Cet arrêt rendu par la cour d’appel de Besançon le 22 novembre 2019 concerne une ancienne salariée contestant son licenciement, et fait ressortir un principe de droit contradictoire et intéressant : la loi applicable à un procès est celle qui est valide au moment des faits, tandis que la jurisprudence à laquelle la cour se réfère est la jurisprudence contemporaine au procès.
En l’occurrence, l’ancienne salariée demande la requalification de la rupture de contrat, qui était qualifée de rupture amiable, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle demande aussi le paiement d’indemnités pour le fait qu’elle n’ait pas eu de visite médicale.
I – Les faits : contrat de travail entre le docteur LW et Madame NV
Madame NV travaillait pour le cabinet médical du docteur DW, en tant qu’aide-soignante, à temps partiel, à raison de 20h par semaine. Le docteur DW souhaite modifier son emploi du temps en raison de nouvelles obligations en dehors de son activité, et propose une diminution du temps de travail de Madame NV. Cette dernière refuse, suite à quoi le docteur DW l’a convoquée à un entretien de licenciement et lui a proposé de signer un contrat de sécurisation professionnelle. Madame NV accepte et signe ledit contrat.
Pendant sa durée d’exercice, Madame NV n’a pas eu de visite médicale, ce fait n’est pas contesté durant la procédure.
II – Les prétentions de Madame NV et du docteur LW
Madame NV demande que son licenciement, qualifié avant jugement de rupture amiable, soit requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et demande des dommages et intérêts à la fois pour son licenciement et pour le fait qu’elle n’ait pas eu sa visite médicale.
Le docteur LW demande que Madame NV soit déboutée de ses demandes.
III – Réponse des juges du fond : confirmation du jugement à l’encontre du docteur LW
A – Quant au licenciement sans cause réelle et sérieuse
La cour d’appel de Besançon a statué en faveur de Madame NV, et indique que tant que la modification des emplois du temps n’est pas faite pour pallier des difficultés économiques ou pour préserver la compétitivité, elles ne peuvent, même en cas de refus, être motif pour un licenciement économique.
La cour d’appel a augmenté l’indemnisation déterminée par les juges de première instance.
B – Quant à la demande d’indemnisation pour l’absence de visite médicale
Quant à l’absence de visite médicale, celle-ci n’est pas contestée.
Cependant, le docteur LW conteste le fait que cette visite ait été obligatoire, et tente de se prévaloir d’une disposition juridique qui est apparue en 2017. Cependant, les faits datant de 2014, les juges d’appel ont indiqué que le droit applicable était le droit en vigueur à l’époque des faits, et ont confirmé que la visite médicale était obligatoire.
Cependant, pour ce qui est de la demande d’indemnisation de Madame NV, les juges ont statué et cité la jurisprudence de la Cour de Cassation. Cette jurisprudence est la notion de « préjudice nécessaire », qui a été adoptée par la Cour de Cassation en 2003 et abandonnée en 2016. Cette notion indiquait qu’un salarié privé de l’un de ses droits subissait nécessairement un préjudice à compenser par l’employeur. La cour d’appel indique expressément qu’il ne faut pas appliquer cette notion qui a été abandonnée en 2016*, bien que les faits datent de 2014.
IV – Discussion sur le paradoxe temporel du droit applicable
Ainsi, lors d’un jugement, les juges prennent en compte la loi qui était applicable lors des faits, tandis que la jurisprudence à laquelle les juges se réfèrent est la jurisprudence contemporaine.
Cela s’explique par le fait que la loi écrite est immuable, tandis que la jurisprudence est son interprétation, et qu’un avis peut changer. Cependant, la jurisprudence est utilisée par les conseils juridiques qui accompagnent les entreprises et les personnes. Ainsi, le jugement sur une même affaire ne sera peut-être pas le même en fonction de la date. Cela peut rendre les stratégies douteuses qui consistent à faire traîner les procès en multipliant les procédures et les recours plus pertinentes. Ces stratégies ont pour but de décourager la partie adverse, mais peuvent aussi permettre de gagner un procès en cas de revirement de jurisprudence.
*La notion de préjudice nécessaire a été abandonnée en 2016, lorsque la chambre sociale de la cour de cassation a jugé que « l’existence d’un préjudice et l’évaluation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ».