La révélation d’un fait social qui fait pleurer
8000 élèves vivant dans l’arrondissement de Mokolo n’ont pas pu se présenter au CEP en 2018 faute d’actes de naissance. Cette nouvelle publiée dans le quotidien L’ŒIL du Sahel n° 1087 du 22 juin 2018 (Page 6) m’a fait couler des larmes. Il faut agir vite et bien et nous sommes tous interpellés.
Selon L’ŒIL du Sahel, les autorités pointent du doigt deux principaux problèmes pour expliquer cette situation : « le premier est l'ignorance de certains parents de l'importance de ce précieux document, d'où leur indifférence par rapport aux déclarations de naissance », « le second est l'éloignement des villages des centres d'état civil. C'est le cas du canton de Mokong peuplé de plus de 50 000 habitants, mais n'a que seulement trois centres d'état civil ». A ces 2 raisons, j’ajoute 2 autres : - l’indifférence de ceux qui savent et qui peuvent, - ainsi que l’ignorance par les concernés, aussi bien de ce que prévoit la loi en la matière que de la disponibilité des Magistrats à rendre service face à un tel dénuement.
L’ŒIL du Sahel a apporté une bonne contribution en révélant au public ces faits. A notre avis, cette publication est la preuve d’une bonne pratique au sein de ce journal de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE).
Le journal ajoute que le problème des enfants sans actes de naissance concerne toute la région de l'Extrême-Nord où le taux d'enregistrement de naissance est seulement de 42% selon les données du Bureau National de l’Etat Civil (BUNEC). L’Est en est également concerné, dans la mesure où à Betaré-Oya par exemple, 58% d’enfants n’ont pas d’acte de naissance.
Comment éradiquer le mal ?
Ces 8000 enfants ont perdu cette année scolaire. Mais il faut que dans l’avenir, plus précisément à partir de 2019, ils puissent se présenter aux examens, ne serait-ce qu’au CEP, pour ceux qui auront dépassé l’âge maximum pour se présenter au concours d’entrée en 6ème. Il faut surtout que cela n’arrive plus à un enfant camerounais. Tout camerounais devrait se présenter aux examens et concours, sans se heurter au problème aisément soluble qu’est l’acte de naissance. C’est le droit le plus élémentaire de ces jeunes enfants qui n’ont commis aucune faute.
Comment éradiquer le mal ? L’information est la première ressource. A cette fin, le présent article est un guide tendant à mettre à la disposition des personnes concernées toutes les informations utiles contenues dans l'ordonnance n° 81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil et diverses dispositions relatives à l'état des personnes physiques telle modifiée par la Loi n°2011/011 du 06 mai 2011 .
Voici les principales dispositions dudit texte dont la connaissance peut aider à faire en sorte que dès sa naissance tout enfant puisse avoir un acte de naissance ?
Que faire pour chaque enfant qui naîtra désormais obtienne son acte de naissance ?
Question : Où faut-il déclarer la naissance de l’enfant ?
Réponse : La naissance de chaque enfant doit être déclarée à l'officier d'état civil du lieu de naissance, c’est-à-dire à la représentation de la mairie la plus proche de la localité (quartier, village, ville…) où l’enfant est né.
Question : Le délai pour déclarer la naissance d’un enfant est-il limité ?
Réponse : Oui, le personnel médical et les personnes qui ont assisté la mère sont tenues de déclarer toute naissance dans les 30 jours suivant l'accouchement.
Si les personnes ci-dessus énumérées n’ont pas déclaré la naissance dans ce délai de 30 jours, les parents de l'enfant disposent d'un délai supplémentaire de soixante (60) jours pour faire la déclaration auprès de l'officier d'état civil du lieu de naissance. En d’autres termes les parents disposent d’un délai de 90 jours, soit 3 mois pour déclarer la naissance de l’enfant. On estime que même en cas d’accouchement difficile, par exemple par césarienne, la maman a eu le temps de reprendre ses esprits pour pouvoir faire établir elle-même l’acte de naissance de l’enfant. Le père dispose aussi du même délai de 3 mois
Question : Qui doit ou peut déclarer la naissance d’un enfant ?
