LES CONDITIONS GENERALES ET LA POLITIQUE OFFICIELLE DE FACEBOOK EN MATIERE DE PROTECTION DES MINEURS
Les Conditions Générales d'Utilisation, ou CGU, déterminent les modalités d'utilisation du site, les obligations et droits de chacun. Il s'agit du contrat liant l'internaute au réseau social. Les CGU de Facebook, à jour du 4 octobre 2010, précisent que les inscriptions des mineurs de moins de 13 ans sont interdites : « Vous n'utiliserez pas Facebook si vous avez moins de 13 ans. »
Le document de politique de confidentialité du site rappelle également que les inscriptions des mineurs de moins de 13 ans sont interdites, ainsi que la circulation de toute information les concernant : « Les enfants de moins de 13 ans ne doivent pas s'inscrire sur Facebook ni nous fournir d'informations personnelles les concernant. Si nous apprenons avoir recueilli de telles informations personnelles d'un enfant de moins de 13 ans, nous supprimerons ces informations dans les plus brefs délais.». En ce qui concerne les mineurs de plus de 13 ans, une autorisation parentale est recommandée, mais non obligatoire.
Par ailleurs, une page d'aide aux parents est disponible en ligne afin d'orienter les parents qui voudraient protéger leurs enfants utilisateurs de Facebook. Celle-ci donne des conseils pour aider l'enfant à utiliser le site, pour éviter les situations de harcèlement, ou encore pour enregistrer les bons paramètres de confidentialité. Elle explique la procédure à suivre pour signaler le profil d'un enfant de moins de 13 ans, pour demander le retrait de photos d'enfants de moins de 13 ans, pour demander l'accès au compte de son enfant, ou pour signaler un comportement inapproprié. Cette page donne également des conseils aux professeurs dont les élèves seraient exposés à des contenus inappropriés sur le site.
De plus, Facebook précise qu'il se réserve le droit « d'ajouter une protection supplémentaire pour les mineurs (en garantissant une utilisation appropriée à leur âge, par exemple) et de limiter la possibilité pour des adultes de les contacter ou de partager des contenus avec eux, même si cela peut restreindre l'utilisation de Facebook par les mineurs. ».
38% des 9-12 ans possèderaient un compte sur FACEBOOK
Si, à la lettre, tout semble mis en oeuvre pour encadrer l'utilisation du réseau par des mineurs, de moins de 13 ans notamment, pour autant, l'utilisation de faux profils ou la saisie de dates de naissance modifiées seraient fréquentes. Une étude de la Commission européenne de 2011 évalue d'ailleurs à environ 38% la part des 9-12 ans ayant un compte Facebook en Europe, multipliant ainsi les risques d'atteinte[1] à leur encontre.
Ces internautes adolescents sont vulnérables à la fois du fait des propos et autres contenus mis en ligne par d'autres personnes, mais également à raison des contenus qu'ils mettent eux-mêmes sur le site, notamment les informations personnelles et les photos. En effet, l'étude précitée précise : « Un quart des enfants présents sur les sites de réseaux sociaux déclarent que leur profil est ouvert au public. Un cinquième des enfants dont le profil est public déclare que ce profil affiche leur adresse et/ou leur numéro de téléphone. Seulement 56 % des 11-12 ans déclarent qu'ils savent comment changer les paramètres de confidentialité de leur profil de réseau social. Les 15-16 ans possèdent davantage de compétences, 78 % d'entre eux déclarant qu'ils savent changer leurs paramètres de confidentialité ». Les mineurs peuvent ainsi être exposés aux intentions malveillantes.
QUELLES SONT LES ATTEINTES SUR LES RESEAUX SOCIAUX ?
Les atteintes portées aux mineurs sont multiples.
Atteinte à la vie privée et à l'image
Ainsi, le droit français consacre le droit au respect de la vie privée et, par extension jurisprudentielle le droit à l'image, par application de l'article 9 du code civil qui prévoit que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Facebook est un outil dont on comprend aisément qu'il peut faciliter l'atteinte à ces droits. Ceux-ci trouvent leur limite dans la liberté d'expression et dans la nécessité de l'information au public proclamées par la Convention Européenne des droits de l'homme. Il appartient au juge d'établir un équilibre entre ces principes.
Par exemple, le Tribunal de Grande instance de Paris a jugé le 24 novembre 2010, que la création d'un faux profil (en l'occurrence celui d'Omar Sy, connu pour le duo humoristique « Omar et Fred »), constituait une atteinte à sa vie privée, notamment en raison de la divulgation d'informations concernant ses goûts et le nom de ses amis. La publication de photos d'Omar, seul ou non, était également constitutive d'une atteinte au droit à l'image[2]. L'internaute a ainsi été condamné à 1.500 € de dommages et intérêts ainsi que 1.500 € au titre des frais de justice exposés par le demandeur.
