Propos introductifs
Lorsqu’un locataire est en situation d’impayés de loyer(s) et de charges, le bailleur doit en premier lieu engager des démarches amiables pour recouvrer sa créance (courrier de mise en cause et courrier de mise en demeure adressés en LRAR).
Si le montant de la créance est inférieur à 5000 €, il peut par la suite engager la procédure de recouvrement simplifiée de petites créances en faisant appel aux services d'un commissaire de justice. Cette démarche amiable ne requiert pas l’intervention d’un juge ni de titre exécutoire.
En cas d’absence de réponse ou de refus, il devra, sauf cas exonératoire, procéder à une tentative de conciliation ou de médiation, via un conciliateur de justice par exemple.
Si la tentative de conciliation échoue, il pourra alors saisir la justice par la voie de droit commun, par la voie du référé ou par la voie de l’injonction de payer.
L’injonction de payer est une procédure judiciaire simplifiée. C'est cette dernière procédure qui estt détaillée ci-après sous forme de questions/réponses.
1. Quelles sont les conditions à remplir ?
Le bailleur peut engager la procédure d’injonction de payer seulement si la créance :
- A une cause contractuelle
- S’élève à un montant déterminé
En matière contractuelle, la détermination est faite en vertu des stipulations du contrat [1].
Autrement dit, un bailleur peut engager la procédure d’injonction de payer dès lors que :
- Le bail d’habitation prévoit expressément que le locataire s’engage à régler mensuellement un loyer et des provisions pour charges déterminés en contrepartie de la location du bien immobilier
- La créance est certaine, liquide et exigible. La créance ne doit pas pouvoir être contestée par le locataire, elle doit être arrivée à échéance et son montant doit être clairement déterminé
2. Devant quelle juridiction la demande doit-elle être portée ?
La demande doit être portée devant le juge des contentieux de la protection [2].
Le juge territorialement compétent est celui du lieu où demeure le locataire.
3. La constitution d’avocat est-elle obligatoire ?
Non. La loi prévoit que les parties sont dispensées de constituer avocat dans les matières relevant de la compétence du juge des contentieux de la protection [3].
Or, ce juge connaît justement des actions dont un contrat de louage d'immeubles à usage d'habitation ou un contrat portant sur l'occupation d'un logement est l'objet, la cause ou l'occasion [4].
Les parties sont donc libres de se défendre elles-mêmes ou de se faire assister ou représenter par :
- Un avocat
- Leur conjoint (mariage), concubin (union libre) ou partenaire (PACS)
- Leurs parents ou alliés en ligne directe (père, mère, fille, fils)
- Leurs parents ou alliés en ligne collatérale jusqu’au 3ème degré inclus (oncle, tante, neveu, nièce)
- Les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise (employé)
A noter que s’il n’est pas avocat, le représentant doit justifier qu’il en a reçu le mandat ou la mission en produisant un pouvoir spécial [5]. Son nom et sa qualité doivent être portés à la connaissance du juge par déclaration au greffier de la juridiction [6].
Bon à savoir, l’État met à votre disposition un modèle de pouvoir spécial de représentation en justice que vous pouvez consulter en cliquant ici
4. Comment formuler la demande ?
La demande doit être formée par requête remise ou adressée, selon le cas, au greffe par le bailleur ou par tout mandataire [7].
A peine de nullité, la requête datée et signée doit préciser les mentions suivantes :
- L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée
- L’objet de la demande
- Les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du bailleur [8]
- Les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative
- L'indication des nom, prénoms et domicile du locataire [9]
- L'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée
La requête doit également contenir :
- L'indication précise du montant de la somme réclamée
- Le décompte des différents éléments de la créance
- Le fondement de la créance
- Ainsi que le bordereau des documents justificatifs produits à l'appui de la requête
La requête doit être accompagnée de ces documents.
Autrement dit, le bailleur doit fournir le contrat de location, les courriers de mise en cause et de mise en demeure, le constat de non-conciliation, un décompte détaillé…
Le bailleur peut, dans la requête en injonction de payer, demander qu'en cas d'opposition, l'affaire soit immédiatement renvoyée devant la juridiction qu'il estime compétente [10].
Bon à savoir, l’État met à votre disposition un formulaire de demande en injonction de payer que vous pouvez télécharger en cliquant ici.
Ce formulaire est accompagné d’une notice explicative que vous pouvez télécharger en cliquant ici.
5. Quelle peut-être la décision du juge ?
Dans le cadre de cette procédure judiciaire d'injonction de payer, il convient de préciser qu’il n'y a pas d'audience, donc pas de débats oraux entre les parties et la procédure n'est pas contradictoire.
Le juge prend une décision en fonction des seuls éléments fournis par le bailleur, sans entendre les arguments du locataire.
5.1. La demande est acceptée
Si, au vu des documents produits, la demande lui paraît fondée en tout ou partie, le juge rend une ordonnance portant injonction de payer pour la somme qu'il retient [11].
Cette ordonnance et la requête sont conservées à titre de minute au greffe.
