Commentaire Civ.1 13/12/2005

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La conception que se fait chaque époux de la morale peut-elle, après le mariage, justifier une nullité ?

La conception que se fait chaque époux de la morale peut-elle, après le mariage, justifier une nullité ?

Commentaire Civ.1 13/12/2005

Un couple aux convictions religieuses ancrées s’est marié. Le soir des noces, la femme a constaté que son mari entretenait depuis plusieurs années une relation qui est devenue adultérine. Elle demande donc la nullité du mariage sur le fondement de l’article 180 al 2 du Code civil.

Les juges du fond ont rejeté à deux reprises sa demande aux motifs qu’il n’était pas démontré que l’époux aurait continué sa relation extra conjugale et d’autre part il n’était pas non plus établi que les convictions religieuses partagées par les époux auraient été à l’origine d’un vice du consentement de la mariée

Formant un pourvoi, l’épouse développe à l’appui de sa thèse un moyen unique pris en ses deux branches :

-        La Cour d’appel n’aurait pas opté pour un raisonnement « in concreto » quant à sa demande de nullité pour erreur sur les qualités essentielles et de ce fait n’aurait pas donné de base légale à sa décision ;

-        La Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses constations relatives au fait que le consentement donné par l’épouse était objectivement lié à l’obligation de fidélité et loyauté impliquée par le mariage

La Cour de cassation était ainsi interrogée sur le fait de savoir si : La conception que se fait chaque époux de la morale peut-elle, après le mariage, justifier une nullité ?

Apportant une réponse, la Haute Cour montre combien l'erreur dans le mariage est appelée quasiment à disparaître faute d'une définition morale partagée par la majorité.

Il convient dès lors de s’interroger sur le principe de l’intégrité du consentement (I) avant d’en examiner le régime juridique (II)

 

I – Le principe de l’intégrité du consentement

Lorsqu’on affirme que le consentement ne doit pas être affecté d’un vice, on indique qu’il doit être exprimé en toute liberté et en connaissance de cause (A)

Dans le cas contraire il est notamment admis le principe d’une erreur portant sur des qualités qualifiées d’essentielles (B)

 

A – Le Consentement exprimé en toute connaissance de cause

L’exigence du consentement résulte de l’article 146 du Code civil qui dispose qu’il « n’y a pas de mariage, lorsqu’il n’y a point de consentement ».

Comme pour tout autre acte juridique, l’exigence du consentement, recouvre en réalité deux exigences : d’une part, le consentement doit exister, il doit être réel et, d’autre part, le consentement doit être exempt de vices (non affecté d’un vice), on dit encore qu’il doit être intègre.

Dans la mesure où les époux doivent échanger personnellement leurs consentements devant l’officier d’État civil, on imagine mal un défaut total de consentement.

La question sera plutôt de savoir si la volonté exprimée par les époux correspond à leur volonté réelle.

En d’autres termes, on devra rechercher si le consentement est conscient et sérieux.

En l’espèce, ce qui est reproché à la CA par le demandeur au pourvoi, c’est d’avoir fondé le rejet de sa demande sur une appréciation « in subjectivo », or, ses arguments portaient sur une appréciation concrète de la situation.

Elle soutenait que son consentement avait été vicié car ses convictions religieuses imposaient une obligation de fidélité et de loyauté ce qui derechef a vicié son consentement.

C’est donc naturellement qu’elle a reproché à la CA d’avoir manqué de base légale dans sa décision au regard de l’article 180al2 du Code civil.

Il est néanmoins nécessaire de circonscrire les conditions d’application de l’erreur sur les qualités essentielles (B)

 

B – Le principe de l’erreur sur les qualités essentielles

L’erreur est une fausse représentation de la réalité.

Elle consiste à croire vrai ce qui est faux et à croire faux ce qui est vrai.

En matière de mariage, elle est régie par l’article 180, alinéa 2, du Code civil.

En 1975, sous la pression de certaines juridictions de fond, le législateur vient consacrer une interprétation plus libérale de l’article 180, alinéa 2, du Code civil, en y incluant l’erreur sur une qualité essentielle de la personne.

C’est d’ailleurs cette seconde hypothèse qui est de loin la plus importante en pratique.

La difficulté va venir de la définition de cette notion : qu’est-ce qu’une qualité essentielle ?

Pour répondre à cette question, on peut opter pour une conception objective de la notion de qualité essentielle (dans laquelle une qualité essentielle est une qualité communément attendue du conjoint) et/ou pour une conception subjective de cette même notion (dans laquelle c’est le caractère essentiel aux yeux du conjoint concerné qui compte, sachant qu’une qualité peut être essentielle aux yeux d’une personne et être indifférente aux yeux d’une autre).

C’est la différence entre une appréciation in abstracto (= dans l’abstrait, d’un point de vue général) et une appréciation in concreto (= au cas concret, dans le litige qui vous est soumis).

