ABSTRACT.
Le 23 juin dernier s’est tenue à Lubumbashi, chef lieu de la Province du Haut-Katanga la semaine minière. Lors de ces assises, le Ministre de l’économie, son Excellence Joseph Kapika a déclaré ce qui suit : « Je viens d’être instruit par le Chef de l’État de demander aux opérateurs miniers implantés au pays l’obligation de rapatrier conformément à la loi 40% de bénéfice sur toute exportation de minerais »[1] .
Cette information qui n’est pourtant qu’un rappel d’une des obligations incombant aux sociétés minières a depuis lors fait un effet de boule neige, donnant l’impression qu’il s’agirait d’une nouvelle mesure prise par les autorités congolaises qui préjudicierait aux intérêts des investisseurs. Le point de vue des uns et des autres sur cette question m’a conduit à y cogiter et partager ma réflexion.
Les lignes qui suivent ont un objectif modeste, elles entendent analyser le contexte socio-politique de l’élaboration du code minier de 2002 (I), la notion d’investissement (II), la question de savoir si le rapatriement des 40% des recettes des exportations violerait la clause de stabilité (III) et enfin quelques pistes de solutions (IV).
I. LE CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE DE L’ELABORATION DU CODE MINIER DE 2002
L’Etat congolais avait constaté que toutes les législations promulguées après l’indépendance du Congo n’avaient pas réussi à attirer des investisseurs et qu’elles avaient un impact très négatif sur la production minière et sur les finances publiques car ne favorisant pas l’investissement. Pour pallier cette insuffisance , le législateur a tenu à mettre sur pied une nouvelle législation incitative avec des procédures d’octroi des droits miniers ou de carrières objectives, rapides et transparentes dans laquelle sont organisés des régimes fiscal, douanier et de change.[2]
Parmi les idées forces, allusion pouvait être faite au renouement avec les institutions financières internationales en République démocratique du Congo. En effet, il s’avère que depuis le début des années 1980, le tableau économique de la RDC affichait des indices prouvant le recul de l’industrie minière qui ne permettait plus à l’Etat d’exercer un contrôle sur la production minière.
Malgré les différentes pesanteurs que subissaient le Congo, il était impérieux de le reconvertir en une destination attrayante pour les investisseurs.
Telle fut la stratégie commune mise sur pied par le Gouvernement et les bailleurs de fonds dont la cible principale fut l’exploitation des ressources naturelles du pays en l’occurrence les mines, les forêts , et le sol agricole , pour combattre la pauvreté.[3]
Dans le même sens, un document stratégique de la Banque Mondiale daté de 1992, portant sur l’importance de favoriser et de sécuriser les investissements dans le secteur minier affirmait que «Le principal objectif de l’intervention des Bailleurs de fonds dans le secteur minier en Afrique, qu’il s’agisse d’assistance technique ou de financement des investissements, devrait être de faciliter l’investissement privé et d’aider à atténuer, pour l’investisseur privé, les risques inhérents au pays et au projet».
Toutes ces initiatives ont fini par se concrétiser par la promulgation de la Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant code minier. Etant une initiative de la Banque Mondiale et des institutions financières internationales, le code minier de 2002 avait pour objectif de retirer l’État congolais de la scène de l’exploitation minière pour favoriser l’investissement privé. Cette raison se justifiait par le fait que l’Etat n’avait plus les moyens financiers pour faire face à la relance de ses entreprises en difficulté dont le budget prévisionnel dépassait de loin sa capacité financière.
Il en résulte la libéralisation du secteur minier qui avait pour conséquence de changer le rôle à jouer par l’Etat en tant qu’acteur économique. Désormais son rôle était limité à l’octroi des titres miniers et à la régulation du secteur minier sans préjudice de ses actions détenues dans certaines entreprises de joint-venture.
Bien que se voulant incitateur des investissements, l’on ne peut néanmoins s’empêcher de dire que contrairement aux résultats escomptés de ce code, l’Etat congolais à ce jour n’a presque rien profité de celui-ci car il paraît beaucoup plus favoriser l’investissement étranger. A ce jour, il est presque incontestable que la réforme du secteur minier tant vantée par ce code n’a réussi à former aucune classe moyenne en République démocratique du Congo, bien au contraire, l’exploitation minière a réussi à creuser davantage le fossé de la misère.
Par ailleurs, même l’Etat congolais n’a pas tiré grand-chose de cette réforme de la loi minière.
A maintes reprises, la société civile impuissante devant cette situation, a tenté de faire entendre sa voix mais en vain, grâce aux coalitions avec certaines ONG (Global Witness, Centre Carter, Publish What You Pay, Partenariat Afrique-Canada, etc.
