Rappelons brièvement que la transmission successorale d'un patrimoine doit obéir à certaines règles, auxquelles on ne peut déroger.
Notamment, il n'est pas permis de porter atteinte à la part de réserve, minimum qui revient par la loi à certains héritiers protégés, tels les enfants et le conjoint survivant, en l'absence de ceux-ci. Les règles relatives à la réserve étant d'ordre public, aucune convention ne peut y déroger, hors le cas du pacte de famille institué par la loi du 23 Juin 2006 portant réforme des successions et libéralités.
Toutefois, l'article 912 alinéa 2 du Code civil offre la possibilité de consentir des donations ou legs à toute personne de son choix, dans la limite d'une certaine part, appelée "quotité disponible". Il s'agit de la part dont on peut disposer librement par libéralités, et dont le taux est variable selon le nombre d'enfants du défunt. La quotité disponible est le complément de la réserve globale. (Pour exemple, en présence de deux enfants, le taux de la quotité disponible est égale à un tiers de la masse successorale, ainsi la réserve globale est de deux tiers et la réserve de chaque enfant d'un tiers)
Ainsi privilégier un enfant par rapport aux autres, et rompre ainsi l'équilibre entre les héritiers est possible. Cette volonté du défunt doit être expresse et prévue à l'acte. Elle consiste à consentir une donation à un de ses enfants en stipulant qu'elle s'impute sur la quotité disponible. Cet avantage direct lui permettra d'être dispensé de rapporter les biens donnés à la succession du donateur, c'est à dire que seuls seront compris dans la masse successorale les biens existant au décès.
Enfin au décès, le notaire examinera si la quotité disponible n'a pas été dépassée, c'est à dire si le défunt n'a pas consenti plus de libéralités qu'il ne le pouvait. Si les héritiers réservataires ont été lésès, certaines donations seront réduites et/ou certains legs ne pourront trouver à s'éxécuter. La réduction signifie que le gratifié sera tenu de restituer la différence à ses co-héritiers réservataires. Elle s'opère, en principe, en valeur c'est à dire au moyen d'une indemnisation en argent. Cette sanction peut remettre en cause totalement la donation si la quotité disponible est déjà entièrement absorbée par des donations antérieures.
C'est pourquoi, certains tentent de dissimuler une donation sous le couvert d'une vente. Il est à noter également que le le tarif des droits de mutation à titre gratuit est beaucoup plus élevé après abattement (souvent la tranche des 20%) que celui des droits de mutation applicable aux ventes (5,09%).
Afin de préserver l'équilibre entre les héritiers, et lutter contre la fraude à l'administration fiscale, l'article 918 considère comme suspectes certaines ventes à un héritier en ligne directe et énonce une présomption irréfragable de gratuité à l'encontre de toute aliénation à titre onéreux, sous forme de rente viagère, à fonds perdus ou avec réserve d'usufruit, en faveur d'un héritier en ligne directe, c'est à dire enfant ou parent.
Cette présomption est écartée en cas de consentement à l'acte de l'ensemble des co-héritiers.
Lesdites ventes sont automatiquement requalifiées en libéralité. Le code civil ajoute que cette donation s'impute sur la quotité disponible. Il s'agit alors d'une donation hors part successorale.
Seuls peuvent intenter l'action en réduction, les héritiers réservataires lésès, n'ayant pas consenti à l'acte. La valeur des biens donnés sera imputé sur la quotité disponible. S'en suit les conséquences ci-après:
Premièrement l'exédent devra être rapporté à la masse de succession. La part de chacun sera recalculée, par parts égales entre héritiers du même ordre.
Deuxièmement, en cas de dépassement de la quotité disponible, le gratifié sera tenu d'indemniser ses co-héritiers.
Troisièmement, l'administration fiscale rappelera les droits de mutation à titre gratuit non perçus, assortis des intérêts de retard (0,40% par mois) et pénalités en cas de mauvaise foi (40%) et manoeuvres frauduleuses (80%).
Peut-on considérer semblable le shéma de l'aliénation sous forme de rente viagère en faveur d'une société constituée par un descendant en ligne directe. L'interposition d'une société fait-elle échec à l'application de l'article 918 du code civil?
La Cour de Cassation, ainsi qu'il résulte de son arrêt du 30 Septembre 2009, cass. 1. civ n° 08-17.411 fait application stricte du principe de l'autonomie de la personnalité morale des sociétés.
Une société a une personnalité juridique distincte de celle de ses associés. La Cour de cassation a ainsi tirée la conséquence suivante:
Un père de famille avait vendu, pour un prix partiellement converti en rente viagère, un immeuble à une société civile immobilière ayant pour associé l'un de ses enfants. Après son décès, les autres enfants avaient invoqués l'article 918 sous l'ancienne rédaction du code civil en vue de rétablir l'équilibre entre les héritiers.
Ils soutenaient que la vente avait en réalité été consentie à leur frère, lequel possédait 20 % du capital de la SCI, le reste étant détenu par une autre société dont il était aussi associé.
Cet argument a été rejeté. "L'article 918 s'applique seulement aux ventes consenties à l'un des successibles en ligne directe. Or tel n'est pas le cas de la vente régulièrement consentie à une SCI, peu important que cette société ait pour associé un successible en ligne directe du vendeur décédé, dès lors que celle-ci, ayant une personnalité juridique distincte, l'opération n'a pas pu avoir pour effet de rendre ce dernier propriétaire du bien."
Notons également que l'interposition d'une société civile immobilière permet de faire échec à la présomption de fictivité des démembrements de droits de propriété entre défunt et héritiers édictée par l'article 751 du Code Général des Impôts. Cette présomption s'applique ici aussi bien aux mutations à titre gratuit et qu'aux mutations à tire onéreux. L'argument retenu est encore l'existence d'une personnalité juridique distincte.
Aux termes de cette présomption, est ainsi réputé propriétaire, du point de vue fiscal, l'usufruitier de tout bien meuble ou immeuble dont la nue-propriété appartient à ses présomptifs héritiers ou à leurs descendants, à ses donataires ou légataires ou à des personnes réputées interposées .
Les personnes réputées interposées sont celles désignées par l'article 911, al2 du Code civil , soit le conjoint, les descendants et les père et mère des nus-propriétaires.
Cette présomption produit l'effet suivant: au décès de l'usufruitier, le nu-propriétaire devra acquitter les droits de succession sur la valeur de la pleine propriété du bien et non uniquement sur la valeur en nue-propriété.
Parmi plusieurs solutions, existe celle notamment de faire détenir l'usufruit d'un bien par les parents et la nue-propriété par une société civile dont les associés sont les enfants. Ce shéma permet de réaliser la transmission de ce bien en échappant à tout risque d'application de ladite présomption.
Dans cette situation, la nue-propriété n'appartient pas à l'un des héritiers présomptifs de l'usufruitier, mais à la société constituée entre ces héritiers, société qui a une personnalité distincte de celle de ses associés.
Ajoutons que le schéma n'a pas été remis en cause par les modifications apportées par la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et libéralités, notamment au texte de l'article 911 du Code civil. Les personnes morales sont désormais susceptibles de constituer des personnes interposées.(Article 911 al 1 du Code civil). Cette présomption d'interposition posée par l'alinéa 2 de l'article 911, auquel renvoie l'article 751 du Code Général des Impôts, continue à ne faire référence qu'aux père, mère, descendants et époux.