La règle est rappelée par une décision de la Cour d’appel de Paris du 14 novembre 2019 (CA Paris, pôle 2, ch. 2, 14 novembre 2019, n°17/18804) qui fait suite à de nombreuses décisions témoignant de l’insécurité juridique s'agissant d'une problématique laissée en grande partie à l’appréciation des juges du fond.
Par principe, « l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu'il a désignés » (article L.713-1 du Code de la propriété intellectuelle). Dès lors, le titulaire de la marque peut en user librement, notamment pour l'exercice de son commerce.
Cependant, l’article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose par ailleurs expressément que ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle, une marque « contraire à l’ordre public ou dont l'usage est légalement interdit ». Dit autrement, l’enregistrement à titre de marque ne préjuge aucunement du caractère licite de celle-ci et ne saurait avoir pour finalité de conférer une protection à un signe contraire à l’ordre public.
En matière de boissons alcoolisées, comme c’était le cas dans l’affaire objet de l’arrêt précité, l’ordre public s’entend comme de la nécessité de protéger la santé publique. A cette fin, la publicité en faveur des boissons alcoolisées est aujourd'hui réglementée aux articles L.3323-2 à L.3323-6 du Code de la santé publique, lesquels viennent ainsi fortement limiter les droits du titulaire de marque qui ne peut user de celle-ci comme il le souhaite.
En effet, les titulaires de marques enregistrées dans les classes 32 ou 33 pour des boissons alcoolisées ne pourront utiliser leurs signes qu’à la condition de respecter ce dispositif de protection de la santé publique particulièrement restrictif.
L’article L.3323-4 du Code de la santé publique conditionne ainsi la publicité en faveur des boisons alcoolisées à la communication de données objectives et strictement descriptives, c’est-à-dire « à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit ».
Elle peut en outre comporter des « références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine (...) ou aux indications géographiques (…), des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
En vue de l’application de ces principes législatifs, la jurisprudence distingue la communication sur le produit, l’alcool, qui est licite, de celle sur sa consommation, qui est illicite, car contraire à l’objectif de protection de la santé.
La Cour de Paris rappelle plus précisément dans la décision du 14 novembre dernier que « seule l'incitation à une consommation excessive contrevient à l'objectif de santé publique de lutte contre l'alcoolisme défini par le législateur ».
Eu égard à la subtilité de la distinction, la marge d’appréciation reconnu aux juges du fonds est importante. Ces derniers apprécieront si la publicité, peu importe sa forme, fait simplement la promotion de l’alcool, ou incite à sa consommation.
Des illustrations traduisent la casuistique en la matière :
1. Dans une publicité pour le Champagne Moët et Chandon, figurait, sous une une bouteille de Champagne brut impérial rosé sur fond noir, avec des pétales de rose autour de la bouteille, le slogan «la nuit est rose ». Pour les juges de première instance (TGI Paris, 7 septembre 2006), il ne s’agissait pas d’une association d’idée avec le fait de « voir la vie en rose » mais une simple référence à la couleur du vin, à sa saveur ou encore à sa légèreté. Dès lors, car purement descriptif, la slogan fût validé.
Ce dernier est cependant apprécié différemment en appel (CA Paris, 16 janvier 2008, n°06/09503), puisque les conseillers et le Président composant la Cour ont eux estimé que ledit slogan avait « manifestement pour objet de créer une association d'idées entre la consommation de ce champagne et le fait de voir la vie en rose», d'où son interdiction.
2. La seconde affaire est relative à une publicité pour un vin comportant, outre la photographie de deux verres à vin remplis, le slogan suivant : « Cabernet d’Anjou. Qui ose dire que jeunesse ne rime pas avec délicatesse ? ».
Alors que la Cour d’Appel avait exclue toute référence « à la convivialité incitant à la boisson», sa décision est cassée au motif que selon la Cour de cassation, le message de « la publicité litigieuse ne se bornait pas en la reprise des caractéristiques objectives et techniques du produit, mais renvoyait sans ambiguïté au comportement humain (...) et constituait d'évidence une incitation à la consommation de cette boisson alcoolique » (Cass. 1reciv., 22 mai 2008 , n° 07-14.984).
L’appréciation des magistrats du Quai de l’Horloge est discutable en l'espèce puisque les termes de « jeunesse » et de « délicatesse » pourraient également être considérés, d’un point de vue oenologique, comme descriptifs car correspondant aux « caractéristiques olfactives et gustatives du produit » visées à l’article L.3323-4 du Code de la santé publique.
3. Enfin, la décision du 14 novembre 2019 de la Cour d’appel de Paris se prononce sur l’usage par la société HEINEKEN du slogan « open your world», lequel avait fait l’objet d’un enregistrement à titre de marque.
L’appelante arguait notamment du fait que celui-ci se traduisait « de la manière suivante : ouvrir une heineken, c'est consommer une bière vendue dans le monde entier ». Partant, le slogan « open your worl » constituerait pour la société HEINEKEN « une information objective et dénuée de toute incitation à la consommation excessive d'alcool ».
L’argument n’est pas retenu par les juges du fonds qui jugent en l'espèce que :
« le slogan ne peut pas avoir le sens que lui donne la société appelante ; que sa traduction littérale - ouvrer votre monde - fait allusion, outre mesure, aux prétendues vertus désinhibitrices de l'alcool, censées permettre au consommateur de s'ouvrir au monde l'environnant ce qui constitue une incitation directe à la consommation excessive d'alcool prohibée par le texte sur mentionné ».
En conséquence, la Cour confirme le caractère illicite de ce slogan et l’interdiction de son usage.
Cette affaire, comme les précédentes, met en évidence la part de subjectivité dans l'appréciation par le juge du caractère objectif des informations communiquées.
Il en découle que s'agissant de la publicité en faveur des boissons alcoolisées, si une certaine créativité reste possible, l’évocation d’ambiances, de situations, de sentiments, de qualités ou de vertus associés à la consommation d’alcool, sera bien souvent censurée car invitant à sa consommation.
Pourtant, la publicité pour ce type de produit implique bien souvent le recours à des références subjectives qui font partie intégrante de l’expérience de consommation du produit en cause. C’est là toute la difficulté qui pèse sur les acteurs d'un secteur en situation d’insécurité juridique.
Pour autant, on comprend aisément l’arbitrage opéré par le législateur et les juridictions en faveur de l'objectif de santé publique de lutte contre l'alcoolisme, même si l’usage des marques en faveur de boissons alcoolisées s’en trouve fortement restreint.
Par Mike BORNICAT, élève avocat