Par Isabelle ARPAÏA avocat fiscaliste au Barreau de Paris
M. et Mme A. ont fait l’objet d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années d’imposition 1998 et 1999.
Ils ont reçu trois courriers de l’administration les 6 avril, 2 mai et 6 juin 2001, où des entretiens leur ont été proposés par les vérificateurs en charge du contrôle. Ils ne se sont pas manifestés.
En outre, des demandes de renseignements leur ont été adressées les 6 avril et 6 juin 2001. Les époux A ne donnent aucune suite.
Enfin, une demande de justification leur a ensuite été adressée en application de l’article L. 16 du livre des procédures fiscales, le 2 août 2001, qui portait sur plus de quarante crédits bancaires, dont un versement de 2 499 940 francs effectué au profit de M A le 27 janvier 1998.
M. A a indiqué en réponse à cette dernière demande que cette somme correspondait à un virement de la société S and S Ltd, ayant pour origine, la cession pour 2 500 000 francs de parts sociales qu’il détenait à la suite d’une opération de défiscalisation outre-mer, dans la société T.
Le service vérificateur, a procédé à l’envoi d’une mise en demeure de compléter leur première réponse, à laquelle il a répondu par la fourniture d’un certificat de virement et de la convention de cession des parts.
Les explications de M. A.ont paru insuffisantes pour l’administration fiscale, dans la mesure où l’acte de cession des parts communiqué par M A stipulait un prix de 1 franc et où la société T présentait une situation nette fortement négative, alors que les justificatifs demandés concernaient une cession de 2 500 000 francs.
Le service vérificateur a procédé à la taxation d’office de cette somme à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales entre les mains de M. et Mme A..., en application d’une procédure d’imposition d’office conformément aux dispositions de l’article L. 69 du livre des procédures fiscales.
Les époux A ont demandé la décharge des sommes correspondantes devant le tribunal administratif de Besançon aux motifs que d’une part ils avaient été privés du caractère contradictoire que doit revêtir un ESFP, et d’autre part, que la taxation selon la procédure d’imposition d’office n’était pas fondée,
Ce dernier, par un jugement en date du 20 mars 2008, a rejeté leur demande.
La cour administrative d’appel de Nancy a rejeté a confirmé la position tribunal administratif de Besançon.
Dans sa décision du 30 janvier 2013, le Conseil d’Etat a confirmé les arrêts des juges du fond.
La problématique juridique posée concerne d’une part le fait de savoir jusqu’où l’administration fiscale devait aller dans la recherche du débat contradictoire dans le cadre des opérations de contrôle (I) et d’autre part, si la mise en œuvre de la procédure d’imposition d’office prévue par l’article L.69 du Livre des procédures fiscales en présence d’une réponse à une demande d’éclaircissements prévue par l’article L16 du LPF était fondée (II)
I) Sur la recherche du débat contradictoire dans le cadre des opérations de contrôle fiscal
Lors des opérations de contrôle fiscal, l'administration fiscale questionne le contribuable sur toutes les omissions, erreurs ou insuffisances du contribuable pour entendre sa réponse dans le cadre du débat contradictoire. Cette discussion imposée par la loi a notamment vocation à assurer un équilibre entre le contribuable et l’administration.
De manière générale, le débat contradictoire permet au contribuable de se défendre c'est-à-dire d’être mis en situation de s’expliquer pour faire échec à une conclusion hâtive ou erronée de la part des services fiscaux, qui pourraient avoir des conséquences fiscales et financières désastreuses.
Ce débat contradictoire est donc une obligation qui s’impose à l’administration fiscale pour rééquilibrer les pouvoirs entre l’usager et l’administration.
Elle est prévue par la loi dans les articles L.47 à 50 du livre des procédures fiscales. Elle débute par l’obligation d’informer le contribuable d’un contrôle par l’envoi d’un avis, et de préciser les années soumises au contrôle, ainsi que l’obligation de mentionner la faculté de se faire assister d’un conseil.
Elle se poursuit par l’obligation d’instaurer un dialogue. En effet, la charte du contribuable vérifié impose à l’administration de rechercher un dialogue contradictoire sur les points qu’il envisage de retenir.
