La Commission arbitrale des journalistes est-elle compétente pour déterminer l'ancienneté d'un journaliste ?

Publié le Modifié le 26/03/2020 Vu 2 830 fois 0
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La Commission arbitrale des journalistes a une compétence délimitée par la loi. Elle fixe le montant de l'indemnité de licenciement dû à un journaliste ayant plus de 15 ans d'ancienneté. Mais est-elle compétente pour arrêter cette ancienneté lorsque celle-ci est contestée par l'une des parties ?

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La Commission arbitrale des journalistes est-elle compétente pour déterminer l'ancienneté d'un journaliste ?

Embauchée en 1990, une salariée invoque en 2008 la clause de cession des journalistes (cf. cette autre publication sur ce sujet).

Son employeur lui verse une indemnité de licenciement équivalente à 14 mois de salaire.

Cette salariée conteste le montant de cette indemnité qui, selon elle, ne tient pas compte de son ancienneté dans la société supérieure à 15 ans.

L'employeur lui répond que si elle était bien journaliste au moment de la rupture du contrat de travail, elle ne l'était pas au moment de son embauche (en qualité de directrice artistique) et qu'elle ne l'est devenue qu'en avril 1994, soit moins de 15 ans avant la date à laquelle elle a invoqué la clause de cession.

La journaliste saisit le Conseil de prud'hommes et, en parallèle, la Commission arbitrale des journalistes.

Cette Commission qui est compétente pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement uniquement lorsque le journaliste a plus de 15 ans d'ancienneté (ou en cas de licenciement pour faute grave, ce qui n'était ici pas le cas) (cf. cette autre publication sur ce sujet), décide de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de prud'hommes.

En juin 2009, le Conseil de prud'hommes juge que la salariée ne peut pas prétendre à une ancienneté en qualité de journaliste professionnelle supérieure à 15 ans.

La Cour d'appel de Paris confirme cette décision et arrête le point de départ de l'ancienneté de la salariée en qualité de journaliste au mois d'avril 1994, ainsi que le soutenait l'employeur.

Le motif qui avait conduit la Commission arbitrale des journalistes a sursoir à statuer ayant disparu, la journaliste décide, nonobstant l'arrêt de la Cour d'appel qui a retenu une ancienneté inferieure à 15 ans, de reprendre la procédure arbitrale.

En novembre 2011, cette Commission arbitrale, après avoir constaté que la Cour d'appel de Paris avait retenu que cette salariée ne pouvait prétendre à une ancienneté supérieure à 15 ans en qualité de journaliste professionnelle, se déclare incompétente pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement.

La journaliste décide d'interjeter appel de cette décision arbitrale.

Il n'est ici pas inutile de rappeler que, selon les dispositions du dernier alinéa de l'article L7112-4 du Code du travail : "la décision de la commission arbitrale est obligatoire et ne peut être frappée d'appel".

On sait toutefois que nonobstant cette disposition, un appel-nullité reste possible.

Sans rentrer ici dans tous les détails, l'appel-nullité est envisageable précisément lorsqu'aucun recours n'a été prévu par le législateur.

Cette voie de l'appel-nullité est toutefois forcément étroite ; elle concerne surtout les hypothèses où un excès de pouvoir a été commis.

S'agissant de la Commission arbitrale des journalistes, c'est donc principalement lorsqu'elle a statué en dehors de son champ de compétences (délimité par la loi) que des appels-nullité ont été jugés recevables et fondés.

Ainsi saisie par la journaliste, la Cour d'appel de Paris ne s'est toutefois pas prononcée sur le bien-fondé de son appel-nullité.

Ce recours a en effet été jugé irrecevable au motif que les conclusions au soutien de cet appel n'ont pas été signifiées dans un délai de 3 mois suivant la date de l'appel alors qu'elles auraient dû l'être dans ce délai.

Pour comprendre cette décision, il faut ici indiquer que depuis quelques années, un appelant doit effectivement conclure dans ce délai de 3 mois. A défaut, son appel est caduc. 

Cette règle, prévue à l'article 908 du Code de procédure civile, n'est toutefois pas applicable devant les chambres sociales des Cours d'appel amenées normalement à examiner les appels des jugements rendus par les Conseils de prud'hommes.

En l'espèce, l'appel-nullité de la journaliste avait été enrôlé, non pas devant une chambre sociale mais devant une chambre civile. 

Il convenait donc, selon la Cour d'appel, de respecter les règles de procédure applicables devant cette chambre et notamment de conclure dans le délai de 3 mois. 

La solution est sévère. Les règles relatives à la Commission arbitrale des journalistes étant prévues au Code du travail, on aurait pu penser que les chambres sociales de la Cour d'appel auraient été naturellement compétentes pour connaître des recours formés contre les décisions de cette Commission arbitrale.

