L’obligation de paiement des loyers commerciaux a été impacté par deux ordonnances prises en réponse à l'épidémie de la Covid-19 :
- L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 ;
- L’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 ;
I.D’une part, l’article 4 de l’ordonnance n°2020-316 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 dispose que :
« Les personnes mentionnées à l'article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».
L’application des mesures, lesquelles sont limitées, est donc conditionnée au respect de certains critères.
Par application du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité sont concernées :
Les personnes physiques ou morales de droit privé exerçant une activité économique susceptibles de bénéficier du fond de solidarité spécialement créé pour faire face aux conséquences financières de l’épidémie (Ord. 2020-316 art. 1er), c’est-à-dire celles qui ont :
o leur domicile fiscal en France ;
o moins de 10 salariés ;
o un chiffre d’affaires sur le dernier exercice clos inférieur à 1 millions d’euros ;
o un bénéfice imposable inférieur à 60 000 euros ;
L’activité de ces entreprises doit avoir débuté avant le 1er février 2020 et celles-ci ne doivent pas faire l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire au 1er mars 2020. Elles doivent en outre avoir subi soit une interdiction d’accueil du public soit une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % en mars 2020 par rapport à mars 2019.
L’article 4 de l’ordonnance n°2020-316 précité, neutralise simplement les conséquences du défaut de paiement par les entreprises protégées des loyers et charges dues au titre de leurs locaux professionnels ou commerciaux, si l’échéance de paiement est intervenue ou intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit jusqu’au 10 septembre 2020 (article 4, LOI n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19).
En cas de défaut de paiement, les entreprises protégées ne peuvent pas encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions.
Il en va de même si l’entreprise fait l’objet d’une procédure collective, puisque l’ordonnance écarte alors les dispositions des articles L 622-14 et L 641-12 du Code de commerce relatifs à la résiliation des baux professionnels dans le cadre d’une telle procédure.
Pour autant, l'obligation de paiement demeure, et le loyer impayé devra tôt ou tard être acquitté par le locataire...
S'agissant de la paralysie des sanctions du défaut de paiement, l’article 4 de l’ordonnance n°2020-316 ne met aucune formalité à la charge des entreprises protégées aux fins de bénéficier de ces mesures.
Mais, par analogie avec les articles 2 et 3 de l’ordonnance 2020-316 (applicables aux obligations de paiement des factures d’électricité et de gaz), il est loisible de considérer que les entreprises doivent a minima attester du fait qu'elles remplissent les conditions d’éligibilité et d’exactitude des informations déclarées.
II.D’autre part, peut également être applicable au paiement des loyers, l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306, lequel dispose que :
« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er.
Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.
La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation, autre que de sommes d'argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l'article 1er, est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période.
Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er »
Dans le même sens que le précédent, cet article neutralise le jeu des astreintes et de certaines clauses contractuelles sanctionnant le locataire (et plus généralement le débiteur) défaillant (clauses pénales, clauses résolutoires et clauses prévoyant une déchéance) lorsque celui-ci devait s’exécuter avant l’expiration d’un délais, lorsque ce délai a expiré entre le 12 mars 2020 et 23 juin 2020 inclus (article 1er, I, de l’ordonnance n°2020-306).
Cette neutralisation des sanctions de l’inexécution contractuelle concerne toute les entreprises sans conditions de forme, de taille ou de chiffre d’affaires.
III. Suspension de l’obligation de paiement du loyer par application du droit commun.
L’article 1220 du Code civil dispose que une « partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle » cette suspension devant « être notifiée dans les meilleurs délais ».
L’application de ce principe permet ainsi au locataire, selon la jurisprudence, de notifier au bailleur une exonération de paiement du loyer lorsque ce dernier n’exécute pas ses propres obligations principales, notamment celle de délivrance et de garantie de jouissance des locaux.
Selon la Cour de cassation, une cour d'appel a souverainement apprécié le bien-fondé de l'exception d'inexécution opposée par un locataire en raison du manquement du bailleur à procurer à celui-ci une jouissance des lieux conforme aux stipulations du bail, le locataire étant alors autorisé à suspendre le paiement du loyer (Cass. 3e Civ., 8 juin 1988 n° 87-11107 - Cass. 3e Civ., 1er mars 1995 n°93-13.812).
Dans une espèce où il était reproché au bailleur un manquement à son obligation de délivrance à raison de la fermeture d’une galerie commerciale du fait des problèmes de sécurité, empêchant l'exploitation du commerce, faute pour le bailleur d’avoir effectué les travaux nécessaires sur les parties communes, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Marseille qui avait déclaré nul et de nul effet le commandement de payer délivré à la demande du bailleur sur le fondement des loyers impayés (CA Aix-en-Provence, 17 novembre 2015, n° 14/06957).
Dans le même sens, la Cour d’appel de Rennes a admis l’exception au paiement des loyers et a retenu que :
« les locataires sont donc bien fondés à opposer l'exception d'inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance sans que puissent leur être opposés la force majeure » (CA Rennes, 5 juin 2019, n° 16/06391 : pour un bail d’habitation).
Dit autrement, parce que le bailleur ne s'exécute pas, le locataire n'a plus aucune raison de s'exécuter.
Exemple : Un arrêté a interdit l’ouverture d’un centre commercial durant la période d'état d'urgence sanitaire. De ce fait, le bailleur n’a pas été, et n'est pas en mesure de satisfaire à son obligation de délivrance du local, privant ainsi le locataire de la jouissance de celui-ci. En conséquence, le locataire est en droit de suspendre l’exécution de ses propres obligations, notamment celle au paiement du loyer.
En conséquence, et dans cette hypothèse seulement, les entreprises peuvent valablement suspendre le paiement de leurs loyers pendant la période de fermeture du centre commercial, ceci à la condition de notifier cette suspension au bailleur et de se conformer, plus généralement, au processus décrit dans le bail, le cas échéant.
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En définitive, les dispositions des deux ordonnances ont en commun de ne pas affecter l’obligation de paiement des loyers. Les échéances contractuelles doivent toujours être respectées et aucun report de paiement, ni aucune suspension ou annulation des loyers pour la période en cause ne sont prévus par le texte des deux ordonnances.
Le non-paiement du loyer par le locataire peut être justifié sur le fondement du droit commun, à la condition que le bailleur n’ait pas exécuté ses propres obligations.
A fortiori, les loyers échus hors période protégée obéissent au droit commun des baux et aux stipulations contractuelles.
Par Mike BORNICAT, élève avocat