Cette charte remise obligatoirement avant chaque début des opérations de contrôle, en même temps que l’envoi de l’avis de vérification de comptabilité ou l’avis d’ESFP, est opposable à l’administration en vertu des dispositions du 4ème alinéa de l’article L10 du livre des procédures fiscales selon lesquelles :
« Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration »
Dans le cadre d’une vérification de comptabilité, le débat oral et contradictoire se présume lorsque les opérations de contrôle se déroulent dans les locaux de l’entreprise ou à l’endroit où se trouve la comptabilité sur demande du représentant légal de l’entreprise.
En matière d’ESFP, il est présumé que ce débat a eu lieu lorsque le service vérificateur a rencontré au moins deux fois le contribuable.
Enfin, la charte des droits et obligations du contribuable vérifié exige que le vérificateur ait recherché un tel dialogue avant d’avoir recours à la procédure contraignante de demande de justifications prévue à l’article L. 16 du livre des procédures fiscales.
La question qui se pose au cas d’espèce, est de savoir si l’administration a eu recours à la recherche du dialogue avant d’avoir recours à la procédure contraignante de demande de justifications.
Au cas particulier, l’administration a tenté d’entrer en contact avec M et Mme A à plusieurs reprises.
- trois courriers de l’administration les 6 avril, 2 mai et 6 juin 2001, où des entretiens ont été proposés par les vérificateurs en charge du contrôle,
- des demandes de renseignement lui ont été adressées les 6 avril et 6 juin 2001,
Cependant, ces tentatives sont elles suffisantes. Ces démarches ont-elles favorisées cette recherche de débat contradictoire? Quel rôle le contribuable doit-il avoir dans cette recherche du débat contradictoire ? En ne favorisant pas un débat contradictoire écrit, l’administration a-t-elle bafoué une des garanties offertes au contribuable ?
Le Conseil d’état a, le 30 janvier 2013 dans sa décision n°335191, statué de la façon suivante :
Il ne résulte ni de l’article L10 du livre des procédures fiscales, ni de la charte du contribuables vérifiés à laquelle l’article L10 renvoie, ni d’aucun principe qu’il incomberait au vérificateur de rechercher un dialogue sous forme écrite dans l’hypothèse où le contribuable n’aurait pas donné suite à une ou plusieurs offres de dialogue oral.
Ainsi, le Conseil d’Etat a pu constater les différentes tentatives faites par le service vérificateur pour engager un dialogue oral avec M. et Mme A
Il a aussi constaté que ces derniers n’avaient pas répondu favorablement aux demandes d’entretien et donc aux propositions de débat contradictoire de l’administration.
Enfin, il a mis en exergue que l’absence de dialogue dont se plaignaient ces derniers résultait de leur propre attitude et non de celle de l’administration. Par conséquent, il ne pouvait être reproché à l’administration fiscale d’avoir engagé la procédure contraignante prévue par l’article L.16 du LPF dés lors que les époux A refusait tacitement le débat oral et contradictoire.
Par conséquent, si la recherche du débat contradictoire s’impose à l’administration, cette préoccupation incombe aussi au contribuable, qui ne doit pas mettre en échec les tentatives de dialogue proposées par le service vérificateur. Le Conseil d’Etat en n’exigeant pas un débat contradictoire écrit et en ne sanctionnant pas l’administration rappelle que ce débat contradictoire doit demeurer oral.
II- Sur le contenu d’une réponse à une demande d’éclaircissement fondée sur l’article L16 du LPF
L’article L. 16 du livre des procédures fiscales prévoit qu’en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des justifications sur tous les éléments servant de base à la détermination du revenu foncier, des gains de cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux.
La demande doit être obligatoirement faite par lettre recommandé avec avis de réception.
Le service doit aviser le contribuable des conséquences résultant pour lui d’un éventuel refus de répondre ou d’une réponse assimilée à ce cas de figure en raison de son imprécision, ou à un défaut de réponse.
Ce délai de réponse ne peut être inférieur à 2 mois.
En cas de défaut de réponse à une demande d'éclaircissements ou de justifications, l’article L.69 du même livre dispose que sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16.
