INTRODUCTION
Parce qu’elle a pour objet la réparation des dommages subis par les victimes, la responsabilité civile se distingue de la responsabilité pénale qui sanctionne un comportement considéré comme répréhensible par la loi.
Les différents régimes de responsabilité offrent aux victimes un système d’indemnisation qui vise la réparation intégrale des préjudices subis en complément du système d’assurance.
PRE REQUIS – VOCABULAIRE
Le dommage :
Le Droit distingue les dommages aux biens et les dommages aux personnes.
La réparation d'un dommage consiste dans le versement de dommages-intérêts.
Les premiers peuvent être définis comme étant une altération volontaire ou non, causée par un tiers, d'un bien ou d'un droit appartenant à celui qui s'en plaint, ayant pour résultat une perte de valeur ou la perte d'une chance.
Il est prévu à l’article 1240 du code civil que tout dommage actuel et certain, sans perte ni profit pour la victime doit être intégralement réparé (on parle de dommage réparable).
Fait générateur : Evènement à l’origine du dommage
Lien de causalité : Tout évènement à l’origine du dommage
Thème I – La responsabilité civile
C’est l’ensemble des règles légales et jurisprudentielles qui ont pour objet de substituer une attribution matérielle du dommage à une attribution d’ordre juridique.
C’est un droit parfois complexe qui est fondé sur quelques règles du code civil et sur beaucoup de décisions judiciaires.
C’est un droit qui poursuit trois objectifs principaux :
- Il répare le préjudice subi par la victime ;
La Cour de cassation vient de le rappeler (Cass. Civ 1, 21.11.2018, V 17-26.766) :
« Quel que soit le préjudice que l'on ressent pour un problème que d'autres peuvent juger négligeable, la justice en tient compte et l'indemnise à sa juste valeur ».
Le juge ne doit pas l'indemniser symboliquement, pour le principe, mais dans son intégralité. Le juge ne doit pas accorder une réparation symbolique au prétexte qu'il jugerait l'affaire sans importance.
- Il punit l’auteur du dommage ;
- Il maintient la paix civile dans la société.
Pour permettre à la victime de voir son dommage réparé, la jurisprudence a fait évoluer la notion d’engagement de la responsabilité.
On est alors passé de la notion de faute, à celle de risque.
Les chefs d’entreprise ont ainsi une obligation de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de leurs salariés (L.4121-1 du code du travail).
Cette volonté, toujours plus forte de protéger d’indemniser les victimes, a conduit au développement et au caractère obligatoire des assurances (moyen de collectivisation du risque à titre onéreux).
Des fonds spécifiques ont également été développés (ONIAM) pour les victimes d’accidents médicaux.
Il est néanmoins nécessaire de faire une distinction entre trois types de responsabilité :
I – Les différents types de responsabilité
- La responsabilité civile contractuelle (1231 du Code civil). Elle est mise en œuvre toutes les fois qu’il existe un lien entre des parties à un contrat, c'est-à-dire un lien d’obligation (entre un créancier et un débiteur).
o Le contrat a cependant été mal exécuté (ex : je souhaitais absolument acheter une voiture de couleur rouge mais on m’a livré une voiture noire = le contrat a été mal exécuté)
Donc, j’engage la responsabilité civile contractuelle du vendeur pour mauvaise exécution du contrat.
o Le contrat a été inexécuté (ex : j’ai acheté une voiture mais le livreur ne me l’a jamais livrée = le contrat a été inexécuté)
Donc, j’engage responsabilité civile contractuelle du vendeur pour inexécution. J’obtiendrai, éventuellement des dommages et intérêts en plus de la livraison forcée du bien ou mon remboursement. La vente sera alors annulée.
- La responsabilité civile délictuelle (1240 du code civil). Elle est mise en œuvre toutes les fois qu’il existe un évènement (hors contrat) qui produit des effets de droit, on parle alors de fait juridique.
La responsabilité civile est engagée lorsque la faute n’est pas susceptible d’être sanctionnée pénalement.
Elle vise à réparer le dommage qui a été causé à autrui sous la forme de dommages et intérêts.
o Une antenne relai a été placée à proximité d’une habitation. Les habitants se plaignent de maux de tête liés aux ondes électromagnétiques. Si cela est démontré, ils peuvent engager la responsabilité civile délictuelle du propriétaire des antennes relais.
- La responsabilité pénale (L.111-3 du code pénal) : Elle est mise en œuvre toutes les fois qu’une infraction pénale a été commise.
Donc la responsabilité pénale n’est engagée que si et seulement si j’ai commis :
o Une infraction (contravention – risque d’amende) ;
o Un délit (amende + peine de prison) ;
o Un crime (peine d’emprisonnement)
II – Les critères d’engagement de la responsabilité
La définition légale de cette responsabilité est visée aux dispositions de l’article 1240 du code civil. Elle est complétée par (article 1242 du code civil) qui oblige celui qui commet une faute intentionnelle à réparer le préjudice causé.
