Commentaire de la décision Com, 26/11/03 MANOUKIAN

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La période des pourparlers précontractuels est placée sous le signe de la liberté (principe constitutionnel (Cons.Constit – 03/08/94)) et de la bonne foi.

La période des pourparlers précontractuels est placée sous le signe de la liberté (principe constitutionne

Commentaire de la décision  Com, 26/11/03 MANOUKIAN

INTRODUCTION

Les rédacteurs du Code civil sont restés atones quant au régime juridique applicable aux négociations contractuelles.

Il est donc revenu à la jurisprudence de fonder spécifiquement ce dernier en cas de rupture abusive des pourparlers précontractuels.

L’arrêt rendu le 26/11/03 par la chambre commerciale de la Cour de cassation contribue ainsi à définir la notion de faute en cette matière et à préciser l’étendue des dommages réparables.

La CA de Paris saisie d’une demande d’indemnisation causée par une rupture abusive des négociations a accueilli favorablement la demande de la Soc. Manoukian en ce qui concerne les frais engagés mais a rejeté ses demandes de réparation au titre de la perte de chance et de la condamnation du tiers à l’origine de la rupture des pourparlers.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation devait répondre à une triple question :

-      Quand qualifier d’abusive la rupture en période précontractuelle ?

-       Quelle était l’étendue du préjudice réparable en cas de rupture abusive des pourparlers précontractuels ?

-       Quelle était la responsabilité du tiers qui aurait à cette suite contracté avec le vendeur ?

Apportant une réponse, la Cour suprême, rejette le pourvoi formé par les demandeurs aux motifs qu’il ressortait des constatations de la CA de Paris que les circonstances de la rupture étaient bien abusives mais que le préjudice subi avait été entièrement indemnisé.

Avec ces faits simples et cette motivation lapidaire, la Cour de cassation définit tant la notion de faute dans les pourparlers précontractuels (I) qu’elle détermine l’étendue des préjudices réparables (II)

 

 I – La notion de faute dans les pourparlers précontractuels

On relèvera dans cet arrêt l’existence de deux fautes concomitantes, celle du cocontractant putatif (A) et celle du tiers au contrat (B)

 

A – La faute du négociateur principal

La Haute Cour souligne que si la période précontractuelle est dominée par le principe de liberté, par ailleurs d’essence constitutionnelle depuis la décision du Conseil Constitutionnel du 03/08/1994 et le principe de bonne foi (anc.1134 du code civil devenu l’article 1112 du même code), c’est à condition que les négociations soient menées de façon loyale.

Rien ne s’oppose donc à ce que des négociations parallèles puissent être poursuivies et que l’on choisisse la meilleure option sans que l’on puisse retenir une quelconque faute à l’encontre de celui qui n’a pas désiré contracter.

Pour que la responsabilité puisse donc être retenue, il faut pouvoir qualifier précisément la rupture des pourparlers comme étant abusive.

C’est ce que retiendra en l’espèce l’arrêt de la CA de Paris (CA Paris, 29/10/1999) en relevant que les actionnaires en cause avaient agi avec une légèreté blâmable teintée de mauvaise foi.

 Par ailleurs, il avait déjà été jugé par la Chambre commerciale que le fait de laisser traîner les négociations en laissant espérer à son partenaire qu’un accord définitif serait trouvé marquait une rupture dépourvue de motif légitime (Cass.Com, 07/04/98).

La Cour de cassation ne contrôlant dans ce cas d’espèce que la motivation utilisée par la Cour d’appel, elle la laisse seule juge de la faute retenue.

Une faute simple semble donc suffire, notamment, si la poursuite des pourparlers allait inévitablement se traduire par des frais supplémentaires (Cass. 1e civ. 6 janvier 1998)

La position de l’arrêt Manoukian confirme ainsi un point désormais ancré en jurisprudence y compris dans des domaines tel que le droit de la famille (Civ.30/05/1838), où il avait été établi que la rupture brutale des fiançailles était susceptible en raison des circonstances qui l’entouraient d’être réparée.

La faute ayant été retenue, la Cour de cassation rejeta ainsi logiquement le moyen de défense développé par les actionnaires.

En revanche, le rejet de la demande d’indemnisation de la Soc. MANOUKIAN au titre de la faute du tiers était plus délicat (B).

 

B – La faute du tiers

La Cour de cassation n’avait en effet jamais apporté de solution tranchée à cette difficulté, à savoir, pouvait-il être retenu à l’encontre du tiers au contrat qui a finalement bénéficié de la vente une intention de nuire et une manœuvre frauduleuse ?

Une fois encore, les règles du marché et le principe de la liberté contractuelle empêchent de considérer comme fautif le simple fait de mener des négociations parallèles, sauf clause de sincérité ou d’exclusivité.

Tel n’était pas le cas en l’espèce.

En revanche, la société MANOUKIAN relevait qu’en voulant s’assurer du bénéfice de la cession, le tiers n’avait pas hésité à envisager la prise en charge d’une éventuelle condamnation au titre de la rupture abusive des pourparlers engagés entre le vendeur putatif et son concurrent direct.

Pour autant, la Cour d’appel n’avait pas relevé de manœuvres frauduleuses ou d’intention de nuire de la part du tiers, ce dernier n’était donc tenu que par une obligation de bonne foi, aucune clause d’exclusivité des négociations n’ayant été conclue entre la Soc demanderesse au pourvoi et les actionnaires, il n’était pas possible de relever une faute liée à une volonté de concurrence déloyale.

Or, la Cour de cassation devait vérifier pour casser l’arrêt de la CA de Paris si les conditions cumulatives d’engagement de la responsabilité étaient réunies.

A savoir, l’existence d’une faute, d’un dommage réparable et d’un lien de causalité.

En l’espèce, la CA de Paris n’ayant pas relevé de faute dans ses constatations, la Haute Cour rejettera également cet argument.

Seul le caractère abusif de la rupture ayant été retenu, il fallait donc que la Cour de cassation vérifie la détermination des dommages réparables (II).

 

II – La détermination des dommages réparables

L’arrêt tranche l’étendue des réparations possibles en excluant la perte de chance (A) et en indemnisant les circonstances abusives de la rupture des pourparlers (B).

 

A – L’impossible indemnisation de la perte de chance

Pour qu’il y ait réparation, il faut qu’il y ait préjudice. Si ce dernier ne souffrait pas de difficulté, la question portait sur son étendue.

Devait-on admettre l’indemnisation de la perte de chance de tirer profit du contrat ?

La Cour de cassation va estimer que la faute commise dans la rupture abusive ne peut être qualifiée de fait générateur du préjudice de perte de chance.

En effet, la reconnaissance d’une perte de chance suppose que l’on ne puisse pas réparer le préjudice final subi par la victime, c’est-à-dire la non-acquisition définitive de l’avantage escompté ou la réalisation irrémédiable du désavantage redouté.

 

Si la perte de chance ne se conçoit pas indépendamment de la réalisation d’un préjudice final, elle ne peut exister et être réparée qu’à la condition que ce préjudice final ne puisse pas être indemnisé.

 

Car la perte de chance est un préjudice intermédiaire qui, lui, va pouvoir être réparé.

 

En conséquence, chaque fois que les conditions pour indemniser le préjudice final sont réunies, la perte de chance ne doit pas lui être substituée.

 

En l’espèce, le préjudice final semblait bien pouvoir être réparé dans la mesure ou l’indemnisation des frais engagés dans le cadre des négociations avaient été prise en compte, dès lors, les parties se retrouvaient dans la situation qui présidait à leur entrée en négociation.

Il ne pouvait y avoir perte de chance car le principe de la réparation ou du dommage suppose la réunion de plusieurs points :

-          La réparation ne peut permettre la réalisation du profit (elle est intégrale)

-          Le préjudice doit être direct, certain, légitime et personnel.

Or, ici la Cour de cassation va considérer que la réparation de la perte de chance aurait placé la Soc. MANOUKIAN dans une situation proche du contrat conclu (le gain aurait alors excédé le préjudice), ce qui n’est pas possible en droit français (pas de punitive damages).

Il est cependant apparu en jurisprudence (Cass.Com, 07/04/98) que la perte de chance de conclure un contrat avec un tiers pouvait être réparé en cas de rupture abusive des pourparlers, si tant est que ce dernier apparaisse comme certain.

La position de la Cour de cassation pouvait ainsi être nuancée même si elle a été confirmée à postériori (Cass.Com, 18/12/12).

Néanmoins, désormais, l’article 1112al 2 du code civil modifié par la loi de ratification du 20/04/18 a entériné la jurisprudence Manoukian.

Il ne reste dès lors qu’à s’interroger sur l’étendue de cette réparation (B).

 

B – L’étendue de la réparation à l’occasion de la rupture abusive des pourparlers

La victime ne pouvait pas en l’espèce obtenir la conclusion forcée du contrat.

Le régime juridique aurait toutefois été différent si l’arrêt avait été postérieur à l’ordonnance du 10/02/16 et le contrat avait contenu une promesse unilatérale.

En revanche, il était possible d’indemniser le préjudice consistant dans la perte subie par le négociateur en raison des diverses dépenses inhérentes à la négociation rompue (frais d’avocats, d'experts, les dépenses et dérangements, frais de voyage, les frais d’études préliminaires comprenant, le cas échéant, le recours à des spécialistes).

La victime perçoit dès lors la réparation intégrale du préjudice subi, sans pour autant faire de profit.

Les tribunaux replacent ainsi la victime dans la situation antérieure au préjudice.

C’est d’ailleurs cette situation qui est posée par l’arrêt de la CA de Paris, le préjudice étant déterminé à hauteur de 400.000 francs.

Est également susceptible d’être réparé le préjudice résultant de l’atteinte à l’image ou à la réputation de la victime de la rupture.

L’échec de la négociation étant, dans certaines circonstances, susceptible de laisser penser qu’il est dû au manque de compétence de ce dernier.

Désormais, la loi de ratification du 20/04/18 a donné à l’article 1112al2 du code civil un caractère impératif, la solution de l’arrêt Manoukian est ainsi définitivement entérinée.

 

 

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