Marché public de gré à gré : L’exception de l'achat public innovant

Publié le 23/01/2023 Vu 2 736 fois 0
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Que faut-il entendre par "achat public innovant" ? Comment signer un marché sur ce fondement ?

Que faut-il entendre par "achat public innovant" ? Comment signer un marché sur ce fondement ?

Marché public de gré à gré : L’exception de l'achat public innovant

 

I.              Quel intérêt ?  

L’achat innovant permet aux acheteurs de passer des marchés publics (en matière de défense et de sécurité également) sans publicité ni mise en concurrence, portant sur des travaux, des fournitures ou des services innovants, pour un montant maximum de 100.000 euros HT.

Dans cette hypothèse, les acheteurs peuvent donc directement conclure avec une entreprise un marché public, sans mise en concurrence.

Ce dispositif présente ainsi l’avantage de supprimer les lourdeurs liées à la consultation de plusieurs entreprises (délais, charge de travail liée à l’analyse des offres, risques associés…) et de simplifier l’acquisition de solutions innovantes auprès de tous types d’entreprises, dans un contexte de facilitation de la mise en relation entre les administrations et les entreprises innovantes.

 

II.            Quelles conditions ?

À titre liminaire, il faut rappeler que ce dispositif n’est pas réservé aux seules PME.

2.1      Que faut-il entendre par achat innovant ?

Le caractère innovant de l’achat est fondamental, puisque, à défaut, le juge pourrait remettre en cause le marché conclu sur ce fondement.

Aux termes de l’article L. 2172-3 du code de la commande publique sur les partenariats d’innovation, les fournitures, services ou travaux sont innovants s’ils sont nouveaux ou sensiblement améliorés.

Le caractère innovant peut résulter :

  • de la mise en œuvre de nouveaux procédés de production,
  • d'une nouvelle méthode de commercialisation
  • d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise.

Il peut donc s’agir d’une innovation technologique, d’organisation ou de commercialisation.

Le guide pratique sur les achats publics innovants de mai 2019 propose de recourir à un faisceau d’indice pour déterminer si l’achat est innovant. Il repose sur deux séries de questions : la première sur le caractère innovant de la solution, et la deuxième sur le caractère innovant de l’entreprise (voir les questions en annexe).

Ce faisceau d’indices prend ainsi en compte :

·    le caractère nouveau du produit, ce qui peut néanmoins et parfois inclure des produits déjà commercialisés. Il a ainsi pu être précisé que « les achats de produits déjà commercialisés par l’entreprise ne relèvent pas du périmètre de l’achat d’innovation. Ils pourront toutefois y être intégrés si la première commercialisation du produit remonte à moins de deux ans et si le produit apporte une réponse à un besoin non couvert ou une réponse nouvelle et améliorée à un besoin existant » (circulaire du 25 septembre 2013  sur le soutien à l’innovation par l’achat public). Pour autant, comme le souligne le guide susvisé, « il n’existe pas de jurisprudence administrative ou européenne qui permettrait de confirmer cette restriction », ce qui pourrait ouvrir plus largement l’appréciation ;  

 ·       le caractère exclusif du produit. Néanmoins, le caractère innovant du produit ne se perd pas du fait d’une éventuelle concurrence d’autres entreprises.

Il semble ainsi possible de recourir à ce dispositif pour l’acquisition d’une solution innovante alors même qu’une solution non-innovante pourrait répondre au besoin ou que plusieurs opérateurs économiques pourraient proposer des solutions innovantes alternatives.

A titre d’illustration, ont été reconnus comme étant de l’achat innovant :

  • La végétalisation de centre-ville de Bordeaux
  • L’utilisation d’un revêtement de sol dans un équipement culturel pour le Département du Nord
  • L’utilisation de drones pour surveiller les réseaux d’Eau de Paris
  • L’utilisation d’un enrobé à base de liant végétal pour la réfection d’une voirie pour l’Indre et Loir
  • La location d’une solution de recharge de véhicules électriques, expérimentation lancée par le Ministère des armées

2.2 Quel montant maximum ?

L’article R. 2122-9-1 du code de la commande publique dispose que les  travaux, fournitures ou services innovants doivent répondre « à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes ».