Pour engager la responsabilité de l’auteur du fait fautif, il faut réunir cumulativement un ensemble de conditions :
- Une faute :
Il faut caractériser le manquement à une obligation juridique.
Mais, le code civil ne comporte aucune définition de la faute.
En 1804 cependant, cette notion a bien été envisagée comme l’élément central du droit de la responsabilité civile. La faute est une notion de droit. La Cour de cassation exerce donc son contrôle quant à sa qualification.
Ainsi, la faute s’apparente-t-elle, à une erreur de conduite, une défaillance.
Selon cette approche, le comportement de l’agent est fautif :
· Soit parce qu’il a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire ;
· Soit parce qu’il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire.
On engage la responsabilité pénale, que, si un texte incriminant le comportement ou l’absence de comportement existe (notamment dans le code pénal).
On parle du principe de la légalité des délits et des peines.
- Un dommage :
Il a été porté atteinte à l’intégrité physique ou morale de la victime ;
On distingue trois types d’atteintes, aussi, qualifiées de préjudices :
o Le préjudice matériel :
Il est causé par le dommage causé aux biens ou aux personnes, on peut demander des dommages et intérêts soit pour la perte subie (le bien a été détruit par un incendie criminel) soit pour le gain dont on a été privé (je devais passer mon bac mais j’ai été renversé par une voiture, je ne peux passer l’épreuve).
o Le préjudice moral :
J’ai causé à la victime un dommage psychologique (j’ai porté atteinte à ses sentiments ou il a perdu un être cher dans un accident).
On parle d’un préjudice extrapatrimonial lorsqu’il affecte la personne en dehors de ses biens.
o Le préjudice corporel :
Il est dit mixte car il est à la fois corporel et moral (frais médicaux, perte de salaire) et (souffrances psychologiques et physiques).
o Le préjudice patrimonial :
On parle de préjudices patrimoniaux lorsque l’on parle du préjudice matériel ;
- Un lien de causalité entre le dommage et la faute commise :
L’exigence d’un rapport de causalité entre le fait générateur et le dommage constitue le troisième terme de l’équation en matière de responsabilité délictuelle.
Pour que naisse l’obligation de réparation, encore faut-il que soit établie l’existence d’une relation de cause à effet.
Afin d’appréhender le rapport de causalité dont l’appréhension est source de nombreuses difficultés, la doctrine a élaboré deux théories :
· La théorie de l’équivalence des conditions ;
· La théorie de la causalité adéquate :
· Selon la théorie de l’équivalence des conditions, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage doivent être retenus, de manière équivalente, comme les causes juridiques dudit dommage, sans qu’il y ait lieu de les distinguer, ni de les hiérarchiser.
Cette théorie repose sur l’idée que si l’un des faits, à l’origine de la lésion, n’était pas survenu, le dommage ne se serait pas produit.
Aussi, cela justifie-t-il que tous les faits qui ont été nécessaires à la production du dommage soient placés sur un pied d’égalité :
EX : Si je donne un coup de couteau au bras à une personne et que je ne savais pas qu’elle était hémophile, qu’elle meurt, je serais néanmoins responsable car je suis à l’origine du dommage.
o Selon la théorie de la causalité adéquate, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage ne sont pas des causes juridiques.
Cependant, tous ces faits ne sont pas placés sur un pied d’égalité, dans la mesure où chacun possède un degré d’implication différent dans la survenance du dommage.
Aussi, seule la cause prépondérante doit être retenue comme fait générateur de responsabilité.
Il s’agit, en d’autres termes, pour le juge, de sélectionner parmi les causes qui se présentent à lui, celle qui a joué un rôle majeur dans la réalisation du préjudice.
EX : Si un individu se promène avec son chien, le chien voit un chat et le propriétaire lâche la laisse. Le chien aperçoit après un individu et lui court après. Menacé, ce dernier court et se fait heurter par une voiture.
o Selon la théorie de l’équivalence des conditions, le propriétaire du chien sera responsable car il est à l’origine du dommage.
o Selon la théorie de la causalité adéquate, ce sera le conducteur du véhicule qui sera responsable car c’est lui qui a créé le dommage direct.
Pour conclure, il faut rappeler que la difficulté est que le Code civil n’a pas donné de définition du lien de causalité, il est donc revenu à la doctrine le soin de le définir.
Néanmoins, il faut différencier la causalité juridique qui est celle considérée comme étant suffisante par le juge pour produire des effets juridiques et celle scientifique qui est fondée sur la certitude.
Pour autant, afin de ne pas nuire à l’ensemble des victimes de préjudices subis après une vaccination, il faut en matière médicale et dans le cadre d’une incertitude scientifique rappeler que :
« Civ.1°, 18/10/17 » précise :
En l’absence de certitude scientifique, le lien de causalité entre l’administration du vaccin contre l’hépatite B et l’apparition d’une sclérose en plaques doit être juridiquement prouvé par la réunion d’indices graves, précis et concordants.
