LES NOUVEAUX « POUVOIRS EXCEPTIONNELS » DU GARDE DES SCEAUX

Publié le 01/04/2020 Vu 1 125 fois 0
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Libre propos sur l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de la procédure pénale pour faire face à l'épidémie de covid-19 Ceci est davantage le billet d’humeur d’un praticien,qu’une analyse technique.

Libre propos sur l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de la procédure pénale pour

LES NOUVEAUX « POUVOIRS EXCEPTIONNELS » DU GARDE DES SCEAUX

Notre excellent confrère François SUREAU qui  nous avait prévenu depuis longtemps sur l’érosion des libertés publiques au nom d’un plus grand besoin de sécurité le fera avec plus de rigueur.

La première salve est venue de l’état d’urgence en raison d’actes terroristes en 2015.

Ce qui nous a enseigné d'expérience, une certaine méfiance à l’égard des états d’urgence, les  mesures exceptionnelles ayant tendance à entrer dans le droit commun une fois la sidération passée et l’état d’urgence levé.

Ce tournant  sécuritaire prévaut depuis longtemps.

Le souvenir des droits de la défense et toutes les libertés publiques pâlit de plus en plus  à l’image d’une photo ancienne, ramenée à une nostalgie fantaisiste d’avocats proches de la retraite, les lois GUIGOU sont loin, 20 ans déjà.

Les libertés publiques sont souvent les premières  victimes des crises

Cette ordonnance s’articule autour de sept chapitres

Dispositions générales (I) portant essentiellement sur le rallongement des délais de prescription et des délais de  voie de recours et la généralisation des moyens techniques de communication et de la Visio conférence

Dispositions dérogatoires sur les compétences territoriales des juridictions (II)

Dispositions relatives à la composition des juridictions (III)

Dispositions propres à la garde à vue (IV)

Dispositions propres à la détention provisoire (V)

Dispositions applicables à l’application des peines (VI)

Dispositions applicables aux mineurs (VII)

Une attention particulière sera portée aux quatrièmes et cinquièmes chapitres.

Cette ordonnance exhale l’ambiance confinée depuis longtemps de ces cabinets d’instructions surchargés que nous connaissons tous.

Ces cabinets au bord du Burn out qui n’ont plus le temps, plus les moyens, de plus en plus fermés aux avocats, rallongeant d’autant les périodes de détention au gré de l’avancement ralenti des enquêtes, parfois, coupant peu à peu le contact avec la défense, si ce n’est la bonne volonté de certains juges d’instructions.

Cette ordonnance donne à voir l’image d’une  justice qui n’a plus le temps ? les moyens ? l’envie ? de douter/

La photo d’une justice contrainte  à la recherche de rentabilité

La triste image d’une justice qui gère des flux et des stocks au nom de la sécurité.

Cette logique est-elle vraiment souhaitable pour nos citoyens qui mesurent aujourd’hui les effets dévastateurs d’une culture managériale sur nos hôpitaux ?   

Cette culture funeste se retrouve dans cette blitzkrieg législative lancé en plein cœur  notre procédure pénale.

Une « réforme » au seul service du confort administratif de magistrats surchargés ou osons le dire, englués dans une routine de gestion de stocks et de flux avec deux axes :

·         Sécurité

·         Economie.

Ce texte s’inscrit dans une longue tradition de méfiance vis-à-vis de la présomption d’innocence, de la liberté et des droits de la défense (I) rognée par une succession de textes plus répressifs les uns que les autres et une pratique observée chez certains juges (pas tous)

Mais le plus effrayant, reste l’invention de la prorogation de la détention provisoire de droit (III), laissant accroire à un poisson d’avril, malheureusement, ce texte date du 25 mars 2020...

I)                  MEFIANCE A L’EGARD DE LA DEFENSE

Une mise  à distance de l’avocat.

Cette défiance  à l’égard de la défense  s’était déjà vérifiée dans le discours de ce garde des Sceaux semblant venir d’un monde parallèle et glisser comme un fantôme au travers la foule des avocats qui manifestait contre les retraites et d’autres réformes à l’emporte-pièce.

Le  discours est toujours lénifiant pour mieux faire passer des réformes en cascade, défigurant le droit et la procédure de manière accélérée.