Un autre seuil est également prévu pour les « lots dont le montant est inférieur à 80 000 euros hors taxes pour des fournitures ou des services innovants ou à 100 000 euros hors taxes pour des travaux innovants et qui remplissent la condition prévue au b du 2° de l'article R. 2123-1 » (article R. 2122-9-1 du code de la commande publique).

Le respect des règles de computation fixées par les articles R. 2121-1 et suivants du code de la commande publique est donc ici fondamental.

 

III.           Quelles  obligations imposées aux acheteurs ?

L’article R. 2122-9-1 du code de la commande rappelle que l'acheteur doit veiller :

 

  • à choisir une offre pertinente,
  • à faire une bonne utilisation des deniers publics
  • à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu'il existe une pluralité d'offres susceptibles de répondre au besoin 

Les acheteurs qui concluaient un tel marché public devaient jusqu’à récemment en faire la déclaration auprès de l'Observatoire économique de la commande publique (cf. arrêté du 26 décembre 2018 relatif à la déclaration des achats innovants prévue par l'article 2 du décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018).

Néanmoins, le décret du 13 décembre 2021 ayant abrogé l’arrêté expérimental du 24 décembre 2018, sans avoir repris l’obligation de notification prévue par cet arrêté, il semblerait que cette obligation de notification ne soit plus d’actualité.

 

Annexe :

 

Séries de questions listées dans le guide de l’achat public innovant  (page 47) :

 

I) Indices relatif à la solution innovante

Par convenance, le terme « solution innovante » sera génériquement employé pour désigner à la fois un bien / service / procédé / méthode.

1.       La solution permet-elle de répondre à un besoin de façon plus performante (en matière de coûts, qualité, délais, aspects environnementaux et/ou sociaux, etc.) ?

2.       La solution existe-t-elle sur le marché ?

o    -  Est-elle répandue au sein du secteur privé ? Du secteur public ? Depuis combien de temps ?

o    -  Correspond-elle à un nouvel usage d’une solution existante (ex : Vélib) ?

o    -  La solution est-elle brevetée ?

3.       Faut-il partiellement adapter la solution aux besoins de la personne publique (pas d’achat « sur étagère ») ?

4.       Faut-il créer une nouvelle solution, car celle-ci est inexistante sur le marché ?

o    -  Faut-il recourir à de la R&D ?

o    -  Doit-elle faire l’objet uniquement de développements à partir des prescriptions de l’acheteur ?

5.       De quel type d’innovation s’agit-il (si les premiers éléments d’analyse sont concluants) ?

II) Indices relatifs à l’entreprise innovante

S’agit-il d’une innovation de rupture (qui bouleverse le marché) ou d’une innovation incrémentale (= qui améliore l’existant, « sensiblement amélioré ») ?

S’agit-il d’une innovationde produit (bien ou service), d’usage, de procédé (méthode de production ou de distribution), de commercialisation (conception ou conditionnement ou promotion ou tarification), d’organisation (lieu de travail, relations extérieures de l’entreprise), innovation sociale ?

S’agit-il d’une innovation « mature », c’est-à-dire en phase de commercialisation, ou plutôt d’industrialisation ? En phase de conception ?

Par convenance, le terme « entreprise » concernera tout type d’entreprises (PME, ETI, GE).
Pour une définition de la PME, se référer à la recommandation européenne 2003/361/CE du 6 mai 2003.

1.       L’entreprise est-elle intégrée à l’écosystème de l’innovation (incubateur, cluster, pôle de compétitivité, INPI, autre...) ?

2.       L’entreprise bénéficie-t-elle de financements en lien avec l’innovation (ex : BPI France, autre ?)

3.       L’entreprise bénéficie-t-elle d’un crédit d’impôt spécifique (CIR, CII) ? Quel est son taux de R&D ces dernières années ? A-t-elle conclu un partenariat avec un organisme de recherche ?

4.       A-t-elle pris des risques importants pour le développement d’une solution innovante (notamment au regard des coûts et des délais induits) ?

5.       L’entreprise a-t-elle remporté des prix, labels, brevets sur la base d’une solution innovante ?

6.       L’entreprise est-elle de création récente (ex : PME, start-up, microentreprise...) ?

NB : les informations relatives à l’entreprise d’innovante participent au faisceau, mais ne doivent pas être survalorisées par rapport aux indices se rapportant à la solution innovante, qui restent prépondérants.

 

Article corédigé avec Florian Cedziollo, mis en ligne le 23 janvier 2023

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