Diffamation et injure
Le droit français protège également tout individu contre des atteintes qui pourraient être portées à son honneur ou à sa réputation. Ainsi, la diffamation se définit comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ». L'injure est « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait » (article 29 de la loi du 29 juillet 1881). La personne concernée doit être identifiée ou identifiable.
Là encore, la liberté d'expression rendue possible sur internet, et l'anonymisation permise par l'intermédiaire des écrans peut inciter à tenir des propos diffamatoires ou injurieux, rendant les jeunes internautes à la fois plus vulnérables et plus violents dans leurs propos. L'injure ou la diffamation est réprimée plus sévèrement lorsqu'elle est publique. Ainsi, le Conseil des Prud'hommes a rappelé dans un jugement du 19 novembre 2010 que des commentaires postés sur un mur Facebook ouvert « aux amis des amis » ne relevaient plus de la sphère privée[3].
Harcèlement
Les injures, punissables de façon autonome, peuvent également être le moyen d'actes de cyberbullying (ou harcèlement sur internet). Il s'agit souvent du prolongement d'un harcèlement qui commence à l'école. Avec internet, ce phénomène se fait plus pressant, poursuivant l'enfant lorsqu'il rentre chez lui, multipliant le nombre de témoins, les propos étant parfois encore plus violents car les jeunes se sentent moins engagés par leurs actes sur internet. Facebook peut être un moyen de harcèlement, par exemple par la mise en ligne de photos tronquées ou compromettantes, de commentaires injurieux, de créations de groupes tels que « qui n'aime pas X ». Si le harcèlement au travail et le harcèlement sexuel sont punis par le code pénal, les autres formes de harcèlement doivent être poursuivies sur le fondement de l'article 1382 du code civil relatif à la responsabilité civile. Il faut dans ce cas apporter la preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre les deux. Cette preuve, dans le cas du harcèlement par internet peut être rapportée plus aisément que dans le cas du harcèlement moral classique, puisque les propos et autres contenus en cause seront disponibles sur le site.
Incitation à la haine ou la violence
Il convient de citer également les infractions de presse commises sur internet prévues par la loi du 29 juillet 1881 et qui peuvent avoir pour cible les adolescents inscrits sur un réseau social, notamment la provocation aux crimes et délits (atteintes volontaires à la vie, à l'intégrité de la personne et agressions sexuelles, vols, extorsions et destructions dangereuses pour les personnes), l'apologie des crimes de guerre et crimes contre l'humanité, la provocation à la discrimination, à la haine et à la violence (qui peut se confondre ou se cumuler avec le délit de diffamation ou d'injure).
Pornographie
Enfin, il faut être prudent en ce qui concerne les contenus à caractère pornographique ou pédopornographique. Comme vu précédemment, les jeunes sur Facebook ne sont pas toujours prudents quant aux informations divulguées, les profils n'étant pas toujours fermés aux seuls amis. La tentation est également grande, sur un site où le but est de montrer à quel point on est populaire, d'accepter toute personne en ami, afin d'en faire augmenter le nombre. Ainsi l'enfant est vulnérable et il existe un risque qu'il soit exposé à de la pornographie ou à des pédopornographes.
La pédopornographie est punie par l'article 227-23 du code pénal. En outre, le code pénal punit le fait de diffuser des messages pornographiques lorsqu'ils sont susceptibles d'être vus par un mineur (article 227-24). Par ailleurs, l'article 227-22-1 du code pénal punit de 2 ans de prison et de 30 000 € d'amende « le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique ».
Certaines initiatives sont prises pour tenter de limiter ces risques. Il existe par exemple un partenariat entre Facebook et Microsoft qui ont mis en place un logiciel dont la fonction est d'analyser chaque photo postée pour détecter d'éventuelles photos à caractère pédopornographique[4].
COMMENT FAIRE CESSER CES ATTEINTES ALORS MÊME QUE L'ON A MENTI SUR SON ÂGE ?
Facebook : herbergeur
Le droit français encadre les activités des acteurs d'internet proposant de tels services. La loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique dite LCEN définit les différents statuts applicables à ces sites et met en place un système de notification pour permettre à chacun de faire valoir ses droits, en ayant la possibilité de signaler des contenus illicites.
Les conditions générales et les annexes de Facebook, limitent sa responsabilité. Elle rejette toute responsabilité quant aux informations et commentaires publiés sur le site. De plus elle précise qu'elle n'est pas responsable en cas de faille dans la sécurité ou dans la confidentialité des données.
La LCEN fait la distinction entre hébergeurs et éditeurs. Ainsi, un hébergeur, contrairement à un éditeur, n'a aucun contrôle sur le contenu, sur lequel il n'intervient pas, ne faisant que fournir un service de stockage et de mise en ligne. Sa responsabilité ne peut être engagée s'il n'avait pas connaissance des faits à caractère illicite.