III – Les causes d’exonération de la responsabilité
Les articles 1240 et 1241 du Code Civil instaurent une responsabilité pour faute prouvée, donc les conditions de la responsabilité de l’auteur doivent être établies par la victime.
Le responsable peut alors se défendre en démontrant en quoi son comportement n’est pas fautif. La victime est alors déboutée de son action.
Si la faute est établie, le responsable peut s’en exonérer, soit par le recours à la cause étrangère.
L’exonération par le fait d’une cause étrangère
C’est un fait extérieur au responsable. Elle opère une rupture du lien de causalité entre la faute et le dommage subi par la victime. Elle permet ainsi d’exonérer le fautif de sa responsabilité.
L’exonération par le fait de la force majeure
C’est un évènement irrésistible, imprévisible et extérieur qui échappe au contrôle du responsable, contraignant celui-ci à la commission du fait dommageable (AP, 14/04/06 – quel que soit le type de responsabilité – contractuelle ou délictuelle).
Ces caractéristiques sont appréciées par le juge.
Dans deux arrêts récents, il a ainsi été jugé :
« Dans le premier arrêt (Cass. 2e civ., 8 févr. 2018, n° 16-26.198, P+B+I), le tiers avait poussé la victime sur les rails alors que le train redémarrait.
La Haute juridiction affirme que : le comportement du tiers qui pousse un usager contre une rame alors que celle-ci redémarre n’est nullement irrésistible pour la RATP, qui dispose de moyens modernes adaptés permettant de prévenir ce type d’accident, de sorte que le fait du tiers ne présentait pas les caractéristiques de la force majeure exonératoire de la responsabilité pesant sur elle ».
Dans le second arrêt (Cass. 2e civ., 8 févr. 2018, n° 17-10.516, P+B+I), le tiers, souffrant de schizophrénie, avait ceinturé et entrainé la victime sur les rails, et l’enquête avait conclu à un homicide volontaire et un suicide.
Le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme a indemnisé les ayants droit de la victime et s’est par la suite retourné contre la SNCF.
Pour exonérer cette dernière de toute responsabilité, la Cour de cassation relève que « aucune altercation n’avait opposé les deux hommes qui ne se connaissaient pas, qu’un laps de temps très court s’était écoulé entre le début de l’agression et la collision avec le train (…) et qu’aucune mesure de surveillance ni aucune installation n’aurait permis de prévenir ou d’empêcher une telle agression, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations ce qui, compte tenu de l’ampleur des travaux et du fait que la SNCF n’était pas propriétaire des quais, ne pouvait être exigé de celle-ci à ce jour ».
Elle en déduit que c’est à bon droit que la cour d’appel a conclu à la caractérisation d’un cas de force majeure.
La solution sur ce second point semble mettre un point final à la rigueur d’appréciation de la force majeure exonératoire de la responsabilité du transporteur (par exemple, Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n° 05-10.783, Bull. civ. I, n° 511 ; pour une appréciation de la faute de la victime non constitutive de la force majeure : Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307, Bull. civ. ch. mixte, n° 3), courant qui avait été amorcé en 2011 (Cass. 1re civ., 23 juin 2011, n° 10-15.811, Bull. civ. I, n° 123).
En 2011, toutefois, la force majeure avait été appréciée eu égard au comportement du tiers ; or dans les deux espèces, la Haute juridiction prend également en considération les contraintes et possibilités matérielles des transporteurs afin de prévenir les risques.
Désormais, l’élément déterminant de la caractérisation de la force majeure semble être la possibilité matérielle pour les transporteurs de prévenir le comportement du tiers.
Ces arrêts marquent une césure avec l’appréciation traditionnelle de la force majeure dont les caractéristiques sont appréciées intrinsèquement au comportement du tiers, imprévisible, irrésistible, voire extérieur.
Il semblerait que la Haute juridiction ait apprécié la force majeure à l’aune de la définition donnée par l’ordonnance portant réforme du droit des obligations (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, JO 11 févr. ; C. civ., art. 1218 : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur »), ou encore en écho au projet de réforme présenté par la Chancellerie, le 13 mars 2017.
Pour mémoire, l’article 1253 du projet prévoit que « en matière extracontractuelle, la force majeure est l’évènement échappant au contrôle du défendeur ou de la personne dont il doit répondre, et dont ceux-ci ne pouvaient éviter ni la réalisation ni les conséquences par des mesures appropriées ».
En effet, le projet de réforme du droit de la responsabilité reprend en substance l’appréciation de la force majeure en matière contractuelle formulée par l’ordonnance portant réforme du droit des obligations.
Quoi qu’il en soit, cette homogénéisation est souhaitable, compte tenu des deux fondements susceptibles d’être invoqués pour engager la responsabilité des transporteurs (C. civ., art. 1242 et 1231-1).
L’exonération par le fait d’un tiers ou de la victime
Civ.2°, 17/12/63, l’exonération totale de l’auteur d’une faute peut résulter du fait d’un tiers ou de la victime sans que les faits soient nécessairement fautifs.
