Article publié dans Expertise des Systèmes d'Information numéro 350 page 311 août - sept 2010
Pour la 3ème chambre du TGI de Paris, le fait de renvoyer l’internaute vers une fenêtre de visionnage d’une émission de télévision du site de M6, via un lien hypertexte, constitue bien une « mise à disposition » mais pas une représentation des émissions, au sens de l’article L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle. Retour sur le jugement du 18 juin 2010.
Après leur avoir donné gain de cause à l’encontre du service WIZZGO[i] qui proposait un service dit de magnétoscope numérique en ligne, le Tribunal de Grande Instance de Paris a cette fois-ci débouté les sociétés du Groupe M6 de leurs demandes de condamnation à l’encontre des sites www.tv-replay.fr et www.totalvod.com qui répertorient et mettent à la disposition du public, via des liens hypertextes profonds, les programmes des chaînes M6 et W9 proposés par les titulaires de droits sur les sites www.m6replay.fr et www.w9replay.fr.
A titre liminaire et afin d’éviter toute confusion sur la nature des services proposés, il convient de rappeler qu’à la différence du magnétoscope WIZZGO qui proposait d’effectuer une copie des programmes, commandée à l’avance par l’utilisateur, les services de télévisions de rattrapage, dit aussi catch-up tv, permettent de visionner à la demande et en lecture seule, c'est-à-dire sans possibilité d’enregistrement ni de stockage, des programmes audiovisuels déjà diffusés. Techniquement, les services de télévision de rattrapage sont donc totalement différents du magnétoscope numérique et il n’y a lieu de comparer les deux décisions de justice en aucune manière, si ce n’est qu’il s’agit dans les deux cas de permettre à l’utilisateur un visionnage différé de programmes audiovisuels.
Le jugement rendu par la 3ème chambre 2ème section le Tribunal de Grande Instance de Paris le 18 juin 2010 appelle en revanche à différents commentaires concernant la notion de « communication au public » et de liens hypertextes.
Les éditeurs de lien hypertextes profonds où l’absence de soumission aux conditions générales d’utilisation du site cible
En premier lieu, le Tribunal a considéré que la société SBDS, éditrice des services www.tv-replay.fr et www.totalvod.com, ne devait pas être considérée comme un « utilisateur » soumis aux conditions générales d’utilisation de M6 WEB dans la mesure où, en se contentant de « mettre à disposition les programmes » par le biais de liens hypertextes, elle ne se connectait pas au service www.m6replay.fr et www.w9replay.fr.
La 3ème Chambre civile reprend ce faisant la motivation déjà adoptée par la même chambre dans l’affaire RYANAIR contre OPODO le 9 avril 2010 qui avait jugé que « les conditions générales invoquées sont applicables seulement à celui qui achète pour son propre compte des billets d’avion, et non à celui qui n’intervient qu’en tant qu’intermédiaire comme le fait la société Opodo, qui reste ainsi tiers au contrat. D’autre part, il apparaît que les vols qui sont réservés à partir du site d’Opodo sont finalement concrétisés sur le site de la société Ryanair, ce qui a pour conséquence que, de surcroît, les dispositions contractuelles dont s’agit ne sont nullement violées. »[ii]
Si la question de l’application des conditions générales à un utilisateur de liens hypertextes semble juridiquement tranchée par la 2ème section de la 3ème chambre civile, sur le fond et en pratique, la demande d’autorisation initialement formulée par SBDS préalablement à la mise en ligne de son service, confirmerait toutefois qu’elle entendait elle-même se soumettre aux conditions générales en question.
Le lien hypertexte, acte de « mise à disposition » ou « simple information » ?
En second lieu et en tout état de cause, le Tribunal de Grande Instance de Paris a retenu que « la mise à disposition du public » des programmes par la société SBDS par l’intermédiaire de liens hypertextes ne constituait pas une « communication au public » soumise à autorisation.
Cette décision fait directement écho au jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre le 25 mars 2010 dernier[iii] qui avait jugé que le fait de proposer un lien profond vers le site d’un éditeur de logiciel pour le télécharger n’équivalait pas à une mise à disposition contrefaisante du programme.
Les magistrats avaient retenu que « les défenderesses n’hébergeaient ni ne stockaient sur leur site le logiciel : la fiche litigieuse concernant le logiciel PcTap contenait en réalité un lien hypertexte (…) qui permettait de télécharger le logiciel depuis le site de l’éditeur. Il n’y a donc pas à ce titre un quelconque acte de contrefaçon par mise sur le marché, à titre onéreux ou gratuit, du logiciel, au sens de l’article L. 122-6-3° du Code de la propriété intellectuelle. En outre, s’agissant de faits de contrefaçon, il importe peu que le lien ne dirige pas l’internaute vers la page d’accueil du site de l’éditeur ou que l’information à ce titre n’ait pas été complète : une information n’équivalant nullement à une mise à disposition. »
A première lecture, les deux décisions concluent à l’absence de contrefaçon du fait de l’existence d’un lien hypertexte profond.
Toutefois, l’analyse plus précise de ces deux jugements met en lumière une subtilité juridique non des moindres.
Dans le premier cas, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre avait conclu à l’absence de « mise à disposition » du logiciel sur le marché : « Il n’y a donc pas à ce titre un quelconque acte de contrefaçon par mise sur le marché ». Il en déduisait qu’« une information n’équivalait nullement à une mise à disposition ».