Réponse : Lorsque l'enfant est né dans un hôpital, un dispensaire ou tout centre de santé, le chef dudit établissement ou à défaut, le médecin ou toute personne qui a assisté la mère, est tenu de déclarer la naissance de l'enfant dans les trente (30) jours suivant l'accouchement. Cela veut dire qu’en dehors du personnel de l’hôpital, médecin, sage-femme, infirmier, parents de l’enfant, toute personne qui est au courant de la naissance de l’enfant peut déclarer ladite naissance. Il suffit qu’il dispose des informations prévues par la loi pour accompagner sa déclaration. Evidemment les parents peuvent aussi déclarer la naissance. Ils disposent à cette fin d’un délai plus long que les autres.
Question : quels sont les éléments à donner à l’officier d’état civil (Maire) pour lui permettre d’établir l’acte de naissance de l’enfant?
Réponse : L’officier d’état civil a besoin des renseignements suivants pour établir un acte de naissance :
- les noms, prénoms, et sexe ainsi que les date et lieu de naissance de l'enfant;
- les noms, prénoms, âge, nationalité, profession, domicile ou résidence du père et de la mère de l'enfant;
Question : Que faire si la naissance d’un enfant n’a pas été déclarée dans les 90 jours prévus par la loi ?
Réponse : Dans ce cas, il convient de porter les faits à la connaissance à M. le Procureur de la République dans les six (06) mois de la naissance, c’est-à-dire dans les 90 jours à compter de l’expiration du délai de 90 jours impartis aux parents.
Le procureur de la République ainsi saisi peut demander à l’officier d’état civil d’enregistrer la naissance de l’enfant, c’est-à-dire de lui établir un acte de naissance.
Comment procurer des actes de naissance aux grands enfants ?
Question : Que faire si 6 mois après sa naissance, l’enfant n’a pas été déclaré à l’état civil ?
Réponse : Au cas où 6 mois après sa naissance, l’acte de naissance de l’enfant n’a pas été établi, les parents sont désormais obligés de procéder à la reconstitution dudit acte. Cette reconstitution est faite par jugement rendu, à la demande des parents, par le tribunal de premier degré, (qui est une section du Tribunal de Première Instance). C’est pourquoi, jusqu’à la loi du 06 mai 2011 on appelait « jugement supplétif d’acte de naissance », la décision qui sera rendue par le tribunal en réponse à cette demande.
Question : Où se trouve le tribunal qu’il faut saisir ?
Réponse : Le jugement relatif à la reconstitution d’acte de naissance est rendu par le Tribunal de Premier Degré du lieu où la naissance aurait dû être déclarée. Le Tribunal de Premier Degré est une section (chambre) du Tribunal de Première Instance qui s’occupe également des affaires coutumières et qui applique la coutume des parties, à la seule condition que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public.
La loi prévoit que chaque arrondissement devrait être couvert par un Tribunal de Première Instance. Cependant, ce n’est pas encore le cas dans l’immense majorité des arrondissements : le Tribunal de Première Instance est donc situé au chef-lieu du département dans l’immense majorité des cas.
Question : Quels sont les renseignements à fournir dans une demande de reconstitution d’acte de naissance ?
Réponse : Vous devez donner dans votre requête les renseignements suivants :
a) les nom et prénoms du requérant ;
b) les nom, prénoms, filiation, date et lieu de naissance de la personne concernée par la reconstitution de l'acte.
c) les motifs détaillés justifiant la reconstitution ou la rectification ;
d) les nom, prénoms, âge et résidence des témoins ;
e) le centre d'état civil où l'acte aurait dû être dressé.
Question : Le Magistrat saisi fait-il automatiquement droit à votre demande ou bien peut-il procéder à quelques vérifications avant de rendre la décision ordonnant la reconstitution d’un d’acte de naissance ?
Réponse : Bien vouloir noter que votre demande de reconstitution doit être transmise au Procureur de la République, lequel vérifiera sa sincérité, notamment sur les points suivants :
- la reconstitution sollicitée n'aura-t-il pas pour effet un changement frauduleux de nom, prénom, filiation, date de naissance, etc… ?
- s'il n'existe pas déjà pour la même personne un autre acte de naissance ;
- les témoins que vous avez présentés sont-ils susceptibles, soit d'avoir assisté effectivement à la naissance qu'ils attestent, soit d'en détenir les preuves ;
Avant de rendre le jugement, le tribunal doit procéder à une enquête, sauf pour les demandes concernant les mineurs de moins de 15 ans.
Pourquoi ne pas procéder aussi des reconstitutions collectives des actes de naissance ?
