Dans une décision surprenante et polémique rendue le 5 juin 2024, le tribunal judiciaire de Paris a condamné Nicolas G., un ancien étudiant de l’École européenne des métiers de l’internet (EEMI), pour harcèlement moral envers Christophe Ondrejec, l’ancien directeur de l’établissement. Cette condamnation pour des critiques publiées en ligne soulève des questions fondamentales sur la liberté d’expression et le rôle des institutions judiciaires dans la protection des droits individuels et collectifs.
Un jugement déroutant : un ancien directeur au centre de l’affaire
Christophe Ondrejec, qui a dirigé l’EEMI jusqu’en décembre 2022, a intenté une action en justice contre Nicolas G., lui reprochant d’avoir publié à plusieurs reprises des avis négatifs sur l’école et ses pratiques. Les propos de l’élève, bien qu’adressés à "la direction" ou à "l’administration" de l’école, n’ont pas explicitement mentionné Christophe Ondrejec.
Malgré cela, le tribunal a estimé que ces critiques visaient directement l’ancien directeur. Le fait que ces publications aient continué après son départ de l’établissement n’a pas empêché la cour de considérer qu’elles avaient causé à Ondrejec une détérioration de ses conditions de vie et de sa santé mentale, le qualifiant de "victime de harcèlement moral".
Un ancien étudiant réduit au silence
Nicolas G., ancien élève de l’EEMI, avait exprimé publiquement son mécontentement après avoir, selon ses dires, été trompé par des promesses éducatives non tenues, notamment sur un partenariat avec une grande école de commerce. Ses critiques, relayées sur des plateformes comme Facebook, Trustpilot ou encore Google My Business, visaient à alerter d’autres étudiants sur des pratiques qu’il estimait douteuses.
Cependant, ces publications ont été considérées par le tribunal comme une attaque personnelle envers Ondrejec, bien que ce dernier n’ait plus aucun rôle opérationnel au sein de l’école au moment des faits. Ce décalage temporel entre la fonction exercée par Ondrejec et les publications soulève un point central : comment des propos visant "la direction" d’une institution peuvent-ils engager la responsabilité civile et pénale d’un individu qui n’en fait plus partie ?
Un précédent dangereux pour la liberté d’expression
Ce jugement risque de créer un précédent inquiétant. Si critiquer une organisation ou son mode de fonctionnement peut être assimilé à une attaque personnelle contre ses dirigeants passés, où s’arrête la liberté d’expression ? Cette décision pourrait encourager une judiciarisation excessive des critiques légitimes formulées à l’encontre d’entités publiques ou privées.
De plus, cette condamnation soulève une interrogation troublante : doit-on désormais vérifier que les personnes susceptibles d’être touchées par nos propos occupent encore un poste de responsabilité avant d’émettre une critique publique ? Une telle dérive serait non seulement impraticable, mais également contraire à l’esprit même du débat démocratique.
Un recours disproportionné à la justice
Au cœur de cette affaire, on observe un recours disproportionné à des outils juridiques destinés à protéger les individus contre des atteintes graves. Les propos de Nicolas G., bien qu’incisifs, relevaient d’une critique adressée à une institution et non à une personne physique. En qualifiant ces critiques de harcèlement moral, le tribunal de Paris a franchi une ligne dangereuse, risquant de museler des voix dissidentes dans un contexte où la transparence et la responsabilité des organisations sont essentielles.
Une alerte pour tous les lanceurs d’alerte
Au-delà du cas individuel de Nicolas G., cette affaire met en lumière les risques auxquels s’exposent ceux qui souhaitent alerter sur des pratiques qu’ils jugent problématiques. Si exprimer son avis critique, même de manière répétée, peut entraîner des sanctions pénales et civiles, les citoyens pourraient être dissuadés de témoigner ou de signaler des abus.
La France, pays de Voltaire et des Lumières, doit veiller à ne pas sacrifier la liberté d’expression sur l’autel de la protection individuelle, surtout dans des cas où la critique s’adresse à des institutions et non directement à des personnes.
Un appel à la réforme judiciaire ?
Ce jugement est un signal d’alarme pour le législateur et les juridictions supérieures. Il est impératif que cette décision soit réexaminée en appel pour éviter qu’elle ne devienne un précédent nuisible à la liberté d’expression en France. Les critères de définition du harcèlement moral dans un contexte numérique doivent être clarifiés pour éviter de criminaliser des critiques légitimes.
En condamnant un individu pour des propos généraux visant une institution, le tribunal judiciaire de Paris a franchi une limite que de nombreux défenseurs des libertés estiment inacceptable. Cette affaire, au-delà de son caractère individuel, pourrait bien devenir un cas d’école sur les dérives potentielles de la judiciarisation des débats publics.
Conclusion : un jugement à reconsidérer
La condamnation de Nicolas G. ne concerne pas seulement un ancien étudiant et un ancien directeur. Elle remet en question les fondements mêmes de notre liberté d’exprimer des opinions, aussi tranchées soient-elles, sur des organisations publiques ou privées. Si une telle décision fait jurisprudence, c’est tout l’espace démocratique du débat critique qui s’en trouvera restreint.