Selon la doctrine administrative (BOI-CF-IOR-50-30-20130415) les réponses aux demandes de renseignements adressées aux contribuables qui ont régulièrement souscrit leur déclaration d'ensemble des revenus conduisent, soit au classement des éléments recueillis, soit à la proposition d'une rectification en suivant la procédure prévue par l'article L. 55 du livre des procédures fiscales (LPF)
Il en est de même des réponses aux demandes d'éclaircissements ou de justifications adressées, le cas échéant, à l'intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 16 du LPF.
Toutefois, en cas d'absence ou de refus de réponse à ces dernières demandes, ou encore en cas de réponses équivalant par leur imprécision à un défaut de réponse, l'administration est en droit d'établir l'imposition par voie de taxation ou d'évaluation d'office conformément aux dispositions des articles L. 69 du LPF et suivants.
Ainsi, si le contribuable répond dans les délais, il n'y a pas, en principe, application de la procédure d'évaluation d'office, à moins que la réponse puisse être assimilée à un véritable refus de répondre.
Toutefois, lorsque, à l'issue du délai de deux mois les explications fournies sont insuffisantes ou nécessitent des justifications, une mise en demeure l'invitant à compléter sa réponse dans les trente jours lui est adressée.
La mise en demeure doit indiquer expressément :
- les éléments de la réponse initiale à compléter ou à préciser ;
- les justifications manquantes.
Ce n'est que dans l'hypothèse où, dans le délai de trente jours imparti, le contribuable n'a pas répondu par écrit à la mise en demeure ou que sa réponse reste insuffisante ou encore n'est pas appuyée des justifications indispensables, qu'il peut être regardé comme s'étant abstenu de répondre et que, par suite, le service est en droit d'appliquer la procédure d'évaluation d'office.
Au cas d’espèce, l’administration a procédé dans un premier temps après avoir tenté à rencontrer les époux A, à l’envoi d’une demande de justification fondée sur l’article L.16 du LPF, le 2 août 2001. qui portait sur plus de quarante crédits bancaires, dont un versement de 2 499 940 francs effectué au profit de M A le 27 janvier 1998.
En réponse à cette demande, les époux A ont indiqué que le versement en question correspondait à un virement bancaire ayant pour origine la cession de parts sociales détenues à la suite d’une opération de défiscalisation outre mer.
Le service vérificateur a alors considéré que les explications étaient insuffisantes et a alors procédé à l’envoi d’une mise en demeure de compléter ces informations.
M et Mme A ont alors communiqué l’acte de cession des parts qui stipulait un prix de 1 franc alors que le justificatif demandé concernait une cession de 2 500 000 francs.
L’administration au travers de ces demandes contraignantes a cherché à établir dans ce cas également un débat contradictoire avec le contribuable.
C’est pourquoi, en l’espèce, le Conseil d’état dans sa décision n° 335191 a considéré « qu’aux termes de l’article L. 69 du livre des procédures fiscales sont taxés d’office à l’impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d’éclaircissements ou de justifications prévues à l’article L. 16. “ ; que, pour l’application de cette disposition, les contribuables qui apportent aux demandes de l’administration des réponses dépourvues de vraisemblance, qui ne permettent pas, de ce fait, de justifier tant de l’origine que de la nature des sommes portées au crédit de leurs comptes bancaires, doivent être regardés comme s’étant abstenus d’y répondre »
En refusant de répondre aux demandes contraignantes de l’administration prévues par l’article L.16 du LPF, les époux A se trouvent sanctionnés par la mise en œuvre de la procédure d’imposition (article L.69 du LPF).
Cependant, contrairement aux autres cas de procédures d'office, les rehaussements ne doivent pas seulement être portés à la connaissance du contribuable pour qu'il en soit simplement informé ; ils doivent, en pratique, lui être notifiés pour qu'il exprime son accord ou qu'il présente ses observations dans le cadre d'une procédure qui lui permettra, en cas de désaccord persistant, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
En effet, l'article L.76 du LPF, a prévu la possibilité de saisir la commission départementale, à l'initiative des contribuables ou de l'administration, à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle lorsque le désaccord persiste sur les rehaussements notifiés.
En tout état de cause, la décision du conseil d’Etat rappelle dans cette décision, l’importance pour le contribuable vérifié de répondre le plus complètement, précisément et vraisemblablement aux demandes d’éclaircissements ou de justifications de l’administration.