En cas d'acceptation de la requête, le greffe remet au bailleur :
- Une copie certifiée conforme de la requête
- L'ordonnance revêtue de la formule exécutoire
- Les documents produits [12]
En effet, le législateur a simplifié la procédure en prévoyant que l'ordonnance portant injonction de payer est immédiatement revêtue de la formule exécutoire. Ainsi, depuis le 01/03/2022, l'ordonnance rendue par le juge est de suite revêtue de la formule exécutoire [13]. Toutefois, il convient de préciser que l'ordonnance n'acquière force exécutoire qu'une fois le délai d'opposition d'1 mois écoulé. Ce délai ne commence à courrir qu'à compter de la signification à personne ou, à défaut, suivant la 1ère mesure d'exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.
Une fois en possession des documents, le bailleur peut faire procéder à la signification à personne de l'ordonnance puis, une fois le délai d'opposition d'1 mois écoulé, demander un certificat d'absence d'opposition au greffe du tribunal.
Dès l'acquisition de la force exécutoire, le commissaire de justice peut ensuite mettre à exécution l'ordonnance (saisie-attribution, saisie-vente...). En cas de difficultés, le bailleur pourra saisir le juge de l'exécution. L'exécution de l'ordonnance peut être poursuivie pendant 10 ans [14].
5.2. La demande est partiellement acceptée
Si le juge ne retient la requête que pour partie, sa décision est également sans recours pour le bailleur, sauf à celui-ci à ne pas signifier l'ordonnance et à procéder selon les voies de droit commun.
5.3. La demande est rejetée
Enfin, si le juge rejette la requête, sa décision est sans recours pour le bailleur, sauf à celui-ci à procéder selon les voies de droit commun. La requête et les documents produits sont alors restitués au bailleur.
6. Le bailleur doit-il faire procéder à la signification de l’ordonnance ?
Oui. Le bailleur doit signifier au locataire :
- Une copie certifiée conforme de la requête
- Le bordereau des documents justificatifs
- L'ordonnance revêtue de la formule exécutoire
Attention ! L'ordonnance portant injonction de payer est non avenue si elle n'a pas été signifiée dans les 6 mois de sa date.
Sur ce point, il a été jugé que viole les dispositions légales, une Cour d'appel qui pour déclarer une opposition mal fondée, rentient que le non-respect du délai de 6 mois imparti pour la signification de l'ordonnance rendue par le tribunal n'a pas pour effet de vicier la procédure. Les magistrats de la Cour de cassation ont cassé et annulé l'arrêt [15].
Le commissaire de justice mandaté à cet effet met à disposition du locataire débiteur les documents justificatifs par voie électronique.
Si les documents justificatifs ne peuvent être mis à disposition par voie électronique pour une cause étrangère au commissaire de justice, celui-ci les joint à la copie de la requête signifiée.
A peine de nullité, l'acte de signification doit contenir, outre les mentions prescrites pour les actes de commissaire de justice, sommation d'avoir à payer au bailleur :
- Le montant de la somme fixée par l'ordonnance
- Les intérêts
- Les frais de greffe
Dans une affaire, il a été jugé que l’absence du montant des intérêts dans l’acte de signification du commissaire de justice est une irrégularité de forme qui n’entraine pas la nullité de l’acte dès lors que le débiteur ne justifiait d’aucun grief précis et qu’il a été relevé que cette irrégularité ne l’empêchait ni de faire opposition, ni de débuter les remboursements, ni même d’avoir connaissance du montant des intérêts, en les calculant lui-même à la lecture de l’ordonnance ou en interrogeant le commissaire de justice [16].
L’acte doit également faire sommation au locataire de faire opposition s’il souhaite faire valoir des moyens de défense.
A peine de nullité, l'acte de signification doit également :
- Indiquer de manière très apparente le délai dans lequel l'opposition doit être formée, le tribunal devant lequel elle doit être portée ainsi que les modalités selon lesquelles ce recours peut être exercé
- Avertir le débiteur qu'à défaut d'opposition dans le délai indiqué il ne pourra plus exercer aucun recours et pourra être contraint par toutes voies de droit de payer les sommes réclamées
Enfin, si la signification est faite directement au locataire et à moins qu'elle ne soit effectuée par voie électronique, le commissaire de justice doit porter verbalement à sa connaissance les indications (montant de la somme à payer, droit d’opposition, délai d’opposition…). L'accomplissement de cette formalité doit être mentionné dans l'acte de signification [17].
L'ordonnance ne constitue un titre exécutoire et ne produit les effets d'un tel titre ou d'une décision de justice qu'à l'expiration des causes suspensives d'exécution. Elle produit alors tous les effets d'un jugement contradictoire et n'est pas susceptible d'appel même si elle accorde des délais de paiement [18].
7. Le locataire dispose-t-il d’un droit d’opposition ?
Oui. Le débiteur peut s’opposer à l’ordonnance portant injonction de payer [19].
L’opposition rétablit le principe du contradictoire puisqu'elle conduit à la fixation d’une audience où les parties pourront être entendues par le juge.