Mais ils doivent être à l’origine du dommage et être exonératoire (cas de force majeure ou cause étrangère).
Si c’est le cas, le fautif n’encourt aucune responsabilité.
Dans le cas contraire (absence de force majeure ou de cause étrangère), on parle de responsabilité in solidum, c'est-à-dire que tous les auteurs du dommage doivent le réparer et ne peuvent se rejeter la faute entre eux.
Ex : une victime est rouée de coups par plusieurs individus, l’un de ceux-ci ne peut s’exonérer en invoquant la faute de l’autre.
Si une personne est blessée en raison de son imprudence, le fautif peut voir sa responsabilité atténuée si :
- Le comportement de la victime est fautif (imprudence, négligence, comportement positif).
La réparation sera moindre, à proportion de sa faute, en fonction de la position prise par le juge.
L’exonération par le recours aux faits justificatifs
On les retrouve surtout en matière pénale (L.122-4 et s du code pénal) : ordre ou autorisation de la loi, commandement de l’autorité légitime, légitime défense, état de nécessité, mais dans le domaine de la responsabilité civile on y ajoute (l’acceptation des risques et le consentement de la victime).
On lui trouve sa principale application en matière sportive.
La victime blessée, pendant la pratique d’un sport, peut obtenir réparation du fautif, sauf si ce dernier prouve que la victime avait accepté les risques.
- Elle ne peut cependant être invoquée lorsque la responsabilité est engagée sur le fait des choses (1242al1 du code civil).
Elle est subordonnée à deux conditions :
- La victime avait connaissance d’un danger particulier qu’elle avait en toute conscience acceptée (compétition sportive).
- Il faut que les risques soient normaux. Le danger était prévisible, les règles du jeu avaient été respectées. En revanche, la mort n’est jamais un risque qui était supposé avoir été accepté.
Si ces éléments sont réunis, on ne peut engager la responsabilité de l’auteur du fait dommageable.
Cependant, désormais les tacles à la gorge seront considérés comme une faute grossière susceptible d’engager votre responsabilité !
C’est ce qu’il ressort d’un arrêt de la Cour de cassation, 2e chambre, du 29 août 2019 !
Cette faute caractérise une violation des règles du jeu par excès d’engagement et excédant les risques normaux de ce sport et est donc de nature à engager votre responsabilité !
Les tacles assassins ne font donc (malheureusement) pas partie des « risques acceptés par les joueurs » !
Le consentement de la victime
Ce n’est pas un fait justificatif en droit pénal, la sanction ayant pour but de protéger l’intérêt général.
En revanche, il faut distinguer entre les dommages :
- Si on est face à un dommage matériel et que la victime est consentante pour que son bien soit détruit (course de voiture avec contact), la victime ne peut prétendre à réparation ;
- En revanche, la victime ne peut consentir que son corps soit violenté. Le corps humain est dit indisponible, même si on a consenti à une mutilation, on peut en demander la réparation (1240 et 1241) sous réserve de la notion de faute de la victime qui diminue le montant perçu.
Les clauses limitatives de responsabilité ou exonératoires de responsabilité
Les clauses qui visent à ne pas réparer le dommage subi dans le cadre d’une responsabilité délictuelle (propriétaires de locaux commerciaux qui déclinent toute responsabilité envers les visiteurs), ces clauses sont nulles car il ne peut y avoir de convention exonératoire de responsabilité en matière délictuelle.
Elles seraient possibles en matière de fait des choses ou du fait d’autrui, mais cela pourrait changer avec la réforme de la responsabilité civile délictuelle.
IV – La réparation du préjudice
La réparation du dommage (ou préjudice) doit être intégrale (ni perte ni profit), c’est à dire qu’elle doit replacer la victime dans l’état où elle se trouvait avant la survenance du sinistre, l’indemnité ayant pour mesure le préjudice subi.
Le principe de réparation intégrale impose une appréciation concrète du préjudice effectivement subi et sa mise en œuvre relève donc du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
En revanche, le pouvoir des juges du fond n’est pas discrétionnaire, de sorte que le juge ne peut aller au-delà de ce que la victime réclame.
A - La réparation ne doit pas être inférieur au dommage réparable
Deux conséquences :
· Le juge ne peut pas allouer une réparation symbolique ou forfaitaire ;
· Le préjudice qui présente les caractères requis pour être juridiquement réparable (né, direct et certain) doit être intégralement réparé.
B – Des exceptions au principe de la réparation intégrale du dommage existent
· La loi :
Par exemple, la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles qui n’offre aux victimes qu’un régime de réparation forfaitaire, lequel ne peut assurer une réparation intégrale de la victime ;
· Les conventions internationales :
Par exemple, en matière de transports internationaux ferroviaires ou routiers de marchandises ;
· Les limitations conventionnelles :
En matière contractuelle, le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts prévus ou prévisibles ;
C – La date d’évaluation du dommage
Le moment où la créance de réparation naît dans le patrimoine de la victime se situe à la date du dommage en matière extracontractuelle et à la date du contrat ou de la mise en demeure en matière contractuelle.