Ayant fait aussi le même constat, Mikhael Missakabo n’a pas hésité de dénoncer que «Sous l’impulsion et /ou la pression de la banque mondiale, le gouvernement congolais promulgue le code minier régissant la libéralisation de l’exploitation minière. En somme, la promulgation du code minier est une consécration de la libéralisation de l’exploitation minière. L’aire des jeux était nivelée mais les joueurs ne sont pas de la même catégorie. En plus, ils ne sont pas du même calibre non plus.
Conséquence : ruée des « exploitants »vers la RDC. Il fallait bien s’attendre aux abus, bavures et dérapages. Ainsi l’Etat congolais se trouve être la première victime de sa propre initiative. Négociant en position de faiblesse, il octroie des contrats déséquilibrés. Dans bien des cas, ces contrats fournissent aux « exploitants »des outils juridico-légaux pour saboter cette même libéralisation et ses objectifs. Et, par voie de conséquence, ce sabotage étouffe l’initiative de créer une classe moyenne congolaise nécessaire au développement harmonieux. » .[4]
Pour tenter de remettre un tant soit peu l’équilibre dans le jeu, le Gouvernement congolais avait initié la révisitation de quelques contrats miniers. Là encore le chantage fait par les investisseurs sur ce processus, n’a pas donné l’opportunité au Gouvernement de l’achever , car l’arme utilisée par les investisseurs était tirée de la prétendue violation de la clause de stabilisation contenue dans le code minier à son article 276.
Bien plus, il est important de relever aussi que le nouveau code minier a laissé des pans entiers sans solution efficiente, au-delà des certaines contradictions que l’on peut trouver dans ce document.
Par ailleurs, le partage des retombées financières de l’exploitation minière ne favorise pas du tout le bien être des populations locales tant sur le plan du respect des normes environnementales que des aspects financiers, notamment l’amélioration des conditions de vie, contrairement à l’objectif primaire de combattre la pauvreté en favorisant l’émergence d’une classe moyenne congolaise.
Dès lors, il appert de s’interroger si l’État congolais est en droit de réclamer le rapatriement de 40% des recettes réalisées par les entreprises minières. L’importance de cette question nous conduit da faire une analyse sur la notion d’investissement direct étranger et son impact sur l’application de la disposition légale relative à l’objet de notre étude.
II. LA NOTION D’INVESTISSEMENT DIRECT ETRANGER ET SON IMPACT SUR LA QUESTION
Il n’existe pas a priori une définition unanime sur le terme investissement[5]. Le traité sur la Charte de l’énergie prévoit que « tout type d’avoir détenu ou contrôlé directement ou indirectement par un investisseur » dès lors qu’ils sont en rapport d’une activité économique dans le secteur de l’énergie.[6]
Une autre définition peut être retrouvée dans le code OCDE portant sur la libéralisation des mouvements de capitaux.[7] L’annexe A dispose que sont des investissements directs, les investissements « effectués en vue d’établir des liens économiques durables avec une entreprise, tels que, notamment, les investissements qui donnent la possibilité d’exercer une influence réelle sur la gestion de ladite entreprise ».
Caractères d’un investissement
De manière générale, un investisseur procède à un apport dans le pays d’accueil. Par ce fait, l’investisseur accepte de prendre le risque pour lequel il doit bénéficier de la protection de l’État d’accueil et de biens d’autres privilèges notamment :
Le principe de la protection :
Ce principe, bien qu’étant primordial dans les Traités bilatéraux d’investissement (TBI), impose une responsabilité de l’État éventuellement à l’égard de tout investisseur, dès lors qu’il rentre dans les critères ci-dessus décrits.
La protection de la propriété
Le droit le plus important pour l’investisseur dans le pays d’accueil est celui relatif à la protection de son droit de propriété. Ce principe se décline essentiellement de la règle « pas d’expropriation sans compensation » ainsi que celle du traitement juste et équitable. Une compréhension large est accordée à l’expropriation car elle peut revêtir plusieurs formes. Il en est ainsi par exemple de nouvelles législations ou taxations qui peuvent friser l’expropriation.[8]
L’indemnisation rapide, proportionnée et effective (prompt adequate and effective compensation)
Si l’État doit assurer la protection de la propriété de l’investisseur, cela n’empêche qu’il procède à l’expropriation moyennant calcul compensatoire adéquat[9] des biens expropriés, encore faudra-t-il que les sommes allouées à titre d’indemnité soient transférées rapidement à l’extérieur du pays d’accueil. Dans le cas contraire l’investisseur ferait l’objet d’une nouvelle forme d’expropriation.[10]
Garantie et assurances
Il est sans conteste qu’investir dans un pays étranger c’est dans une certaine mesure accepter de prendre des risques particuliers, surtout si le pays concerné ne bénéficie pas d’une grande stabilité économique et voire politique.
