Le dispositif du « lanceur d’alerte », quelles modalités et quelles obligations pour l’employeur ?
La loi Sapin 2[1] du 19 décembre 2016 a défini une règlementation commune à tout lanceur d’alerte, règlementation qui n’existait jusqu’alors que dans des domaines spécifiques.
Ces dispositions ont été complétées par le Décret du 19 avril 2017[2] qui a défini les modalités de mise en place des procédures de recueil des alertes, par les entreprises d’au moins 50 salariés[3].
Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2018.
Bien que ces dispositions soient plus larges, la synthèse qui est proposée ci-dessous se limite aux relations entre employeurs et salariés.
- Le champ d’application de l’alerte
- Définition légale du lanceur d’alerte
Le statut de lanceur d’alerte[4] est réservé à la personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi,
- un crime ou un délit ;
- une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement,
- ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général.
dont elle a eu personnellement connaissance.
- Analyse de cette définition
- La personne à l’origine de l’alerte
Le lanceur d’alerte est obligatoirement une personne physique. Les personnes morales sont en effet exclues de ce dispositif, de même que les personnes ayant déjà pour mission d’alerter ou de faire connaître des faits répréhensibles (notamment les inspecteurs du travail).
- Conditions spécifiques relatives à l’alerte
La personne à l’origine de l’alerte doit révéler les faits :
De bonne foi : il s’agit de l’absence d’intention de nuire. Cette notion s’apprécie également par rapport à la mauvaise foi que la Chambre sociale a définie, en 2012, comme supposant la connaissance par le salarié de la fausseté des faits allégués[5].
De manière désintéressée : qui suppose quant à elle l’absence de recherche d’une compensation financière ainsi que la recherche de l’intérêt général. Une telle définition risque de soulever en pratique des difficultés d’interprétation et de conduire à des litiges.
Dont elle a eu personnellement eu connaissance : afin de s’assurer que les lanceurs d’alerte ne transmettent des informations dont ils n’auraient pas été personnellement récipiendaires, déduites ou déjà divulguées.
- Les comportements visés par le texte
Il convient de noter que la définition légale limite les faits aux crimes et délits, ce qui suppose que les contraventions ne sont donc pas incluses dans le dispositif du lanceur d’alerte.
Par ailleurs, la définition des comportements autres que les crimes et délits est vague et porteuse de contentieux à venir. En effet, une marge d’appréciation semble donnée au juge lorsqu’il s’agira d’apprécier le caractère « grave » d’une violation d’un engagement international, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale, de la loi ou du règlement, ou encore la menace ou le préjudice grave pour l’intérêt général, dès lors que cette troisième possibilité existerait en dehors de toute violation susvisée.
- La procédure de signalement
- Les trois étapes de la procédure
La procédure de signalement des alertes comporte 3 étapes successives et obligatoires
1/ Le salarié doit porter le signalement à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou d’un référent désigné par ce dernier.
2/ Ce n’est que si ce premier destinataire n’a pas vérifié la recevabilité du signalement dans un délai raisonnable que le salarié peut adresser celui-ci à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels.
3/ Et ce n’est qu’en dernier ressort, à défaut de traitement de l’alerte par lesdites autorités, dans les trois mois de leur saisine, que le salarié peut la rendre publique.
Toutefois, par exception, l’alerte peut être portée directement à la connaissance des autorités précitées et être rendue publique en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles.
- Intervention du Défenseur des droits
Le Défenseur des droits a pour mission d’orienter les personnes signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi et de veiller à leurs droits et libertés. Toute personne peut lui adresser son signalement afin d’être orientée vers l’organisme approprié de recueil de l’alerte. Elle ne peut faire l’objet, au motif de cette saisine, de mesures de rétorsion ou de représailles.
En aucun cas le Défendeur des droits peut accorder une aide financière au lanceur d’alerte.
- Mise en place de la procédure : les obligations des employeurs
- Mettre en place une procédure interne
Les entreprises d’au moins 50 salariés doivent établir des procédures appropriées de recueil des alertes émises par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels.
Sauf cas particulier (comme par exemple pour le secteur bancaire et financier), aucune forme particulière n’est imposée, à l’exception des mentions et garanties que de telles procédures doivent contenir :
- Confidentialité des données traitées : une telle garantie concerne en particulier l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires.
Sauf à l’égard de l’autorité judiciaire, les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués qu’avec son consentement et les éléments permettant d’identifier la personne mise en cause ne peuvent l’être qu’une fois établi le caractère fondé de l’alerte.
- Mentions obligatoires
La procédure de recueil des signalements doit préciser les modalités selon lesquelles l’auteur du signalement :
- Adresse celui-ci au supérieur hiérarchique ;
- Fournit les éléments de nature à étayer son signalement ;
- Fournit les éléments permettant un échange avec le destinataire du signalement.
La procédure doit également préciser les dispositions prises par l’entreprise pour :
- Informer l’auteur de la réception du signalement, de la durée raisonnable et prévisible du traitement et des modalités d’information des suites de la procédure ;
- Prévenir l’auteur et les personnes visées de la fin des opérations de vérification[6] de recevabilité du signalement et des faits ;
- Garantir la stricte confidentialité de l’auteur du signalement et des personnes visées ;
- Détruire les éléments d’identification de l’auteur du signalement et des personnes visées. Si l’alerte ne rentre pas dans le champ du dispositif, les données sont détruites ou archivées sans délai. Si l’alerte rentre dans le champ du dispositif, l’organisme chargé de la gestion des alertes doit vérifier les faits recueillis dans un délai de deux mois. A l’issue de ce délai, soit l’employeur engage une procédure disciplinaire ou judiciaire, soit il décide de ne pas donner suite et détruit ou archive les données.