La créance de réparation naît au jour du dommage mais est évaluée en principe à la date du jugement, à moins que la dette de réparation ne se soit trouvée liquidée avant.
Quand le dommage ne consiste qu’en une perte d’argent, la jurisprudence a longtemps décidé que le montant nominal ne pouvait être augmenté.
Désormais, la jurisprudence récente considère que le principe de réparation intégrale impose d’actualiser ce montant au jour du jugement.
D - Tempéraments
La date d’appréciation du dommage peut être avancée.
Par exemple, c’est le cas :
· En matière d’assurances de choses, l’indemnité est fixée en fonction de la « valeur de chose assurée au moment du sinistre » (L. 121-1 du Code des assurances) ;
· En matière de transport international de marchandises routier ou ferroviaire, la réparation des pertes ou avaries est calculée d’après la valeur de la marchandise au jour de l’expédition (Convention de Genève du 19 mai 1956 et CMR article 23.1) ;
· Lorsque la victime par son comportement retarde le règlement de la réparation, la réparation sera évaluée à la date du dommage (Cass. Civ. 20 décembre 1950 et Cass. Soc. 1er mars 1957).
La date d’appréciation du dommage peut également être retardée, notamment lorsque l’évaluation se fait à une date postérieure à la dernière décision des juges statuant sur le principe de réparation.
E – Les difficultés d’application du principe de réparation intégrale du préjudice
- Le cas de la chose vétuste
Lorsqu’un dommage est causé, par exemple, à un immeuble vétuste, doit-on appliquer un abattement afin de tenir compte de cette vétusté ?
Par exemple, en matière de réparation du préjudice corporel subi par un jeune enfant dont l’état n’est pas encore consolidé, souvent, le juge accordera une provision et surseoira à statuer jusqu’à la consolidation de l’enfant (en général, autour de 18/20 ans) pour se prononcer sur l’évaluation définitive du préjudice corporel.
- Si on applique un abattement tenant compte de l’ancienneté de l’immeuble, alors la victime ne pourra pas reconstruire l’immeuble sans devoir débourser une partie des fonds : donc la victime s’appauvrit.
- Si on ne tient pas compte de l’état antérieur de l’immeuble, la victime s’enrichira dans la plupart des cas, puisqu’une plus-value sera apportée à son bien compte tenu des travaux de réfection.
La chose vétuste qui est détruite à la suite du fait dommageable, doit être distinguée de celle qui est détériorée :
Lorsque la chose vétuste est détruite, selon une jurisprudence constante, il n’y a pas lieu, en principe, à application d’un coefficient de vétusté.
Par exemple, la faute de l’auteur du dommage est prise en compte en matière de journalisme, lorsque les faits présentés sont faux ou déformés (TGI Paris, 26 juin 1996, CA Paris 26 avril 2001), de sorte que cela aboutit à présenter l’intéressé sous un jour défavorable aux yeux du public.
En revanche, le caractère fautif du comportement du défendeur ne doit pas être pris en compte lorsqu’il n’a aucune incidence sur l’étendue du préjudice subi par la victime.
Le problème de la prédisposition de la victime en matière de réparation du dommage corporel
En principe, la prédisposition de la victime n’entache pas le principe de la réparation intégrale.
Ainsi, lorsque le fait dommageable a révélé ou provoqué l’affection subie par la victime, elle sera indemnisée intégralement car la prédisposition pathologique était restée en sommeil jusqu’au jour de l’accident.
En revanche, lorsque les pathologies de la victime étaient extériorisées antérieurement au fait dommageable, il sera tenu compte de cet état pour fixer le montant de l’indemnisation.
Jurisprudence (Civ.2° ; 23/03/17)
« La Cour de cassation se prononce sur le point de savoir si la victime par ricochet peut se prévaloir de la réparation de deux préjudices distincts, celui temporaire du « choc » psychique de la perte d’un être cher et celui, consolidé, de la dépression réactionnelle.
« À la suite de l’assassinat de son mari, Mme X. a réclamé la réparation des préjudices en résultant, à savoir d’une part la souffrance ressentie à raison de la disparition de son époux et, d’autre part, l’atteinte à son intégrité psychique dans la mesure où elle souffre d’une dépression post-traumatique.
La cour d’appel de Paris, le 17 septembre 2015, a fait droit à cette demande, opérant une distinction entre la « douleur de la perte » et le « déficit fonctionnel permanent ».
Le fonds d’indemnisation s’est pourvu en cassation, faisant valoir que le dommage résultant de la perte avait d’ores et déjà été indemnisé, au titre du préjudice moral se manifestant par le stress post-traumatique, sur le fondement du principe de l’interdiction d’indemniser deux fois le même préjudice.