Dans cette occurrence, l’investisseur cherche sa couverture tant dans l’assurance que dans certaines garanties qui ne sont pas à confondre. L’assurance est relative à la couverture des risques classiques commerciaux et financiers, alors que la garantie a pour fonction de protéger l’investisseur contre un risque de type particulier tel que le risque politique.[11]
La nature des risques politiques les rend difficiles à être assurés par une compagnie d’assurance privée, raison pour laquelle ils font l’objet d’une garantie particulière se fondant sur des fonds publics.[12] C’est de la sorte qu’au regard du tableau que représentait la situation socio-politique du pays, les institutions financières internationales, en vue de protéger les investisseurs privés contre la précarité de la situation politique, ont dû insérer la clause de stabilité dans le code minier. Il importe dès lors de l’analyser et voir si elle a une incidence sur la disposition exigeant le rapatriement de 40% des recettes d’exportation.
La clause de stabilisation contenue dans le code minier
Cette clause est contenue dans l’article 276 dont l’alinéa premier dispose que « L’État garantit que les dispositions du présent code ne peuvent être modifiées que si, et seulement si, le présent code fait lui-même l’objet d’une modification législative adoptée par le parlement ».
Il en résulte que toute modification législative postérieure pouvant avoir un impact sur les droits liés à un permis d’exploitation ou de recherches ainsi que sur les régimes fiscal demeure doit laisser lesdits droits intangibles pendant une période de 10 ans à dater de l’entrée en vigueur de ladite modification.
Il est important de relever que l’insertion de cette clause dans le code minier est consécutive à la carte de visite du secteur minier congolais telle que décrite ci-dessus. En dépit de tous les avantages accordés par le code minier aux investisseurs, il y a lieu de se demander la raison pour laquelle les investisseurs ne veulent pas s’exécuter conformément au code minier qui est le cadre juridique qui organise les activités minières en RDC .
Il sied dès lors de formuler le questionnement suivant :
III.LE RAPATRIEMENT DE 40 % DES RECETTES DES EXPORTATIONS PAR LES ENTREPRISES MINIÈRES VIOLERAIT-IL LA CLAUSE DE STABILITE ?
L’article 269 b du code minier dispose que « Le titulaire qui exporte les produits marchands des mines est :
Tenu de rapatrier obligatoirement dans son compte national principal tenu en République Démocratique du Congo, 40% des recettes d’exportations dans les quinze jours à dater de l’encaissement au compte principal prévu à l’article 267 […] » .
Si l’investisseur doit bénéficier des privilèges de l’État d’accueil, celui-ci se retrouve en revanche astreint au respect de certaines obligations vis-à-vis et de l’État et des populations.
L’investisseur doit notamment respecter les lois du pays hôte et s’acquitter du paiement des taxes. Par ailleurs, il doit participer au développement du pays hôte.
Il est à noter que le rapatriement de 40 % des recettes d’exportations par les entreprises minières relève d’une obligation légale à laquelle les entreprises minières ne peuvent échapper.
En effet, il sied de rappeler que l’actuel code minier est l’œuvre des institutions financières internationales notamment la Banque Mondiale qui a pratiquement imposé ce texte en faveur des investisseurs et qui , au final a plus desservi l’État congolais car l’ayant négocié en position de faiblesse.
Le manque de respect des dispositions de ce code dont fait montre les investisseurs, n’est pas sans poser problème.
La constitution de la classe moyenne congolaise tant espérée par les autorités congolaises à travers les retombées financières de l’exploitation minière ne relève plus que de l’utopie car les mines ont beaucoup plus appauvri qu’elles n’ont amélioré la vie des populations.
Peu avant le débat sur le rapatriement de 40%, le Gouvernement congolais est engagé dans un autre combat avec les miniers sur l’application de la Loi N° 17/001 du 08 février 2017 fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé contre laquelle une réticence virulente est manifestée par les entreprises minières invoquant toutes sortes de raisons.
Au regard de ce qui précède, tout porterait à croire que les investisseurs évoluant dans le secteur minier n’auraient pas la volonté de respecter les lois de la République démocratique du Congo et seraient très loin de respecter une des obligations essentielles qui incombe à tout investisseur étranger à savoir favoriser le développement du pays hôte, car bénéficiant des facilités et de la protection de ce dernier.
IV. QUELLES SOLUTIONS ENVISAGER ?
La première solution a déjà été envisagée par le Ministre de l’économie qui a promis que « les entreprises qui ne respecteront pas cette disposition subiront les rigueurs de la loi »[13].
