La Loi Pinel du 18 juin 2014 est venu bouleverser le régime du bail commercial. Parmi ses innovations majeures on trouve la création d’un droit de préemption au profit du preneur à bail commercial. Contenu à l’article L145-46-1 du code de commerce, la lettre de ce nouvel article a fait couler beaucoup d’encre. En effet, malgré un contenu conséquent, l’article fait preuve de nombreuses incertitudes que la doctrine n’a pas manqué de relevé. Ces écrits ont révélé qu’il ne s’agit en aucun cas d’un droit systématique et qu’il est nécessaire de délimiter clairement les hypothèses dans lesquelles il est susceptible de naître.
Partant, il convient de déterminer le champ d’application de ce droit de préemption (I) avant de relever les spécificités de sa mise en œuvre (II).
I. Le preneur à bail bénéficie-t-il d’un droit de préemption ?
L’analyse du champ d’application du droit de préemption du preneur à bail commercial requière d’analyser la nature juridique de l’objet de la vente (A) ainsi que celle du vendeur (B).
Les conditions inhérentes au local
L’article L. 145-46-1 du code de commerce vise tous les locaux « à usage commercial ou artisanal ». De manière générale, tous les biens immeubles insusceptibles de faire l’objet d’un bail commercial, c’est-à-dire tous les emplacements n’étant pas stable et permanent (Cass. 3ème civ., 20 mars 2014, n°13-24.439) sont donc exclus de son champs d’application. Certains cas, ont cependant partagé la doctrine.
Afin d’appréhender au mieux la direction à prendre dans l’appréhension des incertitudes émanant de cet article, il apparaît intéressant d’analyser les prises de parties de la jurisprudence. A titre d’exemple, il est possible d’évoquer le cas où un bail serait conclu à propos d’un terrain nu où le locataire aurait vocation à construire ou aménager le terrain afin d’exercer l’activité commerciale stipulée dans le bail. Dans un arrêt rendu le 30 janvier 2018 (n°16/19016) la Cour d’appel d’Aix en Provence fait état d’une analyse stricte et exclu cette hypothèse du champ d’application de l’article L145-46-1 du code de commerce.
C’est en ce sens qu’il convient d’adopter un prisme restrictif dans la détermination des locaux susceptibles de faire naitre un droit de préemption au bénéfice du preneur. En effet ce mécanisme étant réducteur du droit de propriété du vendeur, il ne subsiste que dans les cas où il permettrait d’assurer la continuité de l’activité commerciale en cause.
Il faut donc exclure du champ d’application de cet article les locaux faisant l’objet d’un bail « mixte », ainsi que les locaux assujettis par extension légale ou conventionnelle.
Font exception à ce principe cependant :
- Les baux accessoires dès lors que la vente porte en premier lieu sur le principal (Cass. 3ème civ., 10 fév. 1999, n°96-22.812)
- Les locaux d’accueil d’étudiants, de personnes âgées ou hôtelier s’ils proposent plusieurs prestations de services (Rép. Min. à QE n°5452, 13 nov. 2018)
Enfin, l’article précise lui-même un certains nombres d’hypothèses dans lesquelles son application est exclus : « Le présent article n'est pas applicable en cas :
- de cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial,
- de cession unique de locaux commerciaux distincts
- (ou) de cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial.
- […] la cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux
- (ou) à la cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint. »
Il s’agit ici de protéger le droit de propriété du vendeur pour ne pas le forcer à démembrer un ensemble immobilier avant de procéder à la vente et de permettre aux familles de perpétuer un commerce familiale.
Les conditions inhérentes au vendeur
L’usage successif des appellations de propriétaires et de bailleur pour désigner le vendeur dans l’article L.145-16-1 du code de commerce conduit au constat, faisant consensus en doctrine, que cet article vise uniquement l’hypothèse où le vendeur cumul les qualités de bailleur et de propriétaire.
De plus, le vendeur doit céder la pleine et entière propriété du local. C’est-à-dire qu’en cas d’indivision tous les indivis doivent céder en un acte unique le local, et en cas de démembrement de la propriété, l’usufruitier et le nu-propriétaire doivent céder en un acte unique la pleine propriété du local.
En outre l’article L.145-46-1 du code de commerce vise expressément le cas d’une vente. Dès lors tous les autres modes de transmission de propriété, qu’il s’agisse de d’apport en société, de donation, ou d’échange, sont exclus.
Enfin l’article L145-46-1 du code de commerce vise le cas où le propriétaire du local « envisage » de le vendre. Il restreint ainsi son champ d’application aux ventes qu’on peut qualifier de « volontaires ». Sont dès lors exclus les cessions de locales dues à des procédures collectives à l’instar de ventes judiciaires (CA Aix-en-Provence 14 février 2017, n°15/13116) ou de vente aux enchères publiques (Cass. 3ème civ. 17 mai 2018).