Il est plus facile de prouver le caractère déterminant d’une erreur portant sur une qualité jugée essentielle par l’opinion publique, que s’il faut établir le caractère essentiel d’une qualité uniquement aux yeux d’une personne déterminée.

Toujours en faveur de la conception objective, on peut ajouter qu’il ne faut pas autoriser une annulation trop aisée, trop large du mariage.

Mais d’un autre côté, on ne peut pas faire totalement abstraction de la psychologie de chacun.

Il est des qualités qui sont jugées essentielles par la majorité d’entre nous, mais pas par tous. Ceux qui ne voient pas une qualité subjectivement essentielle dans une qualité objectivement essentielle ne doivent pas pouvoir invoquer une erreur.

La qualité qui fait défaut est peut-être essentielle pour la majorité des français, mais pas pour eux, personnellement.

Dans cet arrêt, nous sommes cependant situés dans une situation délétère antérieure au mariage, pourtant la Cour, va appliquer dans sa motivation qu’il nous faut désormais aborder le principe du critère subjectif (II)

 

 

 

 

II – Le régime juridique de l’intégrité du consentement

 

Il sera analysé tant les conditions essentielles à la reconnaissance de l’erreur sur les qualités essentielles (A) que la portée de cette décision (B)

 

A – Les conditions nécessaires à la reconnaissance de l’erreur sur les qualités essentielles

Il faut deux conditions pour que l’erreur puisse être retenue comme cause de nullité du mariage : une erreur objective sur les qualités essentielles du conjoint et une erreur déterminante du consentement, on voit dès lors réapparaître le critère subjectif.

Ainsi, l’état de santé (VIH) peut être une cause de nullité pour erreur (TGI Dinan, 4 avril 2006).

C’est une qualité qui a été jugée objectivement essentielle.

Mais certains peuvent estimer qu’à leurs yeux, ça n’est pas une qualité essentielle. Ils peuvent ne pas voir d’inconvénient à épouser une personne atteinte de ce virus.

Dans ce cas, ils ne peuvent pas obtenir l’annulation du mariage pour erreur sur une qualité essentielle au seul motif que leur conjoint leur aurait caché cet élément.

 Une autre affaire jugée par le Tribunal de grande instance de Lille en avril 2008 a fait « beaucoup de bruit », alors que l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 18 novembre 2008 (qui a infirmé le jugement) a été bien moins médiatisé.

Dans cette affaire, un époux a demandé la nullité du mariage pour erreur sur les qualités substantielles de son épouse au motif que cette dernière lui aurait menti au sujet de sa virginité.

Le TGI de Lille lui a accordé gain de cause, notamment en considération de ce que l’épouse avait acquiescé à cette demande de nullité.

Les époux étant d’accord pour considérer que la virginité était bien une qualité essentielle déterminante du consentement, le mariage pouvait être annulé.

Mais le ministère public a relevé appel et la cour d’appel a infirmé cette première décision.

La cour d’appel a justement relevé que l’accord des époux sur la nullité est sans incidence dès lors que sont en cause des droits dont ils n’ont pas la libre disposition (= des dispositions d’ordre public, celles sur l’erreur en mariage).

Ensuite, la cour d’appel a affirmé que la virginité n’est pas une qualité essentielle parce qu’elle n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale.

En conséquence, le mariage n’a pas été annulé.

Dans les faits de l’espèce, la Cour de cassation se borne à rejeter le pourvoi pour appréciation souveraine des juges du fond.

Or, ce qu'invoquait la demanderesse c'est qu'il s'agissait d'une liaison « avec une femme mariée » ce qui, compte tenu de ses convictions religieuses, était spécialement important.

Donc peu importait que cette liaison fût chronologiquement antérieure au mariage, c'était cette circonstance particulière qui aurait tout de même pu justifier l'admission de l'erreur.

 

B – Une décision qui s’établit dans une continuité jurisprudentielle

Cet arrêt d’espèce se situe dans une jurisprudence établie refusant d'annuler un mariage sur la seule révélation d'une liaison antérieure, ce qui consiste à rappeler qu'avant le mariage il n'y a pas d'obligation de fidélité.

En effet, malgré la décadence des obligations personnelles nées du mariage et en attendant qu'on supprime aussi leur sanction avec la disparition du divorce pour faute, on notera la position de la cour d’appel de Rennes (11/12/00)  selon laquelle « il est communément admis qu'il est essentiel qu'un époux ne poursuive pas après le mariage une double vie cachée ayant une seconde famille naturelle ».

Selon le Professeur HAUSER, la précaution de la formule est importante car la vie antérieure devrait rester sans effet, même si sa dissimulation peut conduire à quelques doutes, sauf bien entendu si cette vie antérieure s'était traduite par des modifications dissimulées d'état civil (par exemple erreur sur la qualité de divorcé si cette qualité était essentielle). 

 

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