Le coût d'acquisition d'un logement adapté au handicap peut être indemnisé lorsque les aménagements du logement sont trop lourds pour être compatibles avec la location.
Par un arrêt du 18 mai 2017, la Cour de Cassation rejette le pourvoi qui critiquait l'indemnisation par une Cour d'Appel du coût d'acquisition d'un logement par une victime qui vivait chez ses parents au moment de son accident.
La Cour de Cassation considère que c'est à juste titre que la Cour d'Appel de Douai a énoncé "qu'en présence d'un dommage corporel, le poste de préjudice indemnisant les frais de logement adapté couvre le surcoût financier d'acquisition d'un logement mieux adapté au handicap, ainsi que les frais d'aménagement de celui-ci".
Cet arrêt s'inscrit dans la continuité d'une jurisprudence constante depuis un arrêt du 11 juin 2009 (Cass. Civ. 2e, 11 juin 2009, n° 08-11.127) qui avait affirmé que le coût d'acquisition d'un logement adapté au handicap de la victime devait être indemnisé lorsque les aménagements nécessaires à ce dernier étaient incompatibles avec le caractère provisoire d'une location. (Cass. Civ 2e, 3 novembre 2011, n° 10-26.997, 5 février 2015, n° 14-16.015 et 14 avril 2016, n° 15-16.625 et n° 15-22.147)
Toutefois, il semble que cet arrêt précise à nouveau les contours de cette jurisprudence sur un élément.
En effet, la victime étant jeune (26 ans), elle vivait encore chez ses parents et n'avait donc pas de logement propre avant l'accident.
Le principal argument du FGAO a d'ailleurs été de dire "que M. Eddy X... aurait quitté le domicile familial même si l'accident n'était pas survenu", ce qui aurait été de nature à exclure l'indemnisation de l'acquisition d'un logement pour ne retenir que les simples aménagements.
La Cour de Cassation n'est pas de cet avis puisqu'elle a considéré "que M. X..., qui était âgé de 26 ans au jour de l'accident, résidait au domicile de ses parents, lequel est devenu inadapté aux besoins de son handicap, que l'importance de ce handicap et l'usage permanent d'un fauteuil roulant justifient, selon le rapport d'expertise, des aménagements du logement suffisamment lourds pour qu'ils soient incompatibles avec le caractère provisoire d'une location, que le changement de lieu de vie n'est donc pas un choix purement personnel (...), que les frais que M. X... a dû engager pour acquérir un terrain et faire construire un logement adapté à son handicap sont directement imputables aux séquelles provoquées par l'accident".
Par conséquent, le fait que la victime était jeune et n'avait pas encore quitté le domicile de ses parents au moment de l'accident est sans incidence sur l'indemnisation de l'acquisition d'un logement adapté au handicap.
Références
Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 18 mai 2017
N° de pourvoi: 16-15912
Publié au bulletinRejet
Mme Flise , président
SCP Gadiou et Chevallier, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le second moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 février 2016), que le 24 janvier 2000, M. A... a été victime d'un accident de la circulation alors qu'il était passager d'un véhicule conduit par Fabio Z..., qui est décédé dans la collision ; qu'un protocole d'indemnisation a été conclu, exception faite des postes du logement, de l'aménagement du véhicule automobile, des aides techniques et des frais de soins non remboursés et restant mensuellement à charge ; que par arrêt du 2 décembre 2004, le contrat d'assurance afférent au véhicule impliqué dans l'accident a été annulé ; que M. A... a assigné en indemnisation de ses préjudices le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO), en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Lille ; qu'il a ensuite assigné en intervention forcée Mme Y... et M. Z..., en qualité d'héritiers de Fabio Z... ; que Mme Z..., soeur de Fabio Z..., et la mutuelle SMH ont été appelées en intervention forcée en cause d'appel ;
Attendu que Mmes Y... et Z... font grief à l'arrêt de condamner in solidum les héritiers du responsable du dommage à payer à la victime la somme de 314 636,52 euros, au titre de l'acquisition du terrain, de la construction et de l'aménagement d'un logement adapté, alors, selon le moyen, qu'en présence d'un dommage corporel, le poste de préjudice indemnisant les frais de logement adapté couvre le surcoût financier d'acquisition d'un logement mieux adapté au handicap, ainsi que les frais d'aménagement de celui-ci ; qu'en condamnant in solidum les héritiers du responsable du dommage à indemniser la victime de la totalité des frais d'acquisition du terrain, de construction de la maison et d'adaptation de celle-ci au handicap, pour une somme totale de 314 636,52 euros, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;