La problématique, à laquelle était confrontée la Cour de cassation, peut donc être reprise en ces termes : la réparation du préjudice d’affection, en sus de la réparation du préjudice moral lié au développement d’un déficit fonctionnel permanent, ne contrevient-elle pas à l’interdiction de réparer deux fois le même préjudice ?
La Cour précise que « parfois les préjudices subis par les proches d’une victime peuvent être de deux ordres, les uns subis dans leur propre corps, les autres résultant du rapport à l’autre, le déficit fonctionnel permanent et les souffrances endurées relevant du premier ordre, le préjudice d’affection du second ». Ainsi, selon la Cour, le préjudice d’affection, caractérisé par le traumatisme subi par la perte d’un proche, est un préjudice distinct du préjudice moral lié au déficit fonctionnel permanent, ressenti à la suite du décès.
La position de la Cour de cassation diffère donc de la définition du préjudice d’affection proposée par la Commission "Dintilhac" (Dintilhac J.-P. (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, Doc. Fr., juill. 2005, p.38), qui précise qu’« il s’agit d’un poste de préjudice qui répare le préjudice d’affection que subissent certains proches à la suite du décès de la victime directe. Il convient d’inclure, à ce titre, le retentissement pathologique avéré que le décès a pu entraîner chez certains proches ». La Cour de cassation en prend nettement le contre-pied, en l’espèce. Pour autant, cette position s’insère dans la brèche ouverte par le projet de décret instaurant une nomenclature des postes de préjudices résultant d’un dommage corporel, publié par le ministère de la Justice le 20 novembre 2014. En effet, il y est proposé qu’en cas de préjudice d’affection, « le retentissement pathologique de la maladie de la victime directe sur un de ses proches (soit) appréhendé de façon autonome par les différents postes de préjudice de la nomenclature ».
Le projet de décret mentionne le déficit fonctionnel permanent au titre des préjudices extra-patrimoniaux permanent de la victime directe, ce dont il résulte que la victime par ricochet peut se prévaloir de ce chef de préjudice, en sus, lorsque la souffrance est « consolidée ».
La Cour, en faisant le choix de s’inscrire dans la ligne directrice du projet de décret, opère un revirement de jurisprudence, puisque, jusqu’ici, elle refusait, de manière constante, de cumuler l’indemnisation du préjudice d’affection et du préjudice du déficit fonctionnel permanent. Ceci, aux motifs que « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées ou dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, il ne peut être indemnisé séparément » (Cass. 2e civ., 5 févr. 2015 n° 14-10.097 P+B, Bull. civ. II, n° 22 ; v. également Cass. 2e civ., 16 sept. 2010 n° 09-69.433, Bull. civ. II, n° 155).
Ce revirement reste néanmoins surprenant en ce que le cumul d’indemnisation a été reçu, en l’espèce, au bénéfice de la victime par ricochet. Or la jurisprudence le refuse pour la victime directe (arrêts précités). On observera, également, que cette décision revient sur une jurisprudence pourtant postérieure au projet de décret.
À terme, une homogénéisation des régimes d’indemnisation de la victime directe et par ricochet s’avère donc plus que souhaitable.
À cet égard, on relèvera que le projet de réforme du droit de la responsabilité prévoit quant à lui que « les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d’un dommage corporel sont déterminés, poste par poste, suivant une nomenclature non limitative des postes de préjudices fixée par décret en Conseil d’Etat » (Projet de réforme de la responsabilité civile, art. 1269 – Mars 2017). Reste donc à savoir si le projet de décret de 2014 fixant nomenclature sera ou non repris… »
F – L’application d’une réparation spécifique : La perte de chance
L’une des applications les plus courantes de la perte de chance est la sanction d’un manquement à une obligation d’information ou de conseil.
En raison de l’incertitude qui pèse sur l’attitude qu’aurait eue la victime si elle avait été dûment informée ou conseillée, les juges indemnisent la perte d’une chance de prendre une décision qui aurait évité le dommage.
Des chances existaient qui, par suite de la faute commise, n’ont pu être courues et ont été définitivement perdues.
A - Le régime juridique applicable
Il est aujourd’hui prétorien.
En dehors de la matière médicale, la responsabilité des professionnels du droit constitue un terreau fertile pour la perte de chance.
Invoquée par le client comme préjudice subi à la suite d’une faute commise, le plus souvent dans les arrêts, par un avocat ou un notaire, la perte de chance permet à celui-ci d’obtenir une indemnisation et de sanctionner l’absence de comportement diligent du professionnel.
B - Caractérisation de la perte de chance
La perte de chance qui est réparée à la suite de l’engagement de la responsabilité d’un professionnel du droit est, dans la majeure partie des cas, celle d’obtenir un avantage.
Il résulte de la jurisprudence sur la perte de chance en général que celle-ci peut en soi être de deux types :
- La chance perdue indemnisable peut être celle d’obtenir un avantage (perte de chance positive) ou celle d’éviter un désavantage (perte de chance négative).
