En cette fin de mois de Juillet, le rapporteur de l’Autorité des Marchés Financiers, Antoine Courtault, vient de rendre son rapport au sujet de l’affaire EADS. Entre autre, il soupçonne Noël Forgeard, ancien coprésident d’EADS, d’avoir commis un délit d’initié, ainsi que six autres personnes ayant exercé des options de vente d’actions au premier trimestre de l’année 2006. Rappelons les faits ; en Mars 2006, peu de temps avant l’annonce publique du retard dans la livraison du gros porteur Airbus A380, plusieurs cadres d’EADS réalisèrent d’importantes plus-values en vendant leurs titres de cette société. La première séance suivant cette annonce vit le cours des actions EADS chuter de plus de 26%, provoquant ainsi la mise en examen de plusieurs des dirigeants soupçonnés d’avoir commis un délit d’initié. Mais qu’est-ce qu’un délit d’initié ?
Définition
Traditionnellement défini comme une infraction boursière consistant à utiliser de façon illicite des informations privilégiées sur le marché des valeurs mobilières (actions ou obligations pouvant être cotées en bourse du fait de leur négociabilité), le délit d’initié des personnes physiques est puni par l’article L 465-1 du Code Monétaire et Financier de « deux ans d’emprisonnement, et de 1 500 000 € d’amende dont le montant peut être porté au delà de ce chiffre jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit ».
Concrètement, il incrimine les personnes qui exploitent de façon abusive des informations non connues du public, obtenues le plus souvent grâce à leur position au sein de la société émettrice, et qui ont une influence sur le cours des valeurs mobilières, en agissant par anticipation sur cette variation de cours.
Poursuites
Infraction introduite en droit français dans un souci de moralisation des pratiques boursières, le délit d’initié porte préjudice à l’ensemble des intervenants sur un marché en troublant les règles du jeu basées sur la spéculation. En outre, en profitant d’informations privilégiées, l’initié rompt l’égalité des chances entre les intervenants et empêche le libre cours de l’offre et de la demande. Si la Bourse était un jeu, il serait alors considéré comme un tricheur du fait qu’il s’est servi de données qu’une personne normalement avertie n’aurait jamais pu se procurer de façon licite.
Toutefois, si la triche est le plus souvent utilisée dans le but de gagner, le délit d’initié, lui, n’est pas puni seulement lorsqu’il a été commis en vue de réaliser un profit. Il importe peu, en effet, que son fruit soit nul ou même une perte. La recherche d’un gain anormal ou le profit issu de l’opération litigieuse n’est pas un élément constitutif de cette infraction. Il n’est qu’un élément servant de base à l’évaluation du montant de la sanction comme le rappelle régulièrement la jurisprudence (cf. par exemple TGI Paris, 15 Octobre 1976, JCP G 1977, II, 18543, note A.Tunc ; Rev. sociétés 1977, p.123, note Bouloc).
Par ailleurs, il convient de distinguer le manquement d’initié du délit d’initié. Il s’agit là en réalité de la même action, à ceci près que l’on parle de manquement devant l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), et de délit devant le juge pénal, qui est le seul devant qui l’on peut parler de contravention, délit, ou crime, pour une infraction.
En effet, celle-ci a ceci de particulier qu’elle est portée à la fois à la connaissance de l’AMF en ce qu’elle a eu lieu sur le marché boursier, et à la connaissance des juridictions pénales en ce qu’elle constitue une infraction. Dans la mesure où les deux peuvent prononcer des sanctions à l’égard des personnes mises en cause, on peut se demander s’il n’est pas ainsi porté atteinte au principe non bis in idem qui interdit à la Justice de condamner une personne deux fois pour les mêmes faits.
Par son avis n°89-260 du 28 Juillet 1989 (RFD adm. 1989, p.671, note B.Genevois), le Conseil Constitutionnel a tranché la question en admettant le cumul des sanctions administrative et judiciaire à condition que « le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues », et ce, en raison du principe de proportionnalité des peines de l’article VIII de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Droits des victimes
Enfin, le paiement des amendes ainsi prononcées va au Trésor Public ; ni dans les caisses de l’AMF, ni dans des caisses d’indemnisation des victimes. Dès lors, comment ces dernières peuvent-elles se faire réparer leur préjudice ? En outre, comment le petit porteur, pensant bien placer son épargne en achetant le 13 Juin 2006 des actions EADS, peut-il se faire indemniser le préjudice né de la perte de plus de 26% du cours de ces actions au 14 Juin 2006 ?
Les victimes de ces délits paraissent peu armées pour obtenir réparation de leur préjudice. Les associations de protection des épargnants sont soumises à un agrément de l’AMF qui ne leur donne même pas qualité pour agir en défense des droits de leurs adhérents, tandis que la jurisprudence est réticente (même si elle semble ouvrir délicatement la porte) à admettre leur constitution de parties civiles au procès pénal.
En conclusion, même si l’affaire EADS a vu le jour avant la faillite de Lehman Brothers et la crise financière qui s’en est suivie, elle représente un exemple supplémentaire de la nécessité de moderniser les outils permettant de réguler les marchés boursiers.