« Détruire la concurrente, c'est tuer l'intelligence ».
Cette maxime d'un grand économiste français (Frédéric BASTIAT) illustre pour partie la philosophie adoptée par la Cour de Cassation depuis plusieurs années, visant à restreindre le champ d'application des clauses de non concurrence stipulées dans les contrats de travail.
Dans un Arrêt récent en date du 12 janvier 2011 (n° 08-45280), la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue compléter sa Jurisprudence en la matière afin de préciser, sur le plan indemnitaire, les conséquences de la nullité d'une clause de non concurrence.
Voilà maintenant presque 10 ans que la Cour de Cassation a posé trois conditions cumulatives à la validité de telles clauses, lesquelles doivent être justifiées par les intérêts légitimes de l'entreprise, limitées dans le temps et l'espace et comporter, enfin, une contrepartie pécuniaire qui ne soit pas dérisoire.
Dès lors que l'une de ces conditions fait défaut, la clause de non concurrence doit être considérée comme illicite et frappée de nullité.
Dès lors, le salarié qui serait amené à respecter une telle clause subit un préjudice dont il appartient au Juge d'apprécier l'étendue.
En effet, il n'est pas contestable que la clause de non concurrence porte inévitablement atteinte à la liberté du travail et à la liberté d'entreprendre, le salarié pouvant justifier de la perte d'une chance de retrouver un emploi similaire dans une entreprise éventuelle concurrente.
C'est notamment la raison pour laquelle la Cour de Cassation avait imposé, en dernier lieu, de prévoir une contrepartie pécuniaire pour le salarié qui respecte son obligation de non concurrence, quelque soit la situation de celui-ci à la suite de la rupture de son contrat de travail.
Pour exemple, une société avait pu être condamnée à verser l'indemnité compensatrice de non concurrence pour un salarié qui avait décidé de prendre sa retraite et qui n'était donc plus en mesure d'exercer une quelconque activité professionnelle concurrentielle (Cass. Soc. 24 septembre 2008, n° 07-40098).
Il en est de même pour le salarié déclaré inapte physiquement par le Médecin du Travail, lequel conserve le bénéfice de son indemnité de non concurrence jusqu'au terme de l'obligation qui était stipulée à son contrat de travail (Cass. Soc. 10 octobre 2001 n° 99-42404).
Par un Arrêt de principe en date du 12 janvier 2011 et au visa de l'article 1147 du Code Civil sur la responsabilité contractuelle, la Cour de Cassation a donc confirmé son interprétation restrictive de l'obligation de non concurrence en considérant que « la stipulation dans le contrat de travail d'une clause de non concurrence nulle cause nécessairement un préjudice au salarié ».
Dans ce cas d'espèce, une Cour d'Appel avait estimé que l'annulation de la clause de non concurrence qui était concomitante à la résiliation du contrat de travail n'avait causé aucune préjudice réel et certain au salarié puisque ce dernier n'avait pas eu à la respecter.
La Cour avait alors jugé que le salarié n'avait pu subir aucun préjudice, celui-ci ayant eu connaissance de l'inopposabilité de la clause litigieuse dès la rupture de son contrat de travail...
La décision rendue par la Cour d'Appel devait néanmoins être censurée par la Haute Cour, laquelle confirme que la seule présence d'une clause de non concurrence illicite dans le contrat de travail constitue un préjudice qu'il convient d'indemniser.
La rigueur d'une telle décision semble dictée aussi bien par la volonté de limiter au maximum le recours aux clauses restrictives de concurrence en attirant l'attention des employeurs sur les conséquences de ce type de stipulation contractuelle, que par le fait que le salarié ait pu croire à la validité de la clause litigieuse, notamment en réduisant ses recherches d'emploi.
Par ailleurs, il est opportun de rappeler que la contrepartie financière de l'obligation de non concurrence a le caractère d'un salaire et qu'elle est calculée sur la rémunération brute soumise à charges sociales.
Bien qu'elle ne rémunère pas un travail effectif (mais plutôt l'absence de travail concurrentiel), la Cour de Cassation considère cependant que cette contrepartie financière ouvre droit à congés payés (à hauteur de 10 % de la rémunération brute), ce qui est souvent ignoré par les employeurs comme par les salariés.....
Pour finir, il est également important de préciser que la Jurisprudence condamne la pratique des clauses de non concurrence dites « en sommeil », aux termes desquelles l'employeur se réserve la faculté de mettre en oeuvre l'obligation de non concurrence au moment de la rupture du contrat (pour mémoire Cass. Soc. 12 février 2002 n° 01-47136).
Ainsi, l'employeur ne dispose pas d'une entière liberté lui permettant de renoncer arbitrairement au bénéfice de la clause de non concurrence.
Bien au contraire, la Cour de Cassation considère que celui-ci ne peut se réserver la faculté, après la rupture du contrat de travail, de renoncer à la clause à tout moment dans le cours d'exécution de celle-ci.
Si le contrat de travail ou la convention collective ne fixe pas de délai précis permettant à l'employeur de renoncer à l'application de la clause de non concurrence, l'entreprise devra libérer le salarié de son obligation au moment du licenciement, c'est-à-dire à l'occasion de la notification de la lettre de rupture (Cass. Soc. 13 juillet 2010, n° 09-41626).
Dans le cadre d'un licenciement, l'employeur doit donc libérer le salarié sur le champ s'il souhaite être dispensé de verser la contrepartie financière de la clause de non concurrence à défaut qu'un délai soit stipulé au contrat de travail ou à la convention collective.
Dans l'hypothèse d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, l'employeur disposera néanmoins d'un « délai raisonnable » afin de signifier sa volonté de maintenir ou de renoncer à la clause de non concurrence (en pratique dans les 15 jours)....
En conclusion, il n'échappera à personne que le régime parfois byzantin de la mise en oeuvre des clauses de non concurrence doit amener l'employeur à s'interroger dans tous les cas sur l'opportunité et la portée des mentions figurant au contrat de travail de ses salariés.....