se fondent sur des calculs que la Commission juge imprécis. Enfin, la Commission précise que la réalisation des gains d’efficience dépend de l’existence d’une pression concurrentielle suffisante sur l’entité fusionnée par les autres entreprises concurrentes et de l’entrée de concurrents potentiels, ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce.
En conclusion, ce revers jette sans doute un certain discrédit sur l e raisonnement classique de Commission européenne par rapport à un certain nombre de concentrations économiques, et en particulier les fusions transfrontalières ou les méga-fusions qui pourraient pourtant être bénéfiques aux clients. L’analyse concurrentielle de la Commission est certes cohérente sur le plan juridique stricto sensu, mais contestable d’un point de vue économique. Elle ne prend pas suffisamment en compte le contexte économique dans lequel s’inscrit le projet de concentration entre DB et NYX. La réalité économique des opérations de concentration de dimension européenne ou mondiale a changé du fait de la mondialisation, la globalisation des marchés et les progrès technologiques. Si l’adoption du règlement n° 139/2004 a eu justement pour finalité d’apporter une plus grande souplesse dans la manière d’appréhender ce type d’opération, force est d’admettre, eu égard à l’étude de la décision, que la réforme ne constitue pas vraiment un bouleversement radical du contrôle des concentrations au niveau européen. A l’avenir, DB et NYX vont probablement se tourner vers d’autres zones géographiques pour tenter de constituer avec d’autres opérateurs étrangers un ensemble de taille mondiale.
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Maître Mourad MEDJNAH
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