Oui. Tout copropriétaire, victime des agissements d’un locataire qui contreviennent aux dispositions du règlement de copropriété, peut, par la voie de l'action oblique, obtenir la résiliation du bail dès lors que la carence du copropriétaire-bailleur compromet ses droits.
1. Concernant l'action oblique
Le droit commun prévoit que :
« Lorsque la carence du débiteur dans l'exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. » [1]
L'action oblique est une voie de droit qui n’est pas réservée qu’aux sommes d’argent. Appliquée au régime de la copropriété, elle permet par exemple à un copropriétaire, créancier, de sauvegarder ses droits en se substituant à un autre copropriétaire, débiteur, dont la carence compromet lesdits droits.
Ainsi en copropriété :
- Chaque copropriétaire, en tant que créancier, dispose du droit à exiger des autres copropriétaires le respect du règlement de copropriété qui les lie
- Chaque copropriétaire est débiteur vis-à-vis des autres copropriétaires de l’obligation de respecter le règlement de copropriété
D’autre part, le règlement de copropriété est une convention qui est opposable à tous les occupants de l’immeuble, qu’ils soient copropriétaires ou locataires.
Concrètement, lorsqu’un locataire contrevient au règlement de copropriété (trouble de voisinage, exercice d’une activité contraire au règlement…), il peut naitre une atteinte au droit de jouissance paisible d’un copropriétaire, lequel est créancier, vis-à-vis du copropriétaire bailleur, du droit à exiger le respect du règlement de copropriété.
Dès lors, dûment informé par le copropriétaire victime ou le syndic, le copropriétaire bailleur, qui est engagé contractuellement avec le locataire via un bail, doit exercer ses droits et actions afin de faire respecter le règlement de copropriété et faire cesser le trouble. S’il n’agit pas ou s’il ne parvient pas à faire cesser le trouble, ce dernier peut donner naissance à un préjudice.
Le copropriétaire, tant victime du locataire que de la carence du copropriétaire bailleur, peut alors exercer, pour le compte de ce dernier, son droit à exiger le respect du règlement de copropriété en demandant notamment la résiliation du bail du locataire.
Autrement dit, pour que l’action oblique soit recevable, le copropriétaire victime doit démontrer :
- Le non-respect du règlement de copropriété par le locataire
- Que le manquement du locataire lui occasionne un préjudice
- Que la carence du copropriétaire bailleur à faire cesser le manquement compromet ses droits
2. Illustration de l'action oblique en copropriété
Ainsi dans une affaire contentieuse, des nus-propriétaires et une usufruitière avaient donné à bail à une société un local commercial, situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, en vue de son utilisation pour l'activité d'achat, vente de cyclomoteurs, réparation de scooters, location de véhicules sans chauffeur et activités connexes.
Se plaignant de nuisances sonores et olfactives, des copropriétaires d'un lot contigu à ce local, avaient assigné l’usufruitière, la société locataire, ainsi que le syndicat des copropriétaires, en résiliation du bail et expulsion de la société et, dans l'attente de celle-ci, en interdiction de toute activité de réparation de scooters dans les locaux pris à bail.
La Cour d’appel avait accueilli ces demandes en retenant notamment que :
- La résolution de l'assemblée générale autorisant les travaux à réaliser par la société locataire était, en ce qu'elle visait à l'acceptation des nuisances provoquées par l'activité de cette société, contraire aux stipulations du règlement de copropriété selon lesquelles chaque copropriétaire devait veiller à ne rien faire qui pourrait troubler la tranquillité des autres occupants
- La copropriétaire bailleresse, informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l'activité du locataire, n'avait pas engagé de démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété
Saisis d’un pourvoi, les magistrats de la Cour de cassation ont rappelé :
- Qu'un syndicat de copropriétaires a, en cas de carence du copropriétaire-bailleur, le droit d'exercer l'action oblique en résiliation du bail dès lors que le locataire contrevient aux obligations découlant de celui-ci et que ses agissements, contraires au règlement de copropriété, causent un préjudice aux autres copropriétaires [2]
- Que le règlement de copropriété ayant la nature d'un contrat, chaque copropriétaire a le droit d'en exiger le respect par les autres [3]
Ils en ont conclu que « titulaire de cette créance, tout copropriétaire peut, à l'instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d'un bail lorsque le preneur méconnaît les stipulations du règlement de copropriété contenues dans celui-ci. ».
La Cour de cassation a approuvé l’arrêt des juges d’appels ayant retenu à bon droit que les copropriétaires étaient recevables à exercer, en lieu et place de la copropriétaire bailleresse, une action oblique en résiliation de bail à l'encontre de la société locataire [4].
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Notes de l'article :
[1] Article 1341-1 du Code civil
[2] Cass. Civ., 3ème, 14/11/1985, n° 84-15577, Bull. 1985, III, n° 143, p. 109
[3] Cass. Civ., 3ème, 22/03/2000, n° 98-1334, Bull. 2000, III, n° 64, p. 44
[4] Cass. Civ., 3ème, 08/04/2021, n° 20-18327