Dans le second cas, les magistrats parisiens ont pour leur part admis que la société SBDS mettait bien les programmes « à disposition des internautes » :
- « la société SBDS (…) ne procède pas au visionnage des programmes disponibles sur lesdits sites, mais se borne à les mettre à la disposition des internautes » ;
- « En mettant les programmes de M6 Replay et W9 Replay à la disposition du public, la société SBDS …».
Ils ont toutefois conclu qu’elle ne procédait pas à « une communication au public »
La question de savoir si un lien hypertexte équivaut à une « mise à disposition » ou ne constitue qu’une « simple information » n’est vraisemblablement pas tranchée.
Cette distinction n’est pourtant pas sans influence puisqu’on le sait, la loi sanctionne « la mise à disposition » au même titre que « la communication » non autorisée d’œuvre au public.
Acte de « mise à disposition » et « communication au public », même régime ?
La Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique précise ainsi qu’on « entend par communication au public par voie électronique toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée. »[iv]. De facto, les liens hypertextes devraient répondre à cette définition.
L’article L216-1 du Code de Propriété Intellectuelle prévoit en effet que « sont soumises à l'autorisation de l'entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à la disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d'un droit d'entrée. »
Il en est de même de l’article 3 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 qui prévoit expressément que « les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement. Les États membres prévoient le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement ».
Le Tribunal retient pourtant in fine que « aux termes des dispositions de l’article L 122-2 du Code de la propriété intellectuelle, la représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque. En mettant les programmes de M6 Replay et W9 Replay à la disposition du public, la société SBDS ne lui communique nullement elle-même les œuvres ». Selon le Tribunal de Grande Instance de Paris, la « mise à disposition » ne constituerait pas un acte de « communication au public » aux termes de l’article L.122-2 du Code.
Les magistrats introduisent une distinction, lourde de conséquences, entre « la mise à disposition du public » qui serait licite et la « communication au public » qui serait elle illicite. La motivation apparaît dès lors contradictoire, ce d’autant que visant « un moyen quelconque », la loi est rédigée de manière large et non exclusive.
Partant, si le raisonnement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre peut éventuellement être suivi en ce que les magistrats ont considéré qu’un lien hypertexte n’était pas un acte de « mise à disposition du public » mais une « simple information », la motivation du Tribunal de Grande Instance de Paris ayant retenu qu’un lien hypertexte constituait bien une « mise à disposition du public » mais non une « communication au public » est plus surprenante.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a franchi une étape dans son raisonnement que n’avait pas franchi le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, sans pour autant en tirer, nous semble-t-il, les conséquences juridiques qui s’imposent. Dès lors qu’il a constaté qu’une mise à disposition du public était réalisée, au demeurant sans l’autorisation du titulaire de droit, la condamnation aurait dû s’en suivre. Selon l’adage, là où la loi ne distingue pas, il n’y a lieu de distinguer[v].
On se souviendra d’ailleurs du jugement du Tribunal de Grande Instance d’Evry du 19 janvier 2010[vi] qui avait relaxé le créateur d’un site de liens P2P aux motifs que le dossier de la procédure ne comportait pas la preuve d'un seul téléchargement illégal. Il n’en demeure pas moins que c’est vraisemblablement l’unique raison ayant conduit à la relaxe du prévenu, la preuve d’acte de téléchargements facilités via les liens hypertextes qu’il avait référencé aurait sans doute conduit à la condamnation de l’éditeur du site.
En dernier lieu, il n’est pas inutile de rappeler que, s’agissant des agrégateurs de flux, les juridictions ont considéré qu’en raison de leur statut d’hebergeur et à défaut de traitement éditorial, leur responsabilité devait être écartée. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre avait exclu la responsabilité du site Wikio aux motifs qu’il ne pouvait « être considéré comme un éditeur au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, mais comme un agrégateur de flux RSS dont la responsabilité ne peut relever que du seul régime applicable aux hébergeurs ; étant, relevé que l’automaticité de la réception des flux RSS rend quasiment impossible un filtrage de contenus illicites ».[vii] On s’interroge, a contrario, sur la responsabilité de la société SBDS qui, en qualité d’éditeur de contenu, met des programmes à disposition du public dans un environnement modifié, le programme étant consultable par l’utilisateur dans une fenêtre de visualisation et non via la fenêtre de navigation du site cible.
En définitive et bien qu’en moins de deux mois les juridictions aient jugé non contrefaisante la présence de liens profonds renvoyant, sans l’accord des titulaires, à des œuvres protégées, la question est en réalité moins clairement tranchée qu’elle n’y paraît.
Ilana SOSKIN, Cabinet SOSKIN AVOCATS, Avocat à la Cour
[i] TGI Paris, 3ème Chambre, 1ère Section, 28 novembre 2008
[ii] TGI Paris, 3ème Chambre, 2ème Section, 9 avril 2010
[iii] TGI Nanterre, 1ère Chambre, 25 mars 2010
[iv] Loi numéro 2004-275 du 21 juin 2004, article 2
[v] Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus
[vi] TGI Evry, 5ème Chambre, 19 janvier 2010
[vii] TGI Nanterre, 1ère Chambre, 25 juin 2009