La Cour d'appel de Paris rappelle toutefois que, en principe, les sentences de la Commission arbitrales ne sont pas susceptibles de recours. Si, par exception, un appel-nullité peut être engagé, cette procédure doit alors suivre, conformément à ce que prévoit l'article 1495 du Code de procédure civile, les règles ordinaires applicables devant les Cours d'appel dans le cadre des contentieux avec représentation obligatoire par un avocat. Le délai de 3 mois devait donc être respecté.

La journaliste forme un pourvoi en cassation. Par arrêt du 15 avril 2015, ce pourvoi est rejeté, la Cour de cassation confirme que le respect du délai de 3 mois pour conclure s'imposait dans le cadre d'un appel nullité d'une sentence rendue par la Commission arbitrale des journalistes.

Dura lex, sed lex !

Indépendamment de cette question de procédure, cette affaire conduit à une interrogation.

On ne connait pas précisément les raisons pour lesquelles la journaliste, nonobstant le (premier) arrêt de la Cour d'appel qui a retenu qu'elle n'avait pas 15 ans d'ancienneté, est retournée devant la Commission arbitrale puis a formé un appel-nullité à l'encontre de la sentence de cette Commission retenant qu'elle n'était pas compétente mais on peut facilement imaginer que cette journaliste attendait de l'instance arbitrale une analyse différente de celle retenue par la Cour d'appel sur son ancienneté en qualité de journaliste.

On peut également imaginer que cette journaliste soutenait que l'appréciation de la Cour d'appel de Paris sur cette ancienneté ne s'imposait pas à la Commission arbitrale.

De fait, pour quelle raison cette Commission ne pourrait-elle pas, elle-même, apprécier l'ancienneté d'un journaliste afin de déterminer si elle est ou non supérieure à 15 ans ?

La question mérite d'être posée dès lors que, par exemple, lorsqu'il s'agit d'apprécier le montant de l'indemnité d'un journaliste licencié pour faute grave, la Commission arbitrale n'est pas tenue par la décision d'un Conseil de prud'hommes (ou d'une Cour d'appel) et peut donc estimer que la faute grave n'est pas caractérisée même si, en parallèle, une telle qualification du motif du licenciement a été retenue par les juridictions du travail (cf. cette autre publication sur ce sujet).

Normalement une juridiction est compétente pour apprécier elle-même si elle compétente pour connaître d'un litige. Cette règle devrait donc permettre à la Commission arbitrale (qui est bien une juridiction selon le Conseil constitutionnel) de rechercher si un journaliste a plus ou moins de 15 ans d'ancienneté.

Toutefois, par application des articles L. 1411-1 à L.1411-5 du Code du travail, le Conseil de prud'hommes a une compétence exclusive pour connaître de tous les litiges individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail.

Il s'agit d'une règle de compétence d'ordre public et ce n'est donc que par exception que la Commission arbitrale est compétente dans les strictes limites arrêtées par la loi.

C'est en ce sens qu'il y a plus de 50 ans, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 juillet 1961, a retenu "qu'en estimant que la compétence exceptionnelle de la commission des journaliste, instituée pour fixer souverainement, dans des conditions dérogatoires au droit commun, le montant de l'indemnité de licenciement due au journaliste ayant plus de quinze années de service, ne pouvait être étendue à la détermination de l'existence et de la durée du contrat, lorsque celle-ci, comme en l'espèce était en réalité l'objet principal du litige et faisait l'objet d'une contestation sérieuse, l'arrêt attaqué a fait une exacte application des textes".

Bref, il n'est pas de la compétence de la Commission arbitrale de déterminer l'ancienneté du salarié en qualité de journaliste et la décision rendue sur ce point par un Conseil de prud'hommes ou une Cour d'appel s'impose à elle.

On notera toutefois que dans cet arrêt de 1961, la Cour de cassation fait référence à l'existence d'une "contestation sérieuse" sur la durée du contrat de travail. La Commission arbitrale des journalistes devrait donc pouvoir statuer sans attendre une éventuelle saisine d'un Conseil de prud'hommes lorsque la contestation de cette durée par l'employeur est à l'évidence dilatoire.  

En l'espèce, s'agissant de la journaliste initialement embauchée en qualité de directrice artistique c'est moins la durée du contrat de travail lui-même qui était contestée que celle pendant laquelle cette salariée avait eu le statut de journaliste professionnelle.

Cependant, là encore, la compétence dérogatoire de la Commission arbitrale ne devrait pas lui permettre de déterminer qui peut ou non prétendre au statut de journaliste professionnel, cette appréciation incombant d'une part à la Commission de la carte d'identité professionnelle des journalistes lorsqu'il s'agit de délivrer une carte de presse et, d'autre part, aux juridictions du droit du travail lorsqu'il s'agit d'appliquer les règles propres aux salariés relevant de ce statut. 

Vianney FÉRAUD

Avocat au barreau de Paris  

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