C’est la première – la perte de chance positive, que l’on rencontre le plus souvent en matière de responsabilité des professions juridiques.
La reconnaissance d’une perte de chance suppose que l’on ne puisse pas réparer le préjudice final subi par la victime, c’est-à-dire la non-acquisition définitive de l’avantage escompté ou la réalisation irrémédiable du désavantage redouté.
Si la perte de chance ne se conçoit pas indépendamment de la réalisation d’un préjudice final, elle ne peut exister et être réparée qu’à la condition que ce préjudice final ne puisse pas être indemnisé.
Car la perte de chance est un préjudice intermédiaire qui, lui, va pouvoir être réparé.
En conséquence, chaque fois que les conditions pour indemniser le préjudice final sont réunies, la perte de chance ne doit pas lui être substituée.
Tel est le cas dans deux hypothèses :
Tout d’abord, la perte de chance ne doit pas être réparée aux lieu et place du préjudice final lorsqu’il ne fait aucun doute que la faute du professionnel est à l’origine du préjudice final.
À l’inverse, chaque fois qu’un aléa affecte le processus dommageable, qu’il est difficile de savoir ce qui se serait passé sans la faute du professionnel, c’est la simple perte de chance qui doit être réparée.
Ensuite, la perte de chance ne doit pas être réparée lorsque le préjudice final constitue un préjudice certain.
Quand le gain manqué n’est assorti d’aucun aléa, c’est la non-obtention de ce gain qui doit être réparée.
Certains arrêts ont ainsi condamné les professionnels du droit à indemniser leurs clients à hauteur du préjudice final.
En revanche, lorsque le préjudice final est incertain, le client n’a perdu qu’une seule expectative de gain.
La non-obtention d’un gain aléatoire ne saurait constituer un dommage certain juridiquement réparable. C’est la perte de chance d’obtenir ce gain incertain qui doit être réparée.
Une chance n’a pas pu être tentée en raison de la faute du professionnel, la disparition de cette chance constitue dès lors un préjudice certain, et partant réparable.
Ainsi, la perte de chance ne peut être caractérisée que dans certaines circonstances particulières : en cas d’incertitude du lien causal entre la faute et le préjudice final ou d’incertitude du préjudice final.
B - Conditions de la réparation de la perte de chance
La réparation de la perte de chance est subordonnée à deux conditions essentielles :
Première condition
Le préjudice de perte de chance doit, tout d’abord, être direct.
Cette première condition renvoie à l’exigence constante d’un lien de causalité avéré entre la faute du professionnel du droit et le préjudice allégué, en l’occurrence la perte de chance.
Cette condition est appréciée plutôt souplement.
Par exemple, il a été jugé qu’il y avait un lien de causalité entre la faute d’un avocat consistant à ne pas avoir respecté les conditions pour que la résolution unilatérale d’un contrat produise ses effets et la perte de chance d’échapper à une action en résolution judiciaire (Cass. 1re civ., 30 avr. 2009, n° 08-15.820, précité).
Sans la faute, en effet, le client n’aurait vraisemblablement pas été assigné en résolution judiciaire.
Seconde condition
Le préjudice de perte de chance doit, ensuite, être certain.
Cette seconde condition se dédouble :
Il faut, d’une part, que la perte de la chance alléguée soit certaine, ce qui signifie que la chance ne doit définitivement plus pouvoir être courue.
En effet, la perte de chance est écartée lorsqu’une chance d’obtenir l’avantage escompté court encore.
À titre d’exemple, la perte de chance d’obtenir la cassation d’une décision de justice ne donne pas lieu à réparation, car les clients de l’avocat en cause disposaient encore de la possibilité de se pourvoir contre la décision litigieuse, celle-ci ayant été signifiée par un acte dont la mention relative au délai du recours en cassation était erronée (Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n° 05-15.674, Bull. civ. I, n° 498).
En revanche, l’existence d’autres moyens pour obtenir l’avantage escompté ne rend pas la perte de chance incertaine.
Le préjudice de perte de chance est réparé même si le client dispose contre un tiers d’une action en responsabilité, une telle action ne privant pas la perte de chance de son caractère actuel et certain (Cass. 1re civ., 19 déc. 2013, n° 13-11.807, Bull. civ. I, n° 254).
Il faut, d’autre part, que la chance qui a été perdue ait elle-même été certaine.
Par voie de conséquence, la perte de chance ne peut pas être reconnue lorsqu’il n’existait aucune chance que le client obtienne gain de cause.
Derrière ces termes différents, la question qui se pose fondamentalement est de savoir si une chance perdue, même minime, peut donner lieu à réparation.
Classiquement, la Cour de cassation admettait sans la moindre ambiguïté que « la perte certaine d’une chance même faible » était indemnisable (Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 12-14.439, précité).
Elle acceptait la réparation alors même que la probabilité de réalisation était extrêmement faible, par exemple de 5 %.
La Cour de cassation n’entendait donc pas fixer un seuil en-deçà duquel l’indemnisation était écartée.
