Les sources marocaines du droit judiciaire privé
Le droit judiciaire privé appliqué au Maroc à travers le code de procédure civile a traversé plusieurs phases liées à l’histoire du pays. Il s’agit d’une évolution progressive qui en fait sa particularité singulière.
La loi est la principale source du droit judiciaire privé. Cependant à travers la pratique judiciaire, la jurisprudence et la doctrine participent à sa conception.
Le Maroc a connu à travers le temps trois phases principales dans l’évolution de son organisation judiciaire et dans l’application du droit privé. Elles sont liées à son histoire ancienne et récente.
1. Avant le Protectorat
La justice était rendue par le juge musulman, le Cadi. Sa compétence était générale et universelle. Le Cadi était compétent pour connaître des affaires de droit commun. Dans la pratique, les parties se présentaient devant le Cadi, seules ou assistées d’un mandataire Oukil ancêtre de l’avocat. Elles pouvaient présenter des consultations appelées fétouas rédigées par des jurisconsultes musulmans appelés les mouftis. Après échange de « conclusions » le Cadi rendait sa sentence. Après enregistrement du jugement, le représentant de l’autorité Makhzen, Pacha ou caïd se chargeait de l’exécution de la décision rendue.
2. Période du Protectorat (1912-1955)
Elle a été à l’origine de la mise en œuvre du droit judiciaire privé dans sa conception moderne, particulièrement devant les juridictions françaises du Protectorat. L’organisation judiciaire de l’époque a connu trois sortes de tribunaux : les tribunaux makhzen, les tribunaux coutumiers, et les tribunaux français.
A. Les tribunaux makhzen (tribunaux de caïds et de pachas) les tribunaux du chrâa (tribunaux de cadis), les tribunaux rabbiniques. Les tribunaux makhzen étaient compétents en matière civile, commerciale et pénale pour juger les litiges nés entre les marocains et sanctionner les infractions et délits commis par les marocains.
B. Les tribunaux coutumiers créés en 1930 dans la campagne berbère dite (tamazgha). Ils avaient pour but de soustraire une partie de la population marocaine, à la justice musulmane rendue par les Cadis. Ces juridictions qui appliquaient la coutume locale à la place de la loi musulmane (charia) avaient été contestées par le mouvement national qui revendiquait l’indépendance du pays.
C. Les tribunaux français représentés par les tribunaux de paix, les tribunaux de première instance et par la cour d’appel de Rabat. Ils appliquaient le droit moderne d’inspiration française, mis en application par dahirs (lois) du Sultan sous forme de codes spéciaux datés pour la plupart du 12 août 1913 :
- Code de procédure civile.
- Code des obligations et contrats.
- Code de commerce.
Dans la Zone Nord du Maroc, sous protectorat espagnol et dans la zone internationale de la ville de Tanger, l’organisation judiciaire était un peu plus différente par rapport à la Zone Sud sous protectorat français, mais en tout cas d’inspiration espagnole essentiellement.
3. De l’indépendance à nos jours
Cette phase a connu une nette évolution dans l’organisation judiciaire grâce notamment aux réformes judiciaires qui se sont succédées. On y retient notamment, la réforme judiciaire du 26 janvier 1965, la réforme du 3 juillet 1967 et celle des 15 et 16 juillet 1974
A. La réforme judiciaire du 26 janvier 1965
Cette réforme avait été votée par le parlement marocain à l’unanimité. Elle avait pour but d’unifier les juridictions du Royaume dans un seul ordre judiciaire comprenant les tribunaux de sadad (de paix), les tribunaux régionaux et les cours d’appel sous l’autorité de la Cour suprême. C’est dans ce sens que stipule l’article premier de la loi d’unification votée le 26 janvier 1965 : « sont unifiées en vertu de la présente loi sur l’ensemble du territoire du Royaume, toutes les juridictions marocaines, à l’exception du tribunal militaire et de la Haute Cour de Justice mentionnée au titre VII de la Constitution ».
Par l’effet de cette loi, les tribunaux modernes, les tribunaux rabbiniques et les tribunaux du chrâa (loi coranique) étaient supprimés. D’autre part l’article 4 de la même loi dispose. « Nul ne peut exercer les fonctions de magistrat auprès des juridictions marocaines, s’il n’est pas de nationalité marocaine ». L’article 5 ajoute « seule la langue arabe est admise devant les tribunaux marocains, tant pour les débats et les plaidoiries que pour la rédaction des jugements ».
B. La réforme judiciaire du 3 juillet 1967.
Elle avait une portée limitée puisqu’elle était consacrée uniquement à la réorganisation de la justice sociale, par la suppression des tribunaux du travail créés par le dahir du 30 décembre 1957, ancêtres des conseils de prud’hommes dont l’institution remonte à 1929. Les tribunaux sociaux, créés par la loi du 27 juillet 1972 pour remplacer les tribunaux de travail, furent à leur tour supprimés dans le cadre de la réforme judiciaire de 1974.
C. La réforme judiciaire des 15 et 16 juillet 1974.
Il s’agit d’une réforme importante destinée à rapprocher davantage la justice des justiciables et à créer des juridictions de proximité (juridictions communales et d’arrondissements en remplacement des tribunaux de sadad. Elle visait aussi à généraliser l’institution de juge unique, la remise en cause de l’unité de juridictions par la création de juridictions spécialisées [1] pour juger les litiges administratifs et commerciaux, le changement d’appellation des anciens tribunaux régionaux en tribunaux de première instance dont le nombre est passé de 16 à 67, la création de nouvelles cours d’appel dont le nombre est passé aussi de 3 à 21.
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[1] Les juridictions spécialisées sont les tribunaux administratifs créés par la loi n°41-90 promulguée par le dahir du 10 septembre 1993. B.O n° 4227 du 03/11/1993 et les tribunaux de commerce créés par la loi n°53-95 promulguée par le dahir n° 1-97-65 du 12 février 1997. B.O. n° 4482 du 15/05/1997.)
Par Maître Mohamed BOUFOUS Avocat au Barreau de Rabat