L'opposition doit être portée devant la juridiction dont le juge a rendu l'ordonnance portant injonction de payer.
Elle doit être formée au greffe, par le locataire :
- Soit par déclaration contre récépissé
- Soit par lettre recommandée
A peine de nullité, le locataire doit mentionner son adresse.
Dans une affaire il a été jugé qu'est recevable l'opposition à une ordonnance d'injonction de payer adressée par lettre simple au greffe du tribunal dans le délai légal, la formalité de la lettre recommandée n'étant pas exigée à peine de nullité [20].
L'opposition doit être formée dans le mois qui suit la signification de l'ordonnance à personne [21].
Toutefois, si la signification n'a pas été faite à personne, l'opposition est recevable :
- Jusqu'à l'expiration du délai d'1 mois suivant le premier acte signifié à personne
- Ou, à défaut, suivant la première mesure d'exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur
Quelles que soient les modalités de la signification, le délai d'opposition est suspensif d'exécution.
L'opposition formée dans ce délai est également suspensive.
Autrement dit, aucune procédure civile d'exécution ne peut avoir lieu pendant le délai d'opposition d'1 mois et il en est de même si le locataire forme opposition à l'ordonnance.
Enfin, dans une affaire, une ordonnance portant injonction de payer avait été signifiée par remise à l'étude de commissaire de justice le 21/08/2006 puis à la personne du débiteur le 18/09/2006. Le débiteur sollicitait l'aide juridictionnelle le 02/10/2006 et formait opposition le 25/10/2006. Le débiteur était ensuite admis à l'aide juridictionnelle le 10/01/2007. Le juge déclairait irrecevable l'opposition comme formée au-delà du délai d'1 mois et le débiteur se pourvoyait en cassation. Les juges du droit ont cassé et annulé le jugement précisant que la demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai d'opposition [22].
Bon à savoir, l’Etat met à votre disposition un formulaire d’opposition à une injonction de payer que vous pouvez télécharge en cliquant ici.
Ce formulaire est accompagné d’une notice explicative que vous pouvez télécharger en cliquant ici.
8. Que se passe-t-il si le locataire fait opposition ?
En cas d’opposition du locataire, le greffier convoque les parties à une audience par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (LRAR).
La convocation doit contenir :
- Sa date
- L'indication de la juridiction devant laquelle l'opposition est portée
- L'indication de la date de l'audience à laquelle les parties sont convoquées
- Les conditions dans lesquelles les parties peuvent se faire assister ou représenter
La convocation adressée au locataire doit préciser en outre que, faute de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire.
Ces mentions sont prescrites à peine de nullité.
Le greffe adresse au bailleur, par LRAR, une copie de la déclaration d'opposition. Cette notification est régulièrement faite à l'adresse indiquée par le bailleur lors du dépôt de la requête en injonction de payer.
En cas de retour au greffe de l'avis de réception non signé, la date de notification est, à l'égard du destinataire, celle de la présentation et la notification est réputée faite à domicile ou à résidence.
Ensuite, le tribunal statue sur la demande en recouvrement. Il connaît, dans les limites de sa compétence d'attribution, de la demande initiale et de toutes les demandes incidentes et défenses au fond [23].
Le jugement du tribunal se substitue à l'ordonnance portant injonction de payer [24].
9. Que se passe-t-il si les parties ne comparaissent pas ?
Si aucune des parties ne comparait, le juge constate l’extinction de l’instance. L'extinction de l'instance rend non avenue l'ordonnance portant injonction de payer [25].
Notes de l'article :
[1] Article 1405 du Code de procédure civile
[2] Article 1406 du Code de procédure civile
[3] Article 761 du Code de procédure civile
[4] Article L. 213-4-4 du Code de l’organisation judiciaire
[5] Article 416 du Code de procédure civile
[6] Article 415 du Code de procédure civile
[7] Article 1407 du Code de procédure civile
[8] Article 54 du Code de procédure civile
[9] Article 57 du Code de procédure civile
[10] Article 1408 du Code de procédure civile
[11] Article 1409 du Code de procédure civile
[12] Article 1410 du Code de procédure civile
[13] Décret n° 2021-1322 du 11/10/2021
[14] Article L. 111-4 du Code des procédures civiles d'exécution
[15] Cass. Civ., 2ème, 08/07/2004, n° 02-19504, Bull. 2004, II, n° 366, p. 309
[16] Cour d’appel de PARIS, Pôle 4, Chambre 9 – A, 30/06/2022, n° RG 19/15437
[17] Article 1414 du Code de procédure civile
[18] Article 1422 du Code de procédure civile
[19] Article 1412 du Code de procédure civile
[20] Cass. Civ., 2ème, 01/03/1989, n° 87-19011, Bull. 1989, II, n° 56, p. 28
[21] Article 1416 du Code de procédure civile
[22] Cass. Civ., 2ème, 19/11/2009, n° 08-21491
[23] Article 1417 du Code de procédure civile
[24] Article 1420 du Code de procédure civile
[25] Article 1419 du Code de procédure civile