Mais attendu qu'ayant relevé que M. A..., qui était âgé de 26 ans au jour de l'accident, résidait au domicile de ses parents, lequel est devenu inadapté aux besoins de son handicap, que l'importance de ce handicap et l'usage permanent d'un fauteuil roulant justifient, selon le rapport d'expertise, des aménagements du logement suffisamment lourds pour qu'ils soient incompatibles avec le caractère provisoire d'une location, que le changement de lieu de vie n'est donc pas un choix purement personnel mais a été provoqué par les séquelles de l'accident, qu'il n'est d'ailleurs pas démontré que le coût financier de l'acquisition d'un immeuble déjà construit et de ses travaux d'adaptation soit inférieur à l'option prise par la victime de faire construire en tenant compte des contraintes matérielles de son handicap, que les frais que M. A... a dû engager pour acquérir un terrain et faire construire un logement adapté à son handicap sont directement imputables aux séquelles provoquées par l'accident, la cour d'appel en a exactement déduit que la victime devait être indemnisée des frais d'acquisition d'un logement adapté ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mmes Y... et Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à M. A... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour Mmes Y... et Z...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer et à enjoindre Monsieur Eddy A... de justifier du versement de la prestation de compensation du handicap ;
Aux motifs que : « la prestation de compensation du handicap prévue par les articles L. 245-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles a pour objet de financer les surcoûts liés au handicap dans la vie quotidienne (aides humaine et techniques, aménagement du logement et du véhicule, produits liés au handicap) et est versé par le département ;
Que la PCH ne figure pas dans la liste des prestations énumérées par l'article 29 ou par l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985 ouvrant droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur ; que l'article 33 du même texte dispose que « hormis les prestations mentionnées aux articles 29 et 32, aucun versement effectué au profit d'une victime en vertu d'une obligation légale, conventionnelle ou statutaire n'ouvre droit à une action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur. Toute disposition contraire aux prescriptions des articles 29 à 32 du présent article est réputée non écrite à moins qu'elle ne soit plus favorable à la victime » ; que le département ne dispose donc d'aucun droit de recours sur cette prestation ;
Qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de déduire la PCH qu'a perçu ou qu'est susceptible de percevoir M. Eddy A... des indemnités allouées ;
Qu'en conséquence, les demandes du FGAO visant à inviter M. Eddy A... à justifier du montant de la PCH perçue, à présenter une réclamation au titre de la PCH et à surseoir à statuer dans l'attente seront rejetées » (arrêt, p. 11, § 2-5) ;
Alors que les exposantes faisaient valoir, à l'appui de leur demande de sursis à statuer sur la prestation de compensation du handicap, qu'il appartenait à Monsieur Eddy A... de justifier du montant versé par le département à ce titre afin d'éviter d'indemniser deux fois le même préjudice ; qu'en retenant, pour débouter Mesdames Y... et Z... de leur demande de sursis à statuer, que le département, qui a versé la prestation de compensation du handicap, ne disposait d'aucun recours subrogatoire à l'encontre du responsable de l'accident, sans répondre au moyen tiré de ce que le sursis et l'injonction de justifier du montant du versement de ladite prestation permettaient de connaître exactement les chefs de préjudices indemnisés à ce titre et d'éviter d'indemniser deux fois le même chef de préjudice (conclusions d'appel p. 8 et 9), la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum les héritiers du responsable du dommage à payer à la victime la somme de 314 636,52 euros, au titre de l'acquisition du terrain, de la construction et de l'aménagement d'un logement adapté ;
Aux motifs que « 4) sur les frais d'aménagement du logement
M. A... fait valoir que le surcoût de surface de son logement doit tenir compte non seulement de la nécessité de circuler en fauteuil et de ranger le matériel médical mais aussi de celle de disposer d'une pièce supplémentaire à usage de lieu de repos pour l'auxiliaire de vie, d'un garage d'une surface suffisante pour y garer un véhicule auquel il pourra accéder en fauteuil roulant ; qu'il doit pouvoir aménager des rails de transfert entre la chambre, la salle de bains et le salon ; que des travaux extérieurs sont aussi justifiés pour permettre la circulation en fauteuil, les ouvertures automatiques de portes. Il sollicite donc le coût d'acquisition du terrain, de construction de la maison et de ses aménagements intérieurs et extérieurs, soit 349.586,06 euros.
