Commentaire de la décision Civ.1°, 21/11/2018

Publié le Modifié le 02/05/2019 Vu 8 469 fois 0
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Le présent arrêt, rendu par la Cour de cassation en sa Civ.1°, le 21/11/2018 réaffirme aux juges du fond la nécessité d’effectuer un contrôle de conventionnalité en matière d’action en filiation.

Le présent arrêt, rendu par la Cour de cassation en sa Civ.1°, le 21/11/2018 réaffirme aux juges du fond l

Commentaire de la décision  Civ.1°, 21/11/2018

Commentaire d’arrêt Civ.1°, 21/11/2018

Le présent arrêt, rendu par la Cour de cassation en sa Civ.1°, le 21/11/2018 réaffirme aux juges du fond la nécessité d’effectuer un contrôle de conventionnalité en matière d’action en filiation.

Un enfant naturel a été reconnu par un tiers qui n’était pas son géniteur.

Il a engagé une action aux fins de contester la paternité de ce dernier et faire établir judiciairement la paternité de son père biologique.

La CA saisie avait conclu à l’irrecevabilité de sa demande au motif que la prescription de l’action en recherche de paternité était acquise, dix années après sa majorité.

L’enfant fort marri, se pourvoi en cassation.

La Cour de cassation casse la décision de la CA, aux motifs que les juges du fond n’ont pas donné de base légale à leur décision en ne procédant pas à un contrôle conventionnalité.

L’affaire sera renvoyée à une autre CA.

La Cour suprême était ainsi interrogée sur le fait de savoir si le délai en cause portait une atteinte disproportionnée à un droit ou à une liberté garantie par une norme européenne ?

Apportant, une réponse, la Cour de cassation rappelle que les juges du fond ne peuvent se contenter de considérations générales, théoriques ou abstraites quant à la conformité du droit interne au droit conventionnel.

Il s’agit dès lors d’étudier cet arrêt dans la perspective de ce nécessaire contrôle de proportionnalité en matière de filiation (I), ce, afin que notre jurisprudence nationale se conforme au droit européen tel qu’il s'exprime au travers des décisions de la CEDH (II).

  

 I – Un nécessaire contrôle de proportionnalité en matière de filiation

L’arrêt précité opère le contrôle de conventionnalité de l’article 321 du code civil (A) dans une perspective pédagogique à destination des juges du fond (B).

 

A – La conventionnalité de l’article 321 du code civil en question

L’arrêt de cassation rendu par la Cour pour défaut de base légale le 21/11/18 fait écho à l’arrêt de rejet rendu quelques semaines auparavant par la même chambre (Civ.1°, le 07/11/18).

Il avait en effet été réaffirmé que le délai de 10 ans encadrant les actions relatives à la filiation étaient conformes à l’article 8 de la CESDH.

En l’espèce, l’enfant disposait d’un titre mais la possession d’état dont il jouissait n’était pas conforme à ce dernier.

Or, en, matière d’établissement contentieux de la filiation, l’article 321 du code civil enferme les actions en contestation de paternité dans un délai de 10 ans à compter de la majorité de l’enfant, ce afin de préserver la stabilité des familles meurtries par ces actions.

Pour agir, l’enfant devenu majeur devait ainsi ester en justice avant ses 28 ans révolus, le délai étant suspendu pendant sa naissance.

Cependant, si l’enfant ne peut pas en raison du délai de prescription faire reconnaître sa vérité biologique, la question s’est posée de savoir si cela était conforme à son intérêt – Autrement dit, la prescription pouvait-elle être écartée ?

La CEDH a toujours considéré ce délai comme légitime, à des fins de stabilité de la filiation et de conservation des preuves.

En revanche, le raisonnement casuistique qu’elle adopte, nous laisse envisager l’idée qu’en cas « d’impossibilité d’agir », il serait opportun de retarder cette prescription.

La CEDH n’avait en effet pas dit autre chose dans l’arrêt (CEDH. 20/12/07 – Phinikaridou / Chypre).

Il s’agissait dans cette affaire d’une action en recherche de paternité d’un enfant contre lequel la prescription était acquise.

