DEVOIR D'HOMMAGES...
En 2005, j’étais en 2ème année de thèse, inscrite à l’Université Montpellier I. Au tournant d’un voyage de recherche au Cameroun, un avocat, maître Pierre BOUBOU, soucieux de voir avancer mes travaux sur le thème du droit de la concurrence dans les espaces communautaires de la CEMAC et de l’UEMOA, m’a mise en contact avec une personne-ressource. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance du MAGISTRAT PIERRE KAMTOH, juge pionner à la Cour de Justice de la CEMAC. Notre rencontre a duré moins d’une heure, mais elle a déterminé le cours de mes recherches, la finalisation de ma thèse et mes orientations académiques. Il a, pour cette raison, mérité des remerciements dans ma thèse, achevée en 2007, diffusée par l’ARNT.
En effet, M. KAMTOH m’avait félicitée pour le choix du sujet et m’avait remis un lot de documents jusque-là inaccessibles, doctrines embryonnaires du droit communautaire de la CEMAC. Ils portaient, certains sur la CJ-CEMAC, d’autres sur le droit institutionnel de cette Communauté. A cette date-là, il existait peu d’articles sur ce droit, encore méconnu. Seuls les juges eux-mêmes, dans une rédaction particulièrement audacieuse, procédaient à l’analyse des textes fondateurs de la Communauté, et même à ceux de son droit matériel. Les documents en question étaient des supports de séminaires de sensibilisation engagés par la Cour dans les 6 Etats membres. Il était lui-même l’auteur de deux textes, dont il a plus tard perfectionné les contenus, portés par la version finale. Il sont largement référencés par nombre de chercheurs et plusieurs promotions d’étudiants du MASTER II des Universités de la sous-région et même à l’étranger. Il s’agit des articles suivants:
- « Le recours en responsabilité extra contractuelle devant la Cour de justice de la CEMAC ». Séminaire de sensibilisation. CEMAC.
- « La mise en œuvre du droit communautaire dans les Etats membres de la CEMAC ».
Ils furent présentés au Séminaire de sensibilisation sur le thème « Droit communautaire et intégration sous régionale » organisé à Libreville du 02 au 06 novembre 2004. L’ensemble des documents de ce séminaire ont fait l’objet d’une publication des EDITIONS GIRAF.
Poursuivant ce qu’il considérait comme étant une mission, il apporta à la connaissance du droit communautaire, entre autres, la contribution suivante :
- « Compétence et procédure de la Chambre judiciaire ». Séminaire de vulgarisation du droit communautaire. Libreville-Gabon, 2009.
On mentionnera ses nombreuses interventions au sein de l’AHJUCAF, toutes largement diffusées sur la toile.
Ma thèse terminée, M. KAMTOH fait partie des amis sûrs qui m’ont vivement recommandé de m’inscrire à l’école des avocats, en 2008. Je n’ai aucun regret d’avoir suivi ce conseil, surtout que, grâce à lui, j’ai pu effectuer un stage de 6 mois à la Cour de justice de la CEMAC, à N’djamena. Je fus affectée à la Chambre judiciaire. Avec ses pairs, il contribua à diversifier les tâches que j’eus à effectuer, afin d’enrichir mes expériences. A ses côtés, j’ai pu jouer un rôle central, comme membre de la Commission de rapport au cours de 3 séminaires organisés par la Cour pendant mon séjour en son sein : au Cameroun, en Centrafrique, au Tchad. Encore, en 2011, ayant déjà accédé au statut d’enseignant-chercheur, je fus sollicitée comme consultante par la CJCEMAC à l’occasion d’un séminaire ; j’eus de nouveau l’honneur de signer, sous sa direction, le rapport final des travaux. Ces opportunités de travail ont été des moments intenses de formation à la vie professionnelle, mais aussi à la vie spirituelle.
Partageant ensemble la même Foi Catholique, il m’a été donnée, à son contact, d’apprécier l’art et la manière d’inclure, nécessairement, l’Évangile, celle de la Bonne Nouvelle, dans son travail. Pour résumer ce que j’ai reçu, quelques mots suffisent, encore que celui qui fut élu en 2010 Président de la Chambre judiciaire de la CJ-CEMAC était peu bavard : ayant acquis le sens de la synthèse, il avait le juste mot, la juste expression, pour dire l’essentiel: La Dignité, en tout et toujours. L’Autre d’abord, toujours. Le Service, toujours, infatigablement et enfin, la Discrétion, partout.
Il engagea en 2011 une vaste entreprise: écrire un livre sur le droit de la CEMAC. Bien qu’elle ait aujourd’hui gagnée en intérêt dans le domaine des sciences juridiques, cette Communauté n’a pas encore suffisamment convaincu pour mériter un ouvrage de la part des universitaires. Je fus une fois de plus sollicitée pour apporter une contribution de chercheure (fournir une bibliographie, qui prenne en compte l’ensemble des publications sur la thématique de la CEMAC) et de formatrice (mise en conformité du document final aux règles méthodologiques).
Travailleur acharné, il entreprit ce travail avec détermination. Acceptant avec modestie mes leçons et mes suggestions, même de style, son sens de la perfection, qui l’incitait à me solliciter souvent, aurait pu me faire perdre patience. Seulement, il m’instruisait sur ses motivations les plus profondes : « la médiocrité est un péché ». J’eus raison de garder patience: j’ai été remerciée par l’auteur PIERRE KAMTOH dans l’ouvrage que l’éditeur avait terminé quelques jours seulement avant sa disparition, le 1er mai 2014, journée internationale des « travailleurs ».
M. PIERRE KAMTOH entre ainsi dans l’Histoire de la recherche sur la CEMAC comme l’auteur du premier ouvrage relatif au Droit institutionnel de la CEMAC. Au cours de ses obsèques officiels à BAHAM, le 31 mai 2014, J’ai eu l’honneur de distribuer, gracieusement, à la demande de Madame sa digne et honorable épouse Suzanne KAMTOH, les 100 premiers exemplaires de cette prestigieuse contribution aux officiels présents, dont le Gouverneur de la Région de l’Ouest, ses pairs de la CJCEMAC et les membres de la Cour Suprême du Cameroun.
Que dire de plus, maintenant que le Président n’est plus dans ma vie? Trois choses:
- Que sa perte est pour moi incommensurable;
- Que sa mémoire est pour moi précieuse;
- Que, maintenant qu’il repose auprès de ce Seigneur qu’il a tant aimé, jamais je ne l’oublierai : est-ce d’ailleurs possible, désormais?
A Vous, Président KAMTOH PIERRE, fidèlement,
Dr Marie-colette KAMWE MOUAFFO