En définitive, pour que le préjudice de perte de chance soit réparable, pour que la chance soit réelle et sérieuse, il fallait et il suffisait que la chance alléguée ait, au vu des circonstances de l’espèce, objectivement existé, si faible soit sa probabilité de réalisation.
C’était sans compter sur des arrêts rendus en 2014 et 2015 qui ont semé le trouble en posant l’exigence d’un « préjudice direct et certain résultant de la perte d’une chance raisonnable » (Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 13-16.380, précité ; Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 12-22.567, précité ; Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-25.109, précité).
Certains commentateurs en ont déduit que lorsque la chance perdue était minime, la perte de cette chance n’était pas réparable.
Deux arrêts de 2016 ont dissipé tous les doutes sur l’indemnisation de la perte d’une chance faible. Celle-ci est bel et bien réparable.
Dans l’affaire donnant lieu à un arrêt du 12 octobre (Cass. 1re civ., 12 oct. 2016, nos 15-23.230 et 15-26.147, précité).
En énonçant que toute perte de chance ouvre droit à réparation, il ne fait aucun doute que la Cour de cassation n’opère pas de distinction selon l’ampleur de la chance perdue.
Une chance élevée comme une chance faible peuvent être indemnisées dès lors qu’elles sont perdues en raison d’une faute du défendeur.
La Haute juridiction renonce ainsi à procéder à une appréciation quantitative de la chance perdue. Seul compte le fait que la chance qui a disparue existait, peu important sa plus ou moins grande probabilité de réalisation.
Le principe exigeant l’existence d’un préjudice direct et certain a par ailleurs récemment été admis par le CE :
« L’impossibilité pour une victime de suivre une scolarité puis d’exercer une activité professionnelle du fait d‘un accident corporel survenu lors de sa naissance constitue un préjudice certain indemnisable au titre de la perte de chance, l’incapacité de déterminer le parcours scolaire ou professionnel qui aurait été suivi ne faisant pas obstacle à une telle indemnisation.
CE, 5° et 6° ch. réunies, 24 juill. 2019, n°408624 »
C - Mise en œuvre de la réparation de la perte de chance
La réparation de la perte de chance est seulement partielle.
Elle est limitée à la valeur de la chance perdue (v. not. Cass. 1re civ., 9 déc. 2010, n° 09-69.490, Bull. civ. I, n° 255).
Par conséquent, la réparation de la perte de chance ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (Cass. 1re civ., 16 juill. 1998, n° 96-15.380, Bull. civ. I, n° 260 ; Cass. 1re civ., 9 avr. 2002, n° 00-13.314, Bull. civ. I, n° 116 ; Cass. 1re civ., 9 déc. 2010, n° 09-69.490, précité).
L’indemnisation accordée, pour le dire autrement, est nécessairement inférieure à celle qui aurait été due si la perte de l’avantage escompté avait été certaine.
La réparation de la perte de chance ne représente dès lors qu’une fraction des chefs de préjudice supportés par la victime, qu’une parcelle du préjudice final.
L’admission d’une réparation partielle ne porte pas pour autant atteinte au principe de la réparation intégrale, car le préjudice constitué par la perte de chance est bien réparé intégralement.
D – Evaluation de la perte de chance
Ce sont les juges du fond qui se voient confier une mission d’évaluation de la perte de chance et qui ont en la matière un pouvoir souverain d’appréciation (pour un rappel récent, v. Cass. 3e civ., 18 févr. 2016, n° 15-12.719, précité ; Cass. 1re civ., 12 oct. 2016, n° 15-23.215, précité ; Cass. 3e civ., 24 nov. 2016, n° 15-26.226, publié au Bulletin ; Cass. 1re civ., 16 nov. 2016, n° 15-25.513). En conséquence, le contrôle de cassation est assez réduit.
La Haute juridiction se contente de vérifier que les arrêts n’ont pas alloué la réparation du préjudice final ou une réparation forfaitaire (v. not. Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-25.113, publié au Bulletin ; Cass. 3e civ., 24 nov. 2016, n° 15-26.226, précité), ou encore une réparation inférieure au préjudice de perte de chance.
En règle générale, les juges se livrent à un calcul de probabilités. Ils évaluent la probabilité de réalisation de la chance, autrement dit la probabilité que l’événement espéré se réalise.
Ils mesurent concrètement cette chance perdue en déterminant d’abord la valeur de l’événement espéré (victoire du procès, recouvrement de la créance, etc.) puis en appliquant à cette somme un facteur correspondant à la probabilité de cette réalisation.
Pour cette raison, la valeur de la chance perdue est souvent fixée sous forme de fraction, par exemple 25 % (CA Nancy, 1re civ., 10 avr. 2000), 50 % (CA Angers, ch. civ. A, 10 mars 2015, n° 13/00820), 80 % (CA Nancy, 1re civ., 28 janv. 2008) ou 90 % (CA Rennes, 1re civ., 20 oct. 2015).