Le FGAO considère que M. Eddy A... aurait quitté le domicile familial même si l'accident n'était pas survenu et que son handicap ne justifie que la prise en charge du surcoût des surfaces éventuelles et de l'aménagement du logement. Il ajoute que l'achat d'une habitation relève d'un choix strictement personnel, qu'une pièce supplémentaire ne s'impose pas pour la tierce personne qui doit pouvoir intervenir à tout moment, et que de nombreux aménagements ne sont pas nécessaires dès lors que M. Eddy A... bénéficie de l'aide d'un tiers en permanence, lequel peut accomplir ces tâches. Il offre donc la somme de 69.600 euros, correspondant au chiffrage par l'expert du coût de surface supplémentaire, d'un rail de transfert, d'un soulève-personne, d'un visiophone et de la réalisation d'un trottoir et d'une allée en macadam.
M. A... qui était âgé de 26 ans au jour de l'accident résidait au domicile de ses parents, lequel est devenu inadapté aux besoins de son handicap ce qui n'est pas remis en cause. L'importance de ce handicap et l'usage permanent d'un fauteuil roulant justifient selon le rapport d'expertise des aménagements suffisamment lourds pour qu'ils soient incompatibles avec le caractère provisoire d'une location. Le changement de lieu de vie n'est donc pas un choix purement personnel mais a été provoqué par les séquelles de l'accident. Il n'est d'ailleurs pas démontré que le coût financier de l'acquisition d'un immeuble déjà construit et de ses travaux d'adaptation soit inférieur à l'option prise par la victime de faire construire en tenant compte des contraintes matérielles de son handicap. En conséquence, il n'y a pas lieu de limiter l'indemnisation au seul surcoût d'une surface plus importante, mais d'indemniser de tous les frais que M. A... a dû engager pour acquérir un terrain et faire construire un logement adapté à son handicap, lesquels sont directement imputables aux séquelles provoquées par l'accident et il convient de l'en indemniser.
L'expert désigné par la cour a observé que la maison individuelle construite par M. A..., avec les préconisations d'un ergothérapeute, présentait les caractéristiques suivantes : absence de marche, douche italienne, lavabo avec tuyaux décalés pour éviter les brûlures, interphone-visiophone à la porte d'entrée, surface plus importante pour permettre la circulation en fauteuil roulant, le rangement du matériel médical, l'installation d'un lit médicalisé plus grand, et la construction sur un côté de la maison d'un trottoir en macadam de 1,50 mètres de large et d'une allée jusqu'au garage.
Il ajoute que des aménagements complémentaires sont nécessaires et notamment un rail de transfert entre le lit et le fauteuil roulant, d'une longueur de 2 mètres, un rail avec lève-patient motorisé et un soulève personne mural dans la salle de bains ainsi qu'une allée en macadam tout autour de la maison.
Sont versées aux débats plusieurs factures en lien avec cette acquisition et ces travaux d'aménagement initiaux, lesquelles ne mettent en évidence aucun caractère somptuaire des dépenses. Toutefois, il sera observé que l'attestation relative au coût total de la construction (167.702 euros incluant le coût de la construction, les avenants, les prestations complémentaires selon cahier des charges de l'ergothérapeute) détaille notamment des frais annexes évalués à 15.596 euros qui correspondent à des factures dont M. Eddy A... demande par ailleurs le remboursement (frais de raccordement, de branchement, débroussaillage et abattage d'arbres, modification des soubassements). Il n'y a donc pas lieu de prendre en considération ces factures déjà incluses dans la somme de 167.702 euros.