II. Commet faire valoir son droit de préemption ? Comment le purger ?
Une fois constatée l’existence d’un droit de préemption au profit du preneur au bail il importe de procéder à la cession du local conformément aux règles prescrites par le code de commerce. Afin de les décrire avec pédagogie il convient de reprendre la dichotomie classique en matière de droit de préemption. Ainsi sera observé en premier lieu les obligations supportées par le vendeur au moment où il envisage la vente (A) puis celles qui pèsent sur lui en cas de vente à prix ou conditions plus avantageuses (B)
La notification initiale
Les dispositions de l’article L.145-46-1 du code de commerce exige « à peine de nullité » que soit « indiqué le prix et les conditions de vente envisagée ». Si la notion de prix n’appelle pas de remarque il est possible d’éclairer les praticiens sur ce que désigne l’expression « conditions de vente ». Il s’agit de toutes les conditions qui dérogent au contenu classique d’une vente, soit l’accord de deux parties sur le transfert de propriété d’un bien en contrepartie du versement d’un prix. Il est important d’attacher toutes les diligences nécessaires afin que la notification fasse état d’un propos exhaustif afin qu’il ne puisse être reproché au bailleur de n’avoir pas rempli ses obligations. Classiquement, constituent une condition de vente le transfert des charges inhérentes à la réalisation de la vente ou une modification des modalités de paiement ou du transfert de propriétés.
A l’évidence c’est le propriétaire du local qui doit rédiger la notification de la volonté de vendre. Cependant la question se pose lorsque la propriété du local n’est pas pleine et entière aux mains d’une seule personne.
Conformément aux dispositions de l’article 815-3 du code civil, si le local fait l’objet d’une indivision, les différents propriétaires devront mandatés spécifiquement l’un d’entre eux, ou un tiers, pour procéder à la cession.
Dans l’hypothèse où le local ferait l’objet d’un démembrement de propriété, la lettre de l’article L145-46-1 du code de commerce semble appeler à ce que le nu-propriétaire et l’usufruitier procèdent ensemble à la notification de vente.
La réponse du locataire
Le locataire dispose d’un délai d’un mois pour répondre à l’offre du bailleur à compter de sa notification. Dès lors qu’une réponse est formulée, quand bien même son destinataire ne l’aurait pas reçu, elle suffit à répondre aux exigences légales. En cas de refus expresse ou implicite par le silence de l’offre notifiée, le bailleur est libre de proposer à un tiers acheteur, à un prix et à des conditions identiques ou moins avantageuses, le local en question.
Enfin, il est important de préciser ici, que le locataire ne peut en aucun cas négocier l’offre qui lui est faite, l’engagement de négociation équivaudrait à un refus de sa part.
Le locataire devra communiquer sa réponse par voie de lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou en main propre contre émargement ou récépissé. Il est cependant recommandé de procéder à l’acceptation par acte d’huissier de justice.
De plus, dans l’hypothèse d’une acceptation de l’offre, le locataire à la charge de réaliser la vente. L’expression réaliser la vente signifie que le locataire devra faire procéder à la rédaction de la vente en un acte authentique. (En principe je suppose que c’est devant un notaire ou un huissier de justice mais dans le doute je préfère vous laisser trancher cette question).
Le locataire devra s’exécuter dans un délai de deux mois à compter de la date d’envoi de la réponse au bailleur, et dans un délai de quatre mois si celle-ci requière l’obtention d’un prêt. Dans la seconde hypothèse il revient au locataire de faire mention expresse de sa volonté de recourir à un prêt dans son acceptation au risque de ne pas bénéficier de ce délai supplémentaire. Attention cependant à ne pas faire un usage systématique de cette extension du délai car en cas de litige le locataire devra démontrer la nécessité pour lui d’y avoir recours et apporter la preuve qu’il ait apporté toutes les diligences nécessaires à son obtention. La question du prêt doit donc intervenir au moment-même de la rédaction de l’acceptation.
La seconde notification si nécessaire
Conformément à l’article L145-46-1 du code de commerce, si la première notification n’aboutit pas en la conclusion d’une vente avec le preneur ou avec un tiers acheteur, le bailleur, s’il souhaite vendre son local à un prix ou à des conditions plus favorables, doit en premier lieu notifier sa volonté au preneur.
La notion de « conditions de vente » ayant été étayée, subsiste la question du caractère plus favorable de ces conditions. En effet, l’article L.145-46-1 du code de commerce est avare de précisions et, si cette notion ne pose pas de problème concernant le prix de vente dont le caractère favorable s’apprécie à l’aune de son montant, il en va autrement concernant les conditions de vente.
La somme des incertitudes qui subsistent en la matière implique donc beaucoup de rigueur dans la procédure de purge du droit de préemption du locataire. Partant, il est fortement recommander de demander conseil au notaire en charge de la vente dont le ministère ne peut être évité, notamment parce qu’il se doit de procéder aux formalités de publicité foncière de la vente.
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