Le tribunal de Grande instance de Paris s'est récemment prononcé sur le statut de Facebook, dans une ordonnance de référé du 13 avril 2010, concernant la photographie de l'évêque de Soisson illustrant le groupe « Courir nu dans une église en poursuivant l'évêque » et la mise en ligne de commentaires sur ce sujet. Le juge a constaté l'atteinte au droit à l'image et le caractère injurieux des commentaires postés. Il a affirmé le statut d'hébergeur de Facebook : « la société défenderesse n'est pas l'éditeur des contenus publiés, mais un prestataire technique dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne ». Il a été ordonné à Facebook de communiquer « les données de nature à permettre l'identification des auteurs des mises en ligne litigieuses »[5].
En cas de contenu illicite, il convient, pour faire cesser le trouble de notifier le contenu illicite à Facebook. Si ces faits lui ont été notifiés, il doit avoir agi promptement pour les retirer (article 6-3 de la loi du 21 juin 2004). La notification au site doit être complète et répondre à des critères posés par cette même loi. Elle doit comporter notamment :
- la date de la notification
- les coordonnées complètes du notifiant (adresse, profession, nationalité, date et lieu de naissance si c'est une personne physique ; forme, dénomination, siège social, organe représentatif si c'est une personne morale)
- le motif de la demande de retrait du contenu : mention des dispositions légales applicables et des justifications des faits
- la localisation précise des faits et leur description
- la preuve de la correspondance envoyée à l'auteur du contenu ou à l'éditeur, demandant le retrait ou preuve de l'impossibilité de les contacter.
C'est à ce stade que le recours à un spécialiste de la question peut s'avérer opportun.
La délicate mise en oeuvre des demandes de suppression
Nécessité d'une juste qualification des faits. La différence de qualification entre une injure et une diffamation par exemple est souvent très subtile. Or, en cas de mauvaise qualification du contenu ou d'erreur dans le fondement juridique, la responsabilité de Facebook et de l'auteur du message seraient délicate à mettre en oeuvre.
Prescription de 3 mois pour certains délits de presse. De plus, les actions en diffamation et en injure se prescrivent par 3 mois à compter de la mise en ligne. A défaut d'agir dans ce délai, Facebook pourrait refuser de faire droit aux demandes. En effet, comment justifier la demande suppression d'un message auprès de Facebook alors même qu'aucune action n'est plus possible à l'encontre de ce même message en raison de la prescription de l'action. D'où l'importance de conférer une qualification précise aux faits dénoncés.
Vers une "action en suppression" ? A cet égard, l'ancien Bâtonnier du Barreau de Paris, Christian Charrière-Bournazel, a récemment proposé de créer une « action en suppression », distincte de l'action pénale ou civile fondée sur la Loi sur la Presse, échappant à la prescription de 3 mois[6]. Il fait remarquer que « à la mémoire éphémère du papier, s'est substitué une mémoire inaltérable et universelle qui ne laisse aucune chance à l'oubli ». Si cette proposition se heurte à des difficultés matérielles, elle témoigne néanmoins des difficultés liées aux notifications tardives ou fondées sur une mauvaise qualification juridique auxquelles Facebook pourrait refuser de faire droit.
Les risques liés aux abus de notification. De même, la notification d'un contenu qui n'est pas illicite peut être constitutif d'un abus et engager la responsabilité de la personne qui l'a envoyé. Or il est difficile d'être certain de ce caractère illicite, notamment du fait qu'elle dépend en grande partie de l'appréciation qui en faite par les juges.
Sort de l'internaute qui a menti sur son âge. Enfin, il convient de rappeler que les conditions générales d'utilisation constituent un contrat formé entre Facebook et l'utilisateur lors de l'acceptation. Or, dans le cas où la responsabilité de Facebook serait engagée en raison de son inaction face à un contenu illicite, qu'en est-il si l'utilisateur a lui-même menti sur son âge ? Facebook pourrait-elle s'exonérer de sa responsabilité en invoquant l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude) ? Dans une telle hypothèse, il est possible que les juges prennent en considération l'ordre public et les intérêts les plus importants à protéger, à savoir ceux du mineur.
Il appartient à chacun d'être vigilant en ce qui concerne l'utilisation d'internet par les jeunes qui sont les plus vulnérables sur la toile mais également souvent les plus grands utilisateurs.
Ilana Soskin
Avocat à la Cour
Cabinet SOSKIN AVOCATS
[1] Etude « Stratégie numérique: l'âge des enfants qui utilisent les réseaux sociaux diminue; une enquête révèle que beaucoup ignorent les risques fondamentaux pour leur vie privée » du 18 avril 2011, disponible sur le site europa.eu, site officiel de l'Union Européenne. L'étude porte sur 25 000 jeunes, dans 25 pays européens.
[2] TGI Paris, 17 ch. cv., 24 novembre 2010, légipresse 279-20
[3] Conseil des Prud'hommes de Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010, jurisdata 2010-021303
[4] http://www.microsoft.com/presspass/presskits/photodna/
[5] TGI Paris, ordonnance de référé, 13 avril 2010, n°10/53340
[6] Gazette du Palais 20 et 21 avril 2011, p 6 et 7