L’enfant ayant appris l’identité de son père après le délai de prescription et les juges refusant de repousser ce délai, ce dernier a saisi la CEDH

La Cour EDH va alors considérer qu’il y a en l’espèce violation de l’article 8 de la CESDH au motif du caractère absolu de ce délai.

En revanche, la Cour de cassation, Civ.1°, 09/11/16 va considérer que l’article 321 du code civil n’est pas en lui-même inconventionnel.

En définitive, l’intérêt de l’arrêt est moins à rechercher dans l’éventuelle conventionnalité des dispositions législatives en matière de prescription que dans la démarche imposée aux juges du fond par la Cour de cassation (B).

 

B - Une perspective pédagogique à destination des juges du fond

Le contrôle de proportionnalité apparaît désormais incontournable en matière de filiation et l’ensemble des délais ont été passé à son tamis.

Malgré, la multiplication de ses arrêts, la Cour suprême s’était attachée dans sa décision du 07/11/2018 à livrer avec pédagogie les différentes étapes que doivent respecter les juges du fond afin d’écarter ou non la règle interne applicable au cas d’espèce.

Ainsi, dès lors qu’il s’agira d’écarter comme dans cette affaire, une filiation dont le titre n’est pas conforme à la possession d’état, les juges du fond devront vérifier si le droit fondamental à l’identité prévu aux dispositions de l’article 8 de la CESDH n’est pas atteint.

Puis, après avoir identifié les règles en cause, il faudra vérifier la conventionnalité de celles-ci et l’existence d’une éventuelle ingérence du droit national.

Enfin, il s’agira de répondre à cette triple question :

Cette ingérence est elle prévue par les textes, est elle légitime et proportionnée au but recherché ?

Cette méthodologie transmise par la Cour de cassation tend ainsi à rapprocher cette dernière des exigences posée par la CEDH (II).

  

II – L’alignement de la Cour de cassation sur la jurisprudence de la CEDH

La Cour de cassation sensible à la jurisprudence de la CEDH et de sa pratique des arrêts pilotes s’aligne plus ou moins imparfaitement aux souhaits de cette dernière (A) et rend à cet égard un arrêt dont le visa est peut-être le seul intérêt (B).

 

A – La position de principe adoptée par la Cour

La décision rendue en sa première chambre civile le 10/06/15 a été considérée comme précurseur du contrôle de proportionnalité en matière de délais de prescription en droit de la filiation.

Cependant, ce nouveau rôle adopté par notre Cour suprême a pu interroger tant il augurait d’un possible manque de prévisibilité quant à l’application de textes pourtant parfaitement clair.

La question se pose alors de savoir, si, le juge judiciaire n’est pas en train de devenir le supplétif de la CEDH ?

La balance entre des intérêts contradictoires devra à compter de cet arrêt s’opérer in casu.

Il est cependant intéressant de noter, que la Cour suprême avait cassé l’arrêt de la CA au visa de l’article 455 du CPC, c’est-à-dire pour défaut de réponse à conclusions.

Il nous semble ainsi opportun de s’interroger sur le sens du visa utilisé par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté (B).

 

B – Une solution d’espèce mais un visa qui présente un intérêt certain

La cassation pour défaut de base légale au visa des articles 8 de la Convention européenne et 321 du code civil n’est pas anodine

Le défaut de base légale peut se définir comme « l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit ».

Or la cour d’appel ayant procédé aux constations nécessaires pour appliquer la prescription de l’action et vérifier la conventionnalité de l’article 321 du code civil au regard de l’article 8 de la Convention européenne, on est tenté d’en déduire que le simple fait de ne pas procéder au contrôle de proportionnalité in casu quand la violation du droit au respect de la vie privée est invoquée en matière de délai de prescription constitue, en lui-même, un défaut de base légale.

Ainsi, au-delà, la question est peut-être alors celle de la faculté, voire de l’obligation dans laquelle se trouveraient les juges d’opérer un tel contrôle même lorsqu’il n’est pas spécifiquement demandé par le plaignant

 

 

 

 

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