Article publié sur le site internet Musicalitis, édité par M. Le Professeur Jérôme HUET :
http://musicalitis.com/parlons-droit/dans-la-foul%C3%A9e-de-notre-dernier-article-sur-le-rapprochement-entre-producteur-de
Juin 2018
Dans la foulée de notre dernier article sur le rapprochement entre producteur de phonogramme et éditeur, nous avons eu l’envie d’expliquer la stratégie du 360° menée par les producteurs
La stratégie du 360° – dont nous allons voir qu’elle amène le producteur de phonogramme à participer aux revenus d’autres métiers de la musique : édition, production de spectacles, merchandising… – apparait en France dans les années 2000 avec la crise du disque. Artiste, producteur, éditeur, producteur de spectacle, manager, tous ont été confrontés à ce nouveau concept qui dans une certaine mesure a contribué à créer un nouvel équilibre de l’industrie musicale, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Mais de quoi s’agit-il exactement ? S’agit-il d’un contrat ? S’agit-il d’une stratégie économique ? Quelle en est l’origine ? Et comment l’appliquer ? Autant de questions que les professionnels de la musique se sont posé à l’époque et continuent de se poser aujourd’hui.
Le 360° nait aux Etats-Unis. Il s’agit d’une nouvelle stratégie de développement des producteurs de phonogramme devant la crise du disque. La vente du disque déclinant avec l’essor du téléchargement illégal, les producteurs phonographiques doivent diversifier leur activité et leurs revenus pour survivre. Ils sont alors devenus éditeur, producteur de spectacle, manager, merchandiseur… et parfois même tout à la fois dans une activité qui englobe tous les principaux métiers de l’industrie musicale. C’est cette stratégie de développement des producteurs de phonogramme que l’on a appelé le 360° : concentrer différents métiers de la musique au sein d’une même structure, sur une même tête. Comme nous le verrons, cette pratique n’a pas été sans effets sur les contrats de l’industrie musicale et il est encore difficile aujourd’hui d’avoir une lecture claire de la matière en droit français. Pour mieux assimiler cette notion de 360°, nous la présenterons d’abord dans son aspect économique, puis sous l’angle de son application organique et juridique.
L’économie de l’industrie musicale
Pour mieux comprendre l’intérêt économique du 360°, il est nécessaire de présenter succinctement l’économie des principaux secteurs de l’industrie musicale qui entourent l’artiste et ses différents métiers. Cette industrie se décompose en quatre principaux secteurs dont voici une brève description :
La production phonographique : La production phonographique est assumée par le producteur phonographique qui finance l’enregistrement et la promotion du phonogramme, puis en assume l’exploitation. Comme nous l’avons expliqué, la vente physique des disques n’a fait que décliner depuis les années 2000 et l’apparition de l’internet. Le téléchargement légal n’a, à ce jour, pas pris vraiment le relais. Et, s’il est vrai que, de son côté, le streaming – consommation par l’écoute – s’est considérablement développé pour devenir aujourd’hui le premier mode de consommation de la musique, il reste encore peu rémunérateur pour le producteur. La production phonographique est donc volontiers qualifiée d’activité à risque et elle est souvent déficitaire.
L’édition musicale
L’édition musicale est assumée par l’éditeur. Il représente les auteurs et les compositeurs. Son rôle est d’exploiter les œuvres musicales dont il est le cessionnaire en partie. Il développe la notoriété de l’auteur/compositeur (interprète ou non) en plaçant ses œuvres pour des diffusions audiovisuelles (télévision, radiodiffusion, cinéma, synchronisation…). Si l’auteur/compositeur est également interprète et développe lui-même sa carrière phonographique (financement de maquettes ou d’une partie de son album), il cherche un producteur de phonogramme. Il développe aussi sa carrière scénique en cherchant un producteur de spectacle ou en financement une partie de sa tournée. Ce secteur n’est pas présenté comme un secteur à risque, l’éditeur se constitue un patrimoine d’œuvres pour un investissement limité qui lui assurera des revenus réguliers en cas d’exploitation.
La production de spectacle
La production de spectacle est assumée par le producteur de spectacle qui finance la création du spectacle de son artiste (répétitions, salaires, location de salles, sonorisation, décors et lumière…). S’il n’est pas précisément à l’initiative de la création du spectacle, alors il sera entrepreneur de spectacle mais restera l’employeur de l’artiste et bénéficiera d’une partie des recettes de la tournée. Depuis la crise du disque des années 2000, il apparait que la scène s’est considérablement développée (plus de 25 % depuis les années 2000, avec des prix de billets en grande augmentation). Elle est même devenue la principale source de revenus des artistes (de 50 % à 80 % de leurs recettes). Ce secteur connait un essor très important aujourd’hui.
Les droits dérivés (merchandising / sponsoring / image)
Parmi les droits dérivés, évoquons en premier lieu la vente des produits liés au merchandising. Son exploitation est traditionnellement réservée aux artistes directement qui souvent gagnent plus d’argent en vendant des T-shirts ou des Cds à la fin des concerts qu’avec leur propre cachet. Pour un artiste notoire, ces revenus sont très conséquents. Evoquons également le sponsoring qui va permettre à une marque de s’attacher l’image d’un artiste pour sa publicité. Ce secteur concernant les artistes les plus célèbres, il est plus restreint mais très rémunérateur.
La mise en œuvre de la stratégie 360°
Nous remarquons donc que si le secteur du disque est en crise depuis les années 2000, cela affecte principalement les producteurs de phonogramme, les autres principaux secteurs de l’industrie musicale ne subissant pas pour autant le même sort. Traditionnellement, ces différentes ressources étaient reparties en toute étanchéité entre les divers professionnels. La stratégie du 360° va permettre au producteur de bouleverser cette classification historique des métiers de la musique. Il devient également éditeur et/ou producteur de spectacle et/ou merchandiseur. Il diversifie son activité et ses revenus.
Prenons un exemple concret : le concert
L’essor de plus de 25 % en 15 ans du spectacle vivant explique aisément qu’un producteur de phonogramme, subissant la crise, soit attiré par l’idée de tirer des revenus des concerts de l’artiste dont il a développé la notoriété et sur lequel il a investi son temps et son argent. Un concert génère différentes recettes : la billetterie, l’exploitation du bar, les droits d’auteurs pour l’artiste/auteur et l’éditeur le cas échéant (environ 8% des recettes du concert incluant la billetterie et le bar), puis le merchandising sur place souvent non négligeable. Le concert bénéficie finalement à l’artiste, qui touche son cachet et tire profit des recettes du merchandising, à l’auteur/compositeur, qui touche des droits d’auteurs de la SACEM, partagés avec un éditeur le cas échéant, et au producteur de spectacle, qui touche la billetterie. Les recettes étaient donc réparties entre ces différents ayants droits en toute étanchéité. Mais le producteur phonographique, lui, ne touchait rien sur ces divers revenus. Avec le 360°, il est amené à toucher sur tout. La stratégie du 360° va donc permettre de récupérer une partie des revenus d’un autre secteur de l’industrie musicale. Mais comment cette stratégie est-elle mise en œuvre ?
Bertrand Laussinotte
Nous verrons dans un prochain article la mise en œuvre organique et contractuelle du 360°.