Question : N’y a-t-il pas lieu de craindre les lenteurs judiciaires et les frais de justice trop élevés pour les parents sans revenu et habitant loin des juridictions ?
Réponse : Ces craintes sont fondées. C’est pourquoi pour plus d’efficacité, les actions peuvent être menées collectivement. Les mariages collectifs sont de plus en plus pratiqués. Pourquoi ne pas pratiquer aussi des reconstitutions collectives d’acte de naissance ? N’oublions qu’outre les exigences relatives aux diplômes (CEP) et aux concours, les cartes d’identité nationales ne sont délivrées qu’au vue des actes de naissances attestant que le candidat est camerounais. Si de nos jours il y a peut-être tolérance, il est certain que ceux-ci n’auront jamais de carte d’identité nationale. Faute de disposer de cette pièce, ils ne pourront pas voter, ouvrir un compte en banque, voyager hors du pays, etc. Tout se passe comme si vis-à-vis de l’administration ils n’existent pas.
En procédant collectivement à la reconstitution, les magistrats et le personnel de greffe, qui seront certainement heureux de contribuer au succès d’une action en groupe visant à permettre aux enfants d’aller à l’école, pourront mieux s’impliquer et gagner du temps utile pour tous. Les guides juridiques et accompagnateurs des enfants perdront moins de temps et d’argent. En gros, il sera plus aisé de convaincre les parents d’enfants qui n’en veulent pas.
S’agissant de l’impact sur les coûts, une action collective réduirait le coût moyen à moins de 10 000 (dix mille) F par enfant, sauf erreur de ma part sur certaines réalités du terrain.
Nous sommes tous interpellés
Question : Qu’est-ce qui peut justifier une action collective en ce qui concerne la reconstitution des actes de naissance ?
Réponse : Nous savons qu’à ceux qui ont beaucoup reçu (comme nous autres qui avons la chance d’aller à l’école et d’avoir un emploi), il sera beaucoup demandé. L’enfant qui ne va pas à l’école est un potentiel Mozart assassiné. Nous savons que celui qui ouvre une école ferme une prison. Nous savons qu’en vertu de l’interdépendance des humains, tout ce qui dégrade un homme quelconque nous dégrade tous… Chacun est dont obligé d’agir selon ses possibilités.
Alors pourquoi ne pas m’impliquer dans l’action au l’Extrême-Nord, à l’Est ou dans d’autres régions du pays dans lesquels certains enfants sont exclus de l’école faute d’acte de naissance ? Pourquoi laisser assassiner tant de Mozart, alors que nous aurions pu les sauver aussi facilement ? Chacun de nous est vivement interpellé. Il ne suffit plus de compter seulement sur les autorités administratives, municipales et sur les bailleurs de fonds. Les chiffres relevés par le Bureau National de l’Etat Civil (BUNEC) prouvent qu’il faut compléter leurs actions.
En ce qui nous concerne, bien qu’étant loin des champs d’actions, bien que n’ayant jamais visité Mokolo, la zone apparemment la plus touchée, nous (Cabinet Maître Pierre BOUBOU et Associés), sommes prêts à apporter partout notre contribution dans la reconstitution des actes de naissance, particulièrement en matière juridique : composition des dossiers, rédaction de requête, etc…. Il suffit qu’un groupe qui est ou qui peut être physiquement présent sur le terrain nous contacte. Apparemment les actions entamées par les Mairies ou le BUNEC avec le concours de l’UNICEF et de l’Union Européenne visent particulièrement les déclarations des naissances, c’est-à-dire les enfants il y a moins de 6 mois.
Le sort des enfants plus âgés, en particulier ceux qui ne peuvent se présenter aux examens et aux concours, est surtout entre les mains des ONG, des Associations des parents d’élèves et autres âmes de bonne volonté. Nous déterminerons avec ceux qui voudront bien nous contacter les modalités d’une collaboration fructueuse, enfin qu’aucun enfant ne puisse plus jamais être chassé d’un examen ou d’un concours pour défaut d’acte de naissance.
Me Pierre BOUBOU,
Docteur en Droit,
Avocat au Barreau du Cameroun avec résidence à Douala,
Chargé de cours associé à l’Université de Douala,
BP : 12710 Douala, Tél : 699 62 99 54,
Email : pmboubou@yahoo.fr / pmboubou54@gmail.com