IL ne s’agit pas d’une interrogation oratoire, mais d’un réel questionnement que je propose au débat, car je n’arrive pas à toucher du doigts un semblant de réponse dans ce mois sacré de méditation et de remise en cause.
On avait compris dans un temps passé que dans un élan « de réformes » sous le haut patronage de certaines institutions financières internationales, que l’Algérie tente de booster la croissance économique du pays via une série de « mesures » dont la privatisation de ses entreprises publiques, justifiée par l’inefficacité productive et les déficits financiers de celles-ci.
On avait compris aussi que la série de réformes juridiques « feuilleton » amorcée par les lois de 1988 jusqu’en 2001, avait pour but de faciliter ce processus de privatisation, même si la vocation de l’entreprise publique économique demeure difficile à cerner en Algérie et que de mon côté, je refuse de tendre l’oreille à cette berceuse de l’état-actionnaire qui veille à ce que ses investissements soient rémunérateurs !
Comment peut-on croire ou plutôt admettre, en défiant toute approche économique (et en faisant offense aux travaux de A.Berle et G.Means) que l’État pourra un jour enfiler le costume d’actionnaire en régulant le marché ?!
Pour l’Algérie, cet essai de laboratoire fut quand même effectué et les résultats furent assez révélateurs, même si des chants de « vuvuzélés » pour reprendre l’expression de Monsieur Mohamed Saîd KAHOUL, clament à l’unisson que transition économique oblige, nous ne partageons pas cet avis et le théâtre des situations des entreprises publiques en faillite et de scandales judiciaires en est la parfaite illustration, mais revenons à l’objet du débat et tâchons de cerner la vocation souhaitée du secteur public marchand en Algérie.
Un corpus juridique rigoriste et fossilisé
Sur le plan juridique, nous pouvons avancer que la période entre 1987 à 1992 fut un tournant dans le corpus législatif constituant le secteur public marchand.
En effet une « dream team » venue d’ailleurs, mais sous la houlette des gouvernements de l’époque, proposa une série d’amendements dans ce sens et avec la bénédiction du FMI.
Mais cette architecture juridique n’a pas pu identifier « les vrais objectifs économiques du pays » suite à ces privatisations, car ce qu’on reproche parfois à la discipline du droit en général et à une catégorie de juristes en particulier, c’est ce manque de discernement des enjeux et dans ce cas de figure des « enjeux socio-économiques ».
Sans s’attarder sur la formulation des textes (le wording proposé), ce corpus législatif et réglementaire avait gardé le même paradigme des années post indépendance où les indicateurs économiques n’avaient pas la même résonnance, mais que le contexte politique (comme toujours) avait pris le dessus sur le contexte économique.
Et comme privatisation des entreprises publiques rime parfois (en Algérie) avec ouverture du capital, les gouvernements qui se sont succédés n’avaient cessé de présenter des plans d’action pour la restructuration du secteur public marchand, dont le dernier présenté par Monsieur Benabderrahmane en 2021 axé autour des thématiques de l’amélioration de la gouvernance et la mise à niveau des entreprises publiques.
Toutefois, le corpus juridique régissant le secteur public marchand n’a pas connu de changements (ni de paradigme, ni d’approche législative), on se contenta de rénover la toiture du contexte économique via des amendements ici et là : code de l’investissement, code du travail, suppression de la règle 51/49,…etc, en espérant améliorer le climat des affaires tout en restructurant ce secteur public marchand.
Les fonds de participation, les holdings publics et les sociétés de gestion de participations de l’Etat ou le monstre de Frankenstein
Pour reprendre la logique de la loi n°88-03, ce fond été censé exercer le droit de propriété pour le compte de l’Etat, ce qui implique ce qui suit ;
- Une tâche de surveillance, il s’agit d’une relation d’agence, entre l’état et ces fonds d’une part, et entre les fonds et les entreprises de l’autre ;
- Promouvoir la gestion décentralisée en s’interposant entre l’Etat propriétaire et ses entreprises ;
- Se doter de capacité de gestion de leurs portefeuilles d’actions et d’entreprises ;
Il n’en sera rien de cela et beaucoup d'experts à l’époque et même de nos jours ont essayé de comprendre les raisons de cet échec.