Le système d'alarme intérieure et de portail à ouverture par télécommande sera pris en compte, s'agissant d'équipements habituels, de même que les aménagements extérieurs. En définitive, le coût de la construction du logement tel qu'il a été supporté par M. Eddy A... est le suivant :
- acquisition du terrain : 100.270 euros
- construction : 167.702 euros
- évacuation des terres : 1.913,60 euros
- aménagements extérieurs (trottoir, pavage) : 14.180,70 euros
- interphone extérieur : 490 euros
- taxes locales : 3.007 euros
- assurance dommage-ouvrage : 1.462,22 euros
- kit Domo Sécurité : 3.547 euros
Total : 292.536,52 euros
Le projet d'installation d'un rail de transfert plus long à l'intérieur de l'immeuble ne sera pas retenu, dès lors que l'expert a considéré que le schéma de transfert proposé par M. A... ne serait ni optimal ni sécurisant. Enfin, le devis des établissements Fernandes d'un montant de 21.791,12 euros relatif aux aménagements extérieurs n'a donné lieu à aucune facture et fait manifestement double emploi avec les travaux effectués par la société Landru. Il n'y a pas lieu de l'intégrer à l'indemnisation.
Quant aux autres aménagements sollicités, il convient encore une fois de permettre à la victime d'être remise dans une situation la plus proche possible de celle qui aurait été la sienne sans l'accident ; les adaptations permettant une plus grande autonomie doivent donc être indemnisées, quand bien même M. Eddy A... bénéficie de l'assistance d'une tierce personne en permanence.
Le FGAO ne s'oppose d'ailleurs pas aux aménagements complémentaires suivants tels que les a chiffrés l'expert, étant observé que le visiophone est déjà inclus dans les frais calculés précédemment :
- rail de transfert de 2 mètres en chambre : 6.100 euros
- réalisation d'un trottoir et d'une allée de garage en macadam : 13.000 euros
- soulève-personne en salle de bain : 3.000 euros
Total : 22.100 euros
Il convient donc d'allouer à M. Eddy A... au titre de l'aménagement de son domicile la somme totale de 314.636,52 euros » (arrêt, p. 23-25) ;
Alors qu'en présence d'un dommage corporel, le poste de préjudice indemnisant les frais de logement adapté couvre le surcoût financier d'acquisition d'un logement mieux adapté au handicap, ainsi que les frais d'aménagement de celui-ci ; qu'en condamnant in solidum les héritiers du responsable du dommage à indemniser la victime de la totalité des frais d'acquisition du terrain, de construction de la maison et d'adaptation de celle-ci au handicap, pour une somme totale de 314 636,52 euros, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime.
ECLI:FR:CCASS:2017:C200699
Analyse
Publication :
Décision attaquée : Cour d'appel de Douai , du 11 février 2016
Titrages et résumés : RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Réparation intégrale - Portée
Ne méconnaît pas le principe de la réparation intégrale la cour d'appel qui condamne un débiteur d'indemnisation au paiement des frais d'acquisition d'un terrain et de construction d'un logement adapté au handicap de la victime, après avoir constaté que ces frais étaient directement imputables aux séquelles provoquées par l'accident
RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Réparation intégrale - Préjudice afférent à la nécessité d'un logement adapté - Prise en charge - Etendue - Détermination
Précédents jurisprudentiels : Sur l'indemnisation de la victime au titre des frais engagés pour bénéficier d'un logement adapté à son handicap, à rapprocher :2e Civ., 14 avril 2016, pourvoi n° 15-16.625, Bull. 2016, II, ??? (cassation partielle), et l'arrêt cité
Textes appliqués :
o article 1382 du code civil ; principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime