La Chambre de l'instruction de Paris a rendu mardi un arrêt validant une mesure de garde à vue de 72 heures, bien que le prévenu n'ait pas bénéficié de l'assistance d'un avocat. La motivation de l'arrêt reprend l'argumentaire diffusé par la Chancellerie, au mois de novembre 2009.
Le gardé à vue demande un avocat commis d'office
Les policiers ouvrent une information pour trafic de stupéfiants, à la suite d'un contrôle routier qui a donné lieu à des investigations, des interceptions, des perquisitions et, in fine, à l'interpellation d'un prévenu, placé en garde à vue.
Ce dernier, qui s'est vu notifier ses droits, souhaite faire aviser ses parents ; il refuse l'examen médical mais réclame la présence d'un avocat commis d'office. Des auditions ont eu lieu et la mesure de garde à vue est prolongée par deux fois. Déféré au magistrat instructeur avant l'écoulement des 72 heures, le gardé à vue n'a finalement pas eu la visite d'un avocat.
Son avocat, Romuald Sayagh, soutient que la mesure de garde à vue devait être annulée - ainsi que tous les actes dont elle était le support -, car contraire aux dispositions de l'article 64 du code de procédure pénale et de l'article 6 alinéa 3 de la CEDH, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme.
La mesure est estimée conforme à la CEDH
La chambre de l'instruction écarte l'argumentation de l'avocat en reprenant l'un des arguments de la Chancellerie (voir notre article du 15 décembre 2009), à savoir que les arrêts de la cour européenne évoqués ne concernent pas la France et ne l'engagent pas, donc.
Un argument rappelé mercredi par Michèle Alliot-Marie: les pratiques en vigueur en France concernant la garde à vue ne sont pas "en contradiction avec la Convention Européenne des Droits de l'Homme", a-t-elle en effet répété devant les sénateurs.
Paradoxalement, l'arrêt explique que jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (celle la même qui, dans un premier temps, ne concernait pas la France selon la chambre de l'instruction), admet des exceptions au principe de l'exercice du droit à un avocat, en cas de circonstances particulières. L'arrêt retient ensuite que le trafic de drogue est une infraction particulièrement grave qui justifie qu'il soit dérogé au principe de l'exercice du droit à un avocat.
"Une reprise de l'argumentaire de la Chancellerie"
"Une argumentation absurde et contradictoire", estime Jean-Louis Borie, président du Syndicat des Avocats de France. "Nous sommes étonnés de trouver, sous la plume de magistrats du siège, l'argumentaire de la Chancellerie, des contradictions en plus", observe-t-il. "L'arrêt est motivé en termes généraux et affirme que la jurisprudence de la CEDH visée ne concerne que la Turquie ce qui est une hérésie juridique. Il pose en principe que le trafic de stupéfiants constitue une infraction particulièrement grave, sans le justifier par les circonstances de l'espèce, comme l'exige l'arrêt Salduz. Un pourvoi en cassation est nécessaire au plus vite. Et le cas échéant, cette affaire devra aller devant la cour de Strasbourg".
Romuald Sayagh, considère qu'il s'agit d'une "décision d'arrière-garde, qui va à contre-courant de l'histoire" et indique qu'il va se pourvoir en cassation.
Selon le Syndicat de la magistrature, cet arrêt est affecté d'une "double contradiction". Il écarte l'application de la jurisprudence de la Cour européenne, puis y fait référence indiquant que celle-ci prévoit des exceptions à la présence de l'avocat. Enfin il rappelle que l'absence de l'avocat doit résulter de circonstances exceptionnelles, mais ne les caractérise pas, se contentant de dire que l'infraction de trafic de stupéfiants justifie la restriction des droits de la défense.
Pour Vincent Nioré, avocat au barreau de Paris, "la motivation de l'arrêt est fortement inspirée de l'argumentaire de la Chancellerie et du discours de la Garde des Sceaux, qui interprète de manière restrictive l'arrêt Dayanan de la Cour Européenne, désormais définitif. Les juges l'interprètent comme l'arrêt Salduz, qui prévoit des exceptions à la présence de l'avocat. Mais l'arrêt Dayanan prévoit en réalité l'assistance d'un avocat dès la privation de liberté, quelle que soit l'incrimination. En l'espèce, il s'agissait d'ailleurs d'un cas relevant de la cour de sûreté de l'Etat".
Les résolutions du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sont de simples recommandations L'avocat se fondait également, dans sa requête en nullité, sur une résolution du comité des ministres du Conseil de l'Europe, à propos des règles minimales pour le traitement des détenus. La chambre de l'instruction a renie toute valeur juridique à ces résolutions, jugeant qu'elles constituent de simples "recommandations". Le juge n'a donc pas à en tenir compte. |