Nous suggérons que l’autorisation de sortie des minerais soit subordonnée à la présentation de la preuve de rapatriement de 40 % sur les exportations. De la sorte, si une entreprise ne prouve pas ou si elle n’offre pas de prouver, elle sera frappée de la mesure d’interdiction de sortie de ses minerais. Ça ne sera que justice. Car bien que l’objectif premier de tout investisseur est de réaliser le profit, mais dans un monde où de plus en plus l’éthique s’insère dans les rangs des contrats commerciaux internationaux comme le dit avec pertinence Philippe Coppens, « […] le sujet de droit est un acteur économique mais aussi un agent moral et qu’il ne peut entièrement se détacher de cette qualité lorsqu’il pénètre dans le monde marchand ».[14] Il est important que les investisseurs miniers insèrent aussi la dimension éthique dans les affaires, gage par ailleurs du respect de normes légales dans pays le d’accueil, sans lequel L’État d’accueil pourrait être en difficulté d’assurer la protection de leur propriété.
C’est ici qu’il faille interpeller la société civile pour son implication dans ce débat dont dépend le sort des populations congolaises. Cette affaire doit préoccuper au plus haut point la société civile qui doit à travers des échanges avec toutes les parties prenantes, que des actions concrètes soient initiées dans le sens de favoriser le respect des lois établies en Républiques démocratique du Congo par les investisseurs. De la sorte cela éviterait de prêter l’intention au Gouvernement congolais de malmener les investisseurs alors que ces derniers sont en pleine violation de la loi et doivent répondre de leurs actes conformément à la loi congolaise, pour éviter qu’ils crient à l’arbitraire.
CONCLUSION
Il n’est pas toujours aisé de conclure un thème dont le débat ne fait que commencer. A tout le moins, ne convient-il pas de rappeler que le processus de l’élaboration du code minier de 2002 résulterait de la volonté unilatérale des investisseurs qui ont conduit l’État congolais à négocier en position de faiblesse, pour soit disant inciter les investissements directs étrangers.
Cependant, lorsqu’on essaie de faire le bilan de l’impact de l’application de ce code tant sur l’économie nationale que sur le niveau de vie des populations locales, l’évidence démontre un manque de volonté de la part des investisseurs miniers qui frise à la limite la mauvaise foi.
Si les mines qui constituent le principal moteur économique de la RDC sont à cause de la qualité des investisseurs installés au pays incapables de booster l’économie nationale et par ricochet de contribuer à la constitution d’une classe moyenne congolaise, ne faudra-t-il pas un jour prendre le risque de geler l’exploitation minière au profit de l’agriculture ?
[1] RFI, 26/06/2017, www.radiookapi.net/ (consultés le 25 juin 2017)
[2] Exposé des motifs de la loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant code minier
[3] Marie Mazalto , « La réforme du secteur minier en République démocratique du Congo : enjeux de gouvernance et perspectives de reconstruction »,in Afrique contemporaine, 20083 n° 227
[4] MIKHAEL MISAKABO, Empreintes et paradoxes des exploitants miniers canadiens en RDC, cité par BAMBI KABASHI Adolphe, Le Droit minier congolais à l’épreuve des droits foncier et forestier, L’Harmattan, Paris, 2012, p .74
[5] E. Gaillard, « Reconnaître ou définir ? Réflexions sur l’évolution de la notion d’investissement dans la jurisprudence du CIRDI», in J.-M. Sorel (dir.), 2009, p. 17
[6] Article 1.6
[8] Y. Nouvel, « Les mesures équivalant à une expropriation dans la pratique récente des tribunaux arbitraux », RGDIP 2002.79
[9] M. Kantor, Valuation for Arbitration- compensation standards, Valuation methods and expert evidence, Wolters Kluwer,2008
[10] Catherine Kessedjian, Droit du commerce international, Thémis, Paris, 2013, p.165
[11] Mathias Audit, Sylvain Bollée et Pierre Callé, Droit du commerce international et des investissements étrangers, LGDJ, Paris, 2014,p.251
[12] A. Niang, « Les systèmes nationaux et international de garantie »,in Droit de l’économie internationale , P.Daillier, G. De la Pradelle et H. Ghérari(dir.), Pédone, 2004, pp.699-711
[13] RFI, 26/06/2017, www.radiookapi.net/ (consultés le 25 juin 2017)
[14] Philippe Coppens, « L’éthique et le droit des contrats commerciaux »,in International contracts and arbitration, Marcel Fontaine et Denis Philippe,(dir.), Larcier, Bruxelles, 2014, p. 103