Boris LARA, juriste

Location • Transaction • Copropriété • Construction

Que risque un marchand de biens dissimulant la situation financière du locataire ?

Publié le Modifié le 10/08/2023 Vu 431 fois 0
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Que risque un marchand de biens dissimulant la situation financière du locataire  ?

La dissimulation volontaire de la situation financière difficile du locataire occupant le bien immobilier objet de la vente peut constituer une réticence dolosive entrainant un préjudice résidant dans la perte de chance pour l’acquéreur de solliciter une diminution du prix.

Dans une affaire, une société en nom collectif (SNC) exerçant l’activité de marchand de biens, aux droits de laquelle se trouvait une société par actions simplifiée (SAS), avait conclu en 2014, au bénéfice d’une société civile immobilière (SCI), une promesse de vente portant sur un immeuble dont certains locaux étaient loués. L’acte de vente avait été signé en 2015 moyennant un prix de 2 532 000 €. S'estimant victime d'un dol de la part de la société venderesse relatif à la situation financière de l'un des locataires, la SCI avait ensuite assigné la SAS en paiement de dommages et intérêts [1].

La Cour d’appel avait condamné la SAS a payer des dommages-intérêts sur le fondement de la réticence dolosive, après avoir retenu à son égard un manquement à l'obligation contractuelle d’information mise à sa charge par la promesse de vente conclue avec l’acquéreuse. Les juges d'appel avaient relevé qu’une information déterminante relative à la situation des locataires de l'immeuble vendu avait été portée à la connaissance du vendeur postérieurement à la signature de cette promesse, de sorte que le vendeur, disposait de cette information au jour de la conclusion de l’acte de vente définitif et l’avait dissimulé à son cocontractant. Les juges avaient également retenu que le manquement de la société venderesse à son obligation d’information avait causé un préjudice à la société acquéreuse correspondant à la perte de chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses.

La condamnation se fondait sur :

  • La mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » [2]

  • La réticence dolosive

« Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. (...) » [3]

 

La société venderesse avait ensuite saisie la Cour de cassation laquelle a rejeté le pourvoi aux motifs suivants :

« La Cour d'appel a relevé que la promesse de vente contenait une clause stipulant que, pendant la période de « transfert », entre la signature de la promesse de vente et celle de l'acte de vente, le vendeur s'engageait à informer périodiquement l'acquéreur de tout changement qui pourrait affecter, de manière significative, l'immeuble et sa situation locative.


Ayant retenu, par une interprétation souveraine de la volonté des parties, qu'il résultait des termes de la promesse et de l'acte de vente que la situation locative de l'immeuble avait été érigée en élément déterminant du consentement des parties, elle en a fait, à bon droit, l'appréciation au jour de la vente définitive.

Elle a retenu que la SCI (...) rapportait la preuve que la venderesse avait eu connaissance, durant la période de transfert, du fait que la (...) locataire, était confrontée à des difficultés financières importantes et qu'elle souhaitait mettre fin au bail portant sur un lot et obtenir une diminution du loyer sur deux autres lots faute de quoi elle ne reconduirait pas les baux.

 

Elle a relevé que le montant des loyers annuels versés par cette société s'élevait à près de la moitié des loyers de l'immeuble vendu et que la venderesse n'avait pas porté ces éléments d'information à la connaissance de l'acquéreuse se bornant à lui adresser un courriel rassurant faisant état d'un process classique de recouvrement des loyers dus par le locataire.


Ayant ainsi caractérisé le caractère intentionnel du défaut d'information, la Cour d'appel, qui a fait application de la responsabilité délictuelle, a retenu que celui-ci constituait une réticence dolosive ayant entraîné, pour la SCI, un préjudice résidant dans la perte de chance d'obtenir une diminution du prix de vente, dont elle a souverainement apprécié le montant. »

 

Autrement dit, entre la signature de la promesse de vente et celle de l’acte de vente définitif, la société venderesse a été informée que la locataire en place (une société commerciale) rencontrait des difficultés financières importantes et n’ en a volontairement pas informé l’acquéreuse, alors que cette obligation d'information était prévue contractuellement par les dispositions de la promesse de vente. Compte tenu de ces faits, il a été jugé que le caractère intentionnel du défaut d’information caractérise une réticence dolosive laquelle à entrainé un préjudice résidant dans la perte de chance pour l’acquéreuse de solliciter une diminution du prix

 

Les éléments démontrés par l'acquéreuse ayant conduit à la condamnation du vendeur sont notamment :

 

  • Une obligation d’information prévue contractuellement
  • Le caractère déterminant de l’information qui a été dissimulée (situation financière difficile de la locataire, part importante des loyers de cette locataire dans les revenus fonciers totaux)
  • Le caractère intentionnel du défaut d’information
  • Un préjudice résidant dans la perte de chance de solliciter une diminution du prix

 

Notes de l’article :

 

[1] Cass. Civ., 3ème, 16/09/2021, n° 20-19229

[2] Article 1240 du Code civil

[3] Article 1137 du Code civil

 

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