Le droit à la déconnexion : Cass.soc., 12 juillet 2018, pourvoi n° 17-13.029
Le présent arrêt, rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, le 12 juillet 2018, précise le régime juridique applicable en vu de sanctionner l’absence du respect au droit à la déconnexion.
En l’espèce, un salarié a été engagé en 2009 en qualité de directeur d’agence, puis, directeur régional au 01 avril 2010.
Il a été licencié le 12 décembre 2011.
Il a saisi le CPH aux fins de solliciter diverses demandes d’indemnisations.
La CA de Montpellier a le 14 décembre 2016 condamné l’employeur au rappel d’indemnités d’astreinte.
L’employeur a formé un pourvoi.
La Cour de cassation en sa chambre sociale a rejeté ce dernier le 12 juillet 2018.
Le salarié invoquait devant les juridictions du fond, le fait qu’il était en raison de la nature de ses fonctions, soumis à une astreinte téléphonique permanente
L’employeur rejetait cet argument en rappelant, que le simple fait de demander à un salarié de laisser allumer son téléphone portable, y compris, en dehors de ses heures de travail, ne saurait s’analyser juridiquement en une obligation contractuelle de tenir une permanence téléphonique à son domicile.
La question qui était alors posée à la Cour de cassation, était donc de déterminer si le fait d’imposer à un salarié de rester disponible à l’aide de son téléphone portable afin de répondre à d’éventuels besoins de l’entreprise caractérisait une astreinte ?
La Haute Cour rappelant que l’astreinte suppose une disponibilité permanente aux fins d’intervenir en cas de besoin, rejeta le pourvoi et confirma l’interprétation des juges du fond.
Cette solution nous conduit à définir la notion moderne du droit à la déconnexion (I), puis à déterminer le régime juridique qui lui est applicable en l’espèce (II).
I – La définition moderne d’un droit à la déconnexion
Si l’idée d’un droit à la déconnexion était présente en jurisprudence et en doctrine depuis plusieurs années (A), c’est la loi du 08 août 2016 qui l’a consacrée (B).
A – Une idée présente depuis plusieurs années en doctrine et en jurisprudence
Le 02 octobre 2001 (pourvoi n° 99-42.72), la Cour de cassation affirmait que le domicile devait être sanctuarisé car il était le lieu idoine dans lequel la vie professionnelle laissait nécessairement place à la vie privée.
La Cour de cassation avait par ailleurs été interrogée en 2004 (Cass.soc., 17 février 2004, pourvoi n° 01-45.889) sur le fait de savoir si :
« Le fait de n’avoir pu joindre sur son téléphone portable personnel un salarié en dehors de ses heures de travail pouvait permettre un licenciement pour faute ? »
La réponse de la Cour suprême fut négative.
La doctrine en la personne du Professeur J-E.RAY, soulevait par ailleurs, que les outils modernes de communication (TIC) devaient nécessairement aller de pair avec un véritable droit à la déconnexion, ce, afin de limiter les intrusions du lien de subordination dans la vie privée du salarié.
Ce n’est cependant, que tardivement, à la faveur de la loi Travail du 08 août 2016, que ce droit à la déconnexion a été disposé à l’article 55 (B).
B – La consécration légale du droit à la déconnexion
La quatrième révolution industrielle a apporté aux salariés une nouvelle liberté tout en « dynamitant » l’unité de lieu, de temps et d’action héritée de l’époque fordiste.
Si les (TIC) semblent favoriser l’épanouissent des salariés et en particulier celui des cadres, cette révolution numérique s’est aussi faite au prix d’un contrôle de plus en plus ténu des travailleurs. Ces derniers sont alors soumis à une véritable surveillance à distance, alors même qu’ils sont autonomes.
Consacrant, dans le célèbre arrêt Nikon du 02 octobre 2001, le droit qu’a le salarié à une vie privée sur son lieu de travail, il est apparu paradoxalement nécessaire, d’éviter la porosité croissante de la vie professionnelle sur l’intimité du travailleur.
Cette confusion entre la vie personnelle et professionnelle a ainsi rendu nécessaire un droit à la déconnexion.
Cette obligation a été intégrée au bloc de négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.
L’entreprise au titre des dispositions de l’article L.2242-8 7° du code du travail doit donc en négocier les modalités.
Une limite a pourtant été posée. Ce sont les entreprises dotées d’un représentant syndical, donc de plus de 50 salariés qui devront faire face à cette obligation.
L’employeur a une obligation de négocier, non de parvenir à un accord, ce dernier ne risque dès lors aucune sanction en l’absence de ce dernier.
Il a cependant la possibilité de prendre en compte ces besoins spécifiques dans le cadre d’une charte ou encore en ayant recours à une disposition dans le règlement intérieur de l’entreprise.
Dans l’arrêt commenté, apparaît cependant la notion d’astreinte. La Cour d’appel de Montpellier analyse en effet comme telle, l’obligation permanente de connexion du salarié, ce qui nous conduit à préciser le régime juridique applicable en l’espèce (II).
II – Le régime juridique de l’astreinte
Il convient donc de déterminer tant le régime juridique de l’astreinte (A) que sa nouvelle application (B).
A – Le régime juridique de l’astreinte
Les astreintes constituent précisément une exception au principe de la sanctuarisation du domicile, l’article L.3121-9 du code du travail les définissant désormais selon deux critères :
- Le salarié n’est pas sur son lieu de travail ;
- Il n’est pas à la disposition permanente et immédiate de son employeur mais il doit pouvoir intervenir en cas de besoin.
Si elles doivent être décidées après concertation, ce qui en l’espèce, ne posait pas de difficultés puisqu’il existait « une procédure de gestion des appels d’urgence », il n’en demeure pas moins que le salarié pendant l’astreinte ne doit pas demeurer à la disposition permanente et immédiate de son employeur, même s’il doit intervenir pour le compte de l’entreprise en cas de sollicitation.
L’exercice du lien de subordination ne prend pleinement effet que pendant la période d’intervention du salarié.
Or, en l’espèce, le salarié n’était pas en situation de mise à disposition permanente et immédiate de l’employeur mais devait rester en permanence connecté à son téléphone portable.
La question nouvelle qui était posée à la Cour de cassation était donc de savoir si comme le soutenait l’employeur, l’utilisation des TIC ne transformait pas cette connexion permanente en astreinte.
Pour la CA, avec l’aval de la Cour de cassation, le droit à la déconnexion peut désormais en cas d’irrespect être sanctionné par des dommages et intérêts, d’un rappel d’indemnités au titre de l’astreinte. Ce qui ouvre la voie à un nouveau régime juridique garantissant l’effectivité du droit à la déconnexion (B).
B- Un nouveau régime juridique garantissant un droit à la déconnexion
Si le salarié en astreinte doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise, durant celle-ci, il n'a pas l'obligation d'être à son domicile ou à proximité. Il lui suffisait, par exemple, de pouvoir être joint par téléphone.
Or, c’est précisément cette interprétation de l’employeur que conteste la CA, le fait de laisser en permanence son téléphone mobile branché afin d’intervenir si besoin était pour le service de l’entreprise, doit au titre du droit à la déconnexion, s’analyser en une période d’astreinte. Période qui fait l’objet d’une réglementation formelle et d’une compensation financière ou en repos.
Cette sanction potentielle vise désormais à garantir le droit à la déconnexion.