Le langage est d’autant plus doucereux que les réformes qu’il annonce sont violentes pour la défense, quel progrès ces droits ont-ils connus depuis trois ans ?

Aucun.

La procédure pénale semblait encore épargnée si ce n’est cette réforme du droit de l’application des peines  et des mesures de « simplification »  de la procédure pénale qui n’en sont pas, comme celle tendant à obliger l’avocat à faire des déclarations d’intention dans les 15 jours de chaque audition ou de la clôture de l’instruction à peine d’irrecevabilité, pour pouvoir faire des demandes d’actes au juge d’instruction.

Formalisme tatillon forçant l’avocat à un formalisme administratif assez incompatible avec le nécessaire recul, le temps et parfois la relecture que nécessite la préparation d’un dossier pénal.   

Disposition que certains juges d’instruction eux-mêmes ont décidé d’ignorer tant elle est absurde.

 

Le premier « apport » de cette ordonnance concerne la garde à vue.

L’assistance de l’avocat se fera par un moyen de télécommunication électronique ou téléphonique sans préciser que cela nécessite l’accord de l’avocat.

Cette exigence d’accord ne figure pas dans le texte mais a été rajoutée in extrémis dans une circulaire, texte beaucoup moins protecteur que le marbre de la loi, puisque  cette concession est laissée à la discrétion d’un directeur des affaires criminelles et grâces au Ministère de la justice.  

Cette méfiance à l’égard de l’avocat que notre public féru de sécurité sous-estime passe totalement à côté du fait que cette présence ne sert pas qu’à préparer le client.

Certes, notre fonction première est de  l’inviter à ne pas dire n’importe quoi, lui faire connaître ses droits, durée de la mesure, médecin,  droit au silence, droit de faire des observations ou de répondre aux questions.

Mais cet entretien obtenu de haute lutte  constitue également une fenêtre d’humanité permettant au gardé à vue de lui rappeler son appartenance à l’espèce humaine.

Cet accompagnement constitue le seul lien avec ses semblables et l’extérieur  face  à la solitude des interrogatoires.

II)               LA LIBERTE PERCUE COMME UN RISQUE  

Une nouvelle simplification généralisée excluant l’essentiel : la liberté.

On pourrait encore comprendre le rallongement des délais d’audiencement comme des mesures rendues indispensables par la situation sanitaire, tout comme la généralisation provisoire de la visioconférence dans un climat de confiance.

Mais la confiance est rompue et on peut comprendre la crainte que ces mesures provisoires se pérennisent, nous avons tous en mémoire l’entrée de beaucoup de dispositions de l’état d’urgence précédent dans le droit commun.

Si l’on nous concède le droit de faire appel et un pourvoi en cassation par mail, on se garde bien de suspendre le désuet article 148-6 du code de procédure pénale qui concerne les demandes de mise en liberté qui restent à devoir être faites par recommandé avec accusé de réception ou dépôt au greffe.

 

Je ne m’étendrai pas sur le recours à la Visio conférence qui certes, déshumanise et désincarne encore un peu plus l’audience mais qui peut se justifier en cette période de pandémie, mais pourquoi une détention provisoire de droit ?

III)            UNE CULTURE DE LA DETENTION OU LES NOUVEAUX POUVOIRS EXCEPTIONNELS DU GARDE DES SCEAUX : L’ARTICLE 16,  UNE DETENTION PROVISOIRE DE DROIT 

Cet article 16 (chiffre oh combien symbolique ! pour les constitutionnalistes) donne désormais au Ministre le pouvoir exceptionnels de prolonger sans débat une détention provisoire.

 

Une marge de manœuvre est laissée théoriquement au juge, toutefois, on s’interroge sur le respect de la séparation des pouvoirs, je laisse ce débat aux constitutionnalistes.

 

Ce texte dispose que :

 

En matière correctionnelle,

 

Les délais maximums de détention provisoire ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique,

 

Qu'il s'agisse des détentions au cours de l'instruction ou des détentions pour l'audiencement devant les juridictions de jugement des affaires concernant des personnes renvoyées à l'issue de l'instruction, sont prolongés de plein droit

 

De deux mois lorsque la peine d'emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans

 

Et de trois mois dans les autres cas, sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure, le cas échéant avec assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire lorsqu'il est mis fin à une détention provisoire.

 

Ce délai est porté à six mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle, pour l'audiencement des affaires devant la cour d'appel.

 

Cette détention décidée sans débat, sans vote des députés et sans avocat, voire, sans juge est une innovation effrayante.

Tout au plus, en matière criminelle, est-il envisagé la possibilité pour l’avocat d’émettre des écritures et assister son client par téléphone ou par visioconférence (article 19)  mais la première décision judiciaire  que j’ai vue en pratique parle de détention provisoire de droit, donc, sans débat.

Le praticien reconnaît cette  culture tristement familière de la détention par sécurité, cette culture de la détention de confort de méfiance à l’égard de la liberté perçue comme un risque, que l’on  on retrouve chez tant de juges mais pas tous.  

 

Ce qui est préoccupant est que cette philosophie carcérale se retrouve désormais chez un  Garde des sceaux qui à côté nous annonçait à grand renfort des libérations massives de détenus les moins dangereux, ce qui est très préoccupant.

 

Cette vision abstraite et comptable ne permet pas de s’adapter à une situation où les bureaux de poste sont fermés ou limités et où le système de lettre  recommandée en ligne est surchargé et où l'ennemi invisible continue de courir.

 

Cette obsession sécuritaire que l’on comprendrait chez un ministre de l’intérieur invalide totalement l’utilité, voire, le principe de l’existence d’un garde des Sceaux, censé lui être un contrepouvoir.

 

Y a-t-il encore un pilote place Vendôme ?  

 

La liberté apparaît de plus en plus comme une exception que comme la règle, laissant lettre morte le troisième alinéa de l’article 137 de procédure pénale qui dit que

A titre exceptionnel, si les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettent pas d'atteindre ces objectifs, la personne  peut être placée en détention provisoire.

Ce texte que l’on met tous dans nos écritures, il apparaît de plus en plus comme un mantra décoratif que l’on lance au hasard du bon vouloir d’un juge unique sensible aux libertés publiques et il en demeure.

Toutefois, la liberté reste à la merci de la loterie du tableau de roulement des juges des libertés et d ela détention.

Loterie consistant à tomber sur un juge plus ou moins repressif...

A l’heure où les presses régionales nous informent de mutineries qui se multiplient dans les établissements pénitentiaires, ce ministre qui il y a une semaine, fixait l’objectif de libération de 5 à 7.000,00  détenus a décidé de prolonger la détention de milliers  de détenus provisoires, grands perdants de cette nouvelle « réforme », passant ainsi quasiment au-dessus des décisions juridictionnelles et accessoirement sur le principe de séparation des pouvoirs.

Le propos ici n’est pas évidemment  de souhaiter la libération de tous les détenus, simplement, celui d’un examen plus large de ceux qui ne sont pas dangereux et ils sont légions (délinquance astucieuse, primo délinquants)

C’est ainsi que le juge a désormais le choix de prolonger de manière automatique la détention sans débat, laissant l’avocat muet.

 

Peu importe l’évolution du dossier.

 

Lorsque l’on connaît le supplice que constitue cette détention qui est bien plus mal vécue qu’une condamnation ferme car le détenu en connaît clairement le terme, cette mesure est redoutable.

 

Cette « prorogation surprise » dans des établissements pénitentiaires à une période ou l’angoisse d’être infecté par une pandémie mortelle me semble particulièrement dangereuse et violente.

 

Le garde des Sceaux aura poussé au paroxysme ce souci sécuritaire de gestion des stocks et de flux au détriment d’un  examen de terrain forcément  humain, sur ce que ces hommes ont de plus précieux, la liberté et peut être la vie en ces temps de crise sanitaire.

 

Un recours a été introduit par des confrères avocats au Conseil contre cette ordonnance et espérons qu’il prospérera devant le Conseil d’Etat qui s’est révélé timoré devant la science médicale mais qui j’espère, recouvrera son expertise et un certain courage face à ce qu’il faut bien appeler une  disposition scélérate.

 

Bonne chance à mes confrères avocats au conseil

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