Survient alors la promulgation de l’ordonnance n° 95-22 relative à la privatisation des entreprises publiques et l’ordonnance n° 95- 25 relative aux capitaux marchands de l’Etat, qui visaient à donner à l’entreprise l’autonomie de disposer de son patrimoine et à mettre en place un schéma organisationnel des entreprises publiques plus efficace par la constitution de « holdings ».
Ces holdings ont été placées sous contrôle du CNPE qui est lui-même placé directement sous le contrôle du chef du gouvernement. Cette action a permis la création de 11 holdings nationaux et 05 holdings régionaux. Le capital social des entreprises publiques a été transféré aux holdings publics conformément aux dispositions de l’ordonnance n° 95-25, dont l’article 4 qui confère au holding public la mission de gérer et d’administrer les actions, titre de participation, certificats d’investissement ou toute autres valeurs mobilières détenues par l’Etat ou souscrites en son nom.
Néanmoins, la complexité des interactions entre ces holdings publics et le CNPE ont créé des conflits de compétence et une lenteur des opérations de privatisation et a rendu encore une fois nécessaire la révision de cette organisation. Les holdings ont été dissous le 12/09/2001.
La vocation des SGP créés en septembre 2001 était d'assurer la détention et la gestion pour le compte de l'Etat des actions et autres valeurs mobilières détenues directement par l'Etat sur les EPE.
Toutefois, cette démarche fort louable via ces SGP afin de séparer l’Etat puissance publique et l’Etat actionnaire n’a pas connu les résultats attendus pour ne pas dire un échec total. Ainsi, en août 2014, on décida de restructurer les SGP en grands groupes industriels.
Là aussi une démarche salutaire d’un point de vue économique visant à faire de ces grands groupes des acteurs dotés d’efficacité et de compétitivité nécessaires pour jouer un rôle de premier plan dans les filières jugées prioritaires et stratégiques pour le pays.
Et si on revient au dernier plan d’action du gouvernement Benabderrahmane qui vise à affranchir le secteur public marchand du soutien financier permanent du trésor et des banques publiques, on remarquera qu’il n’y pas eu un assainissement doctrinal, ni juridique sérieux dans ce sens et encore moins de rétrospective sur les pratiques économiques du passé et une visualisation des enjeux. Au contraire, ce monstre de Frankenstein illustré par les filiales de ces groupes industriels ne cesse de s’engouffrer des ressources financières de l’état, sans que celle-ci puisse « admettre ni voir » les réels enjeux à encourir et dans ce musée des horreurs s’invite aussi les joint-ventures à connotation politique avec des partenaires étrangers, censés ramener ce « know-how » que l’autochtone algérien ne possède pas.
Quelques pistes de réflexion…
Le gouvernement de Monsieur Benabderrahmane avait annoncé une réforme du cadre juridique régissant les participations de l’État, de l’entreprise publique et du partenariat pour l’adapter aux nouvelles exigences que commande la politique de renouveau économique (expression attribuée même comme par hasard à une nouvelle corporation patronale : le CREA !). Cette approche serait en effet le fer de lance pour une restructuration du secteur public marchand, à condition d’associer dans les consultations effectuées par le gouvernement les travaux, études et avis pertinents d’experts algériens dans la sphère de l’économie politique, l’enseignement universitaire et de la recherche, du management afin de consolider les approches et ne pas se contenter des sollicitations de corporations dont les agendas diffèrent de celui du gouvernement.
Pour la privatisation de certaines EPE ou la signature de joint-ventures avec des partenaires étrangers, une attention particulière devrait être accordée par la tutelle lors de la rédaction du pacte d’actionnaires, afin de bien cerner les enjeux économiques et le business modèle souhaité par l’état et éviter toute forme de déviance de l’objet social et des objectifs définis.
Enfin, bien que la dépénalisation de l’acte de gestion demeure au centre des débats, nous pensons que la moralisation de l’activité économique et encore moins politique est une utopie, ou du moins un processus laborieux dans le temps, qui exige avant tout un retour aux valeurs qui forment la citoyenneté de l’algérien penseur et travailleur.