- Désignation d’un référent
Un référent peut être désigné dans le cadre de la procédure de signalement.
Le référent doit être une personne physique ou une entité dotée ou non de la personnalité morale et disposer de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants pour exercer sa mission. Le référent peut être extérieur à l’entreprise.
Il est d’autant plus important de bien choisir le référent pour la raison qu’il doit garantir la confidentialité de l’identité des auteurs des faits. La divulgation d’éléments confidentiels, en contravention avec ces principes, est d’ailleurs passible de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende.
Attention, on notera que le référent n’est pas protégé, ce qui pourrait engendrer une réticence à accepter une telle fonction dans l’entreprise. Il est donc recommandé que le référent soit une personne de bon niveau hiérarchique ou extérieure.
- Sanction en cas d’absence de mise en place et de procédure défaillante
Il n’existe pas de sanction définie stricto sensu par la loi en cas de non-instauration de la procédure.
En revanche, en n’instaurant pas la procédure de signalement appropriée, l’employeur s’expose au risque que le salarié dénonce des faits en passant au niveau 3 de la procédure directement. Par ailleurs, on pourrait imaginer une condamnation sur le fondement de l’obstacle à l’alerte (cf. infra).
Lorsque la procédure de recueil ne respecte pas les dispositions définies ci-dessus, l’employeur s’expose en revanche à une condamnation à 2 ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende.
- Formalités complémentaires
Déclarer la procédure auprès de la CNIL : le recueil et le traitement de données à caractère personnel implique une déclaration préalable auprès de la CNIL, par voie de déclaration simplifiée ou de déclaration normale selon les cas.
Consulter les représentants du personnel : s’agissant d’un dispositif dont le traitement peut permettre le contrôle de l’activité des salariés, il devra faire l’objet d’une information et consultation des représentants du personnel[7].
Informer les salariés : de la mise en place de la procédure de recueil des signalements et de l’identité du référent. La procédure doit être rendue accessible au personnel ainsi qu’aux collaborateurs extérieurs ou occasionnels (information possible par voie électronique).
L’employeur pourra aussi prévoir la formation des salariés au dispositif, même si cela n’est pas obligatoire.
- La protection du lanceur d’alerte
- Le lanceur d’alerte irresponsable pénalement
La personne répondant aux critères de définition du lanceur d’alerte, qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, n’est pas pénalement responsable dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi[8].
Sont cependant expressément exclus du régime de l’alerte, et donc de l’immunité pénale, les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client.
- Protection professionnelle : interdiction des sanctions ou discriminations
Le lanceur d’alerte qui a signalé une alerte dans le respect des dispositions légales ne peut être écarté d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle et ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distributions d’actions, de formation, de reclassement[9]. Les actes ou dispositions contraires à ces interdictions sont nuls[10].
En cas de rupture de son contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte, le salarié peut saisir la formation de référé prud’homal pour obtenir sa réintégration, à condition de réussir à démontrer que la rupture est directement consécutive à la dénonciation.
Depuis le 22 septembre 2017, il est par ailleurs prévu qu’en cas de dénonciation de crimes et délits, le licenciement du salarié auteur de la dénonciation est nul et ce dernier peut prétendre à une indemnité plancher de 6 mois, sans plafond[11].
Pour ce faire, le salarié lanceur d’alerte doit uniquement présenter au juge des éléments de fait permettant de présumer qu’il a signalé une alerte dans le respect des dispositions légales. L’employeur doit alors prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé.
- Répression des obstacles à l’alerte
Toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d’un signalement aux personnes et organismes compétents est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende. Toute personne qui tenterait de négocier pour que cela ne sorte pas de l’entreprise prend donc un vrai risque.
- L’absence de respect des dispositions légales et réglementaires
- Non-respect de la procédure d’alerte
Le salarié qui ne respecte pas la procédure de recueil des signalements ne peut bénéficier de la protection prévue par la loi Sapin 2 au titre du lancement d’alerte ou en cas de violation d’un secret protégé.
- Conséquences de la dénonciation des faits de mauvaise foi
Dans le cas d’un signalement de mauvaise foi, le salarié qui aurait connaissance du caractère mensonger des faits dénoncés ne pourrait plus bénéficier de la protection du lanceur d’alerte.
De ce fait, il encourrait des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement et pourrait être poursuivi pénalement[12]. Il pourrait engager sa responsabilité civile et être condamné à verser des dommages et intérêts.
[1] Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, appelée « Sapin 2 », relative à la transparence à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
[2] Décret n°2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte
[3] Les entreprises d’au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros ayant des obligations spécifiques dans le cadre de la mise en place d’un programme « anti-corruption »
[4] Article 6 de la loi Sapin 2
[5] Cass. Soc. 7 février 2012 n° 10-18035
[6] A noter que l’avocat peut parfaitement réaliser de telles vérifications dans le cadre de son pouvoir d’enquête
[7] Article L2312-38 du Code du travail - nouveau
[8] Article 122-9 du Code pénal
[9] Article L1132-3-3 al 2 du Code du travail
[10] Article L1132-4 du Code du travail
- Attention car ce déplafonnement ne vise qu’une seule catégorie de lanceurs d’alerte alors que la loi Sapin II prévoit une définition plus large.
[12] Condamnation pénale pour dénonciation calomnieuse par exemple, avec des peines maximales de 5 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende en application de l’article 226-10 du Code pénal.