Arrêts 2018 - Cassation
Commençons par écrire quelques mots sur ces lignes de force. Ce qui frappe, en premier lieu, est le souci de cohérence avec les juridictions environnantes (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de justice de l’UE, autres chambres de la Cour de cassation).
La quête de solutions communes ou conformes, même si quelques divergences ne sont pas exclues, inscrit le contentieux du travail dans toutes ses dimensions : constitutionnelles, européennes, civiles, administratives.
Dans ce contexte de dialogue judiciaire renforcé, le retour aux techniques du droit des obligations est une tendance forte. Il permet notamment de corriger des solutions, comme en matière de promesse d’embauche, qui étaient devenues difficiles à soutenir et peu en phase avec la réalité de terrain.
La notion de dialogue des juges s’opère en raison du maintien de formes de résistance liées à la dénationalisation du droit ; le Conseil constitutionnel avait ainsi forgé une notion difficile à appréhender « l’identité constitutionnelle de la France », La notion d’identité constitutionnelle de la France apparait pour la première fois dans la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006 : « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle ; il n’appartient qu’au juge communautaire de contrôler le respect par cette directive tant des compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union européenne ; qu’il ne pourrait en être autrement que si cette directive allait à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérents à l’identité constitutionnelle de la France ».
Idée d’un horizon d’universalisme pour appréhender un monde global.
Une volonté s’exprime sous l’impulsion du 1° Président de la Cour de cassation :
1° / Un évolution vers une Cour suprême
Il est demandé à son nouveau Président que la Cour de cassation évolue vers l’idée d’une Cour suprême, afin qu’elle soit moins condamnée par la CEDH. Il faut alors qu’elle accepte de se livrer dans ses motivations systématiquement à un contrôle de proportionnalité.
- Un bureau de droit comparé pourrait voir le jour au sein du service études et documentation afin d’identifier les solutions qui fond consensus en Europe et les autres, afin de mesurer les marges de manœuvre du juge national ;
- La Cour pourrait expliquer la nature des motivations rendues dans une annexe, afin d’éviter la surinterprétation ;
- Utiliser un style direct et construire les arrêts sous forme de plan avec une motivation enrichie ;
- Idée de filtrer les pourvois, introduire un article du COJ afin de ne permettre des pourvois que dans la mesure où en matière civile :
- L’affaire soulève une question de principe présentant un intérêt pour le développement du droit, pour l’unification de la jurisprudence ou si un droit fondamental est susceptible d’être atteint.
En l’espèce, Pascal LOKIEC dénonce cette mesure car de nombreuses décisions échapperaient ainsi au contrôle de la Cour de cassation (licenciement ou CP). Or sur les 20.000 pourvois que connaît la Cour de cassation, près de 8000 appartiennent au contentieux du droit social, l’affaire sera alors jugée qu’une seule fois par des magistrats professionnels tant que l’on n’aura pas recours à l’échevinage. Par ailleurs, les accords collectifs sont désormais sont au cœur de la réclamation des conditions de travail, ils ne répondront probablement jamais aux critères posés par le nouvel article du COJ, conséquence leur violation serait entérinée.
Philippe CONTGE (Le droit n’est plus le tennis) rappelle que faire évoluer la Cour de cassation en Cour suprême aura pour conséquence une moins grande prévisibilité (donc une certaine forme d’insécurité juridique).
Par ailleurs, attention, à ce que la Cour de cassation ne soit pas définitivement créatrice de droit, les débats de société doivent être tranchés par le législateur. Que va devenir l’unification du droit français, ne va-t-on pas voir fleurir comme sous l’ancien régime, des jurisprudences locales ?
Enfin, avec la réforme de la loi J.21, en matière civile, la Cour de cassation n’a plus à seulement statuer en reprenant à son compte les faits examinés par les juges du fond (cassant ainsi sans renvoi), mais dispose désormais d’un pouvoir élargi (statuer sans renvoi lorsque l’intérêt d’une bonne justice le justifie), on y détecte l’influence du CE mais c’est oublier que le CE est à la fois juge du droit et juge du fond.
Il importe de rappeler, que ça n’a pour seul but que d’affranchir la Cour de cassation de la tutelle de la loi, le contrôle de proportionnalité permet en effet, de laisser au juge la possibilité de refuser l’application d’une loi parfaitement claire, on redonne à la Cour un pouvoir qui lui a été supprimé par la RF.
2° / Une prise en compte des réformes législatives afin de sécuriser les pratiques
De ce point de vue, la volonté d’apporter des solutions claires et compréhensibles est un trait de la politique contemporaine de la Chambre sociale. Cela peut expliquer que les arrêts soient plus longs et plus explicatifs, tranchant avec le laconisme du passé qui pouvait placer les interprètes face à des énigmes complexes à résoudre. Le souci d’intelligibilité est un marqueur de la jurisprudence sociale ; on le retrouve dans le rapport annuel (Portalis).
On appréhende aussi la volonté de faire confiance aux partenaires sociaux dans la définition de la norme collective régissant les relations de travail, tout particulièrement en matière d’égalité et de non-discrimination.
Exemple en droit international
Salariée enceinte sans permis de travail. C’est d’abord un conflit de normes impératives que la cour de cassation a dû trancher, dans une situation (étonnamment) inédite (Cass. soc., 15 mars 2017, no 15-27.928). Une femme enceinte de nationalité étrangère, titulaire d’un emploi, perd son autorisation de travail. Peut-elle se prévaloir de son état de grossesse pour bénéficier de la protection contre le licenciement résultant de l’article L. 1225-4 du Code du travail ?
La réponse de la cour de cassation est négative : « Les dispositions d’ordre public de l’article L. 8251-1 du Code du travail s’imposant à l’employeur qui ne peut, directement ou indirectement, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, une salariée dans une telle situation ne saurait bénéficier des dispositions légales protectrices de la femme enceinte interdisant ou limitant les cas de licenciement ». La solution tient compte de la Directive communautaire 92/85/CEE qui, si elle protège les femmes contre la rupture du contrat de travail lié à leur état, admet les ruptures pour un motif non lié à la grossesse.
L’ordre public incarné par l’article L. 8251-1 du Code du travail (interdiction de conserver à son service un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France) correspond à une loi de police d’application absolue sur le territoire national ; même s’il n’est pas clairement exprimé dans l’arrêt ou dans le rapport, on peut penser que c’est l’argument le plus convaincant en faveur de l’arbitrage opéré. La même solution avait été retenue s’agissant d’un représentant du personnel (Cass. soc., 10 oct. 1990, no 88-43.683).
Exemple en matière de promesse d’embauche
Promesse unilatérale de contrat de travail et offre de contrat.
Le régime de la promesse d’embauche est revisité dans deux arrêts du même jour à la lumière du nouveau droit des contrats (Cass. soc., 21 sept. 2017, no 16-20.103 et no 16-20.104).
La Cour de cassation opère ainsi le départ entre, d’un côté, l’offre de contrat de travail et, d’un autre côté, la promesse unilatérale de contrat de travail.
La première peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire.
Sa rétractation avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail, mais engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur (nécessairement, nous semble-t-il, devant les juridictions civiles).
La seconde n’empêche pas la formation du contrat de travail promis malgré la révocation du promettant, car ne manque que le consentement du bénéficiaire. Tandis que l’offre de contrat exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, la promesse accorde au bénéficiaire le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail.
Par ces décisions, la Chambre sociale met fin à une jurisprudence peu inspirée qui finissait par confondre promesse et contrat de travail, et se rallie à l’analyse des autres chambres civiles. La Chambre sociale poursuit aussi un objectif pragmatique : encourager les négociations précontractuelles en évitant que l’employeur ne soit lié par un contrat de travail du seul fait qu’il adresse une proposition et s’engage sur les dates d’entrée en fonction, l’emploi proposé ou la rémunération. En pratique, le choix entre les deux voies sera lié au contexte factuel ; il oblige l’employeur à bien réfléchir en amont et à une grande rigueur de forme.
Exemple quant à un problème pratique – la poursuite du CDD en CDI et le droit à l’emploi
La poursuite de CDD requalifiés en CDI peut-elle être ordonnée ?
Il arrive fréquemment qu’une action en requalification d’un CDD (ou d’un contrat de mise à disposition) en CDI soit accompagnée d’une demande de poursuite du contrat au-delà du terme stipulé.
Certaines juridictions font droit à ce type de demande.
La Cour de cassation saisit l’occasion d’un contentieux porté devant elle pour rappeler que seule la nullité de la rupture autorise le juge des référés à ordonner la poursuite d’un tel contrat de travail.
Or n’est pas une cause de nullité la perte de l’emploi dès lors que le droit de l’emploi n’est pas une liberté fondamentale mais un droit-créance devant être concilié avec d’autres droits ou principes constitutionnels, tels que la liberté d’entreprendre qui fonde, pour l’employeur, le droit de licencier un salarié.
Autrement dit, « le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en CDI » (Cass. soc., 21 sept. 2017, no 16-20.270).
Le rapport en profite pour rappeler les cas de nullité déjà reconnus, parmi lesquels : mesures de rétorsion à la saisine de la juridiction prud’homale (Cass. soc., 6 févr. 2013, no 11-11.740) ; usage du pouvoir disciplinaire de l’employeur pour imposer au salarié une solution dans le litige les opposant (Cass. soc., 9 oct. 2013, no 12-17.882) ; négation par l’employeur d’une décision juridictionnelle (Cass. soc., 21 sept. 2016, no 15-15.165).
L’exemple de la nécessité de prouver un préjudice pour être indemnisé
Le licenciement cause-t-il nécessairement un préjudice ?
Le développement foudroyant de la jurisprudence exigeant du salarié qu’il établisse la réalité d’un préjudice pour prétendre à réparation (Cass. soc., 13 avr. 2016, no 14-28.293) conduisait à se demander jusqu’où le processus d’orthodoxie civile menacerait d’extinction la théorie construite par la Chambre sociale du « préjudice nécessairement causé ».
L’arrêt du 13 septembre 2017 répond à la question sur un point important, celui du régime d’indemnisation du licenciement (Cass. soc., 13 sept. 2017, no 16-13.578).
Deux aspects sont nettement dissociés par la cour de cassation : s’il y a violation de la procédure de licenciement, « l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond » ; en revanche, s’il y a rupture abusive du contrat de travail, « la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue ».
Dans le premier cas, c’est un revirement de jurisprudence d’autant plus défavorable que la preuve d’un préjudice consécutif à l’inobservation de la procédure de licenciement sera très difficile à rapporter en pratique.
Dans le second cas, il s’agit de la confirmation d’une jurisprudence ancienne qui fait ainsi exception, de manière remarquable, à l’arrêt du 13 avril 2016.
La solution, qui confirme donc l’existence résiduelle de « préjudices nécessairement causés », trouve il est vrai une assise solide dans la loi.
L’article L. 1235-3 du Code du travail, issu des ordonnances Macron, dispose ainsi que « si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous ».