La Juridiction de Proximité : consolidation ou remise en cause ?
Jean-Luc CROZAFON
Docteur en droit
La juridiction de proximité a été instituée par la loi du 9 septembre 2002 « afin de répondre au besoin d’une justice plus accessible, plus simple et capable de mieux appréhender les litiges de la vie quotidienne »[1]. La réforme est alors présentée comme une modification majeure de notre organisation judiciaire qui doit se traduire, à terme, par le recrutement de 3 300 juges en dehors du corps des magistrats de carrière [2].
Sept ans après, la juridiction de proximité occupe une place particulière dans notre paysage judiciaire, à la fois ordre de juridiction à part entière, et nouvelle catégorie de juges parfois qualifiés -non sans arrière-pensée- de « non professionnels ».
La juridiction de proximité porte cependant toujours les stigmates du contexte difficile de sa création : née d’un engagement du candidat J. Chirac à l’élection présidentielle, ses compétences ont été définies en plusieurs temps[3] sous le contrôle étroit du Conseil constitutionnel et sous le feu des critiques des syndicats de la magistrature[4].
La nouveauté du dispositif dans notre organisation judiciaire a, dès sa mise en place, suscité d’abondants commentaires sous forme de rapports[5], d’études[6], et de prises de position parfois outrées[7].
Aujourd’hui, la juridiction de proximité -davantage que les juges eux-mêmes- est à nouveau sur « la sellette »; elle alimente les discussions d’actualité sur les blogs du monde judiciaire[8] et fait l’objet de propositions de réforme, plutôt restrictives en ce qui concerne sa compétence civile[9] et plutôt extensives dans sa compétence pénale[10].
Dans le nouveau débat qui s’annonce, il semble toutefois que l’avenir de la juridiction de proximité dépende davantage de l’état des relations entre le pouvoir politique et le monde judiciaire, que d’une analyse objective de son rôle dans notre organisation judiciaire et de son efficacité vis-à-vis des justiciables.
Pourtant, l’ensemble des études de terrain montrent que, « en dépit des controverses qu’il a continué de susciter, le juge de proximité a fini par devenir l’une des figures du paysage judiciaire français »[11].
La laborieuse construction d’une Justice de proximité.
Une justice plus « humaine », plus accessible et plus proche du citoyen où le juge siègerait sans décorum, dans un langage compréhensible et dans des délais suffisament rapides pour « donner du sens » et de l’effectivité à ses décisions …. L’idée est d’abord au centre de la politique de la ville et des actions de prévention de la délinquance mises en place dans les années 80 pour répondre à la problèmatique de la petite délinquance dans les quartiers défavorisés.
Cette première préocupation a laissé place, dans les années 90, à une autre volonté politique : faciliter l’accès au droit en ouvrant des Maisons de la Justice et du Droit ayant vocation à devenir des « guichets uniques » d’information et de services dans les quartiers[12], c’est-à-dire au plus proche de la population, mais sans véritable activité juridictionnelle, celle-ci restant globalement exerçée dans les tribunaux.
Au début des années 2000, cet objectif[13] a été remisé au profit d’un autre enjeu, érigé en nouvelle problèmatique prioritaire: le traitement du contentieux de masse en matière civile et l’incapacité de notre organisation judiciaire, faute de moyens, à faire face à la multiplication des litiges de la vie quotidienne, relevant du droit du logement, de la consommation, du sur-endettement, etc…
C’est dans ce contexte que le législateur a concrétisé en 2002 l’engagement pris par le nouveau Président de la République de créer de nouvelles juridictions de première instance, afin de donner « une réponse judiciaire simple, rapide et efficace » aux « petits litiges de la vie quotidienne, ainsi qu’aux petites infractions aux règles de conduite élémentaire de la vie en société »[14].
Mais un clou chasse l’autre : aujourd’hui, la priorité est désormais à la restructuration des services publics sur le territoire (l’hopital, l’école, bientôt les collectivités locales) et le souci de la proximité géographique a disparu au profit de la recherche de spécialisation, de rationalisation et d’économie des moyens publics.
La définition en 2008 d’une nouvelle « carte judiciaire »[15] se traduira ainsi par la suppression de nombreuses juridictions de proximité dans le sillage de la disparition prévue de 178 tribunaux d’instance.
Surtout, le rapport de la commission Guinchard remis à Rachida Dati, Garde des Sceaux en juin 2008 [16] propose la suppression de la juridiction de proximité et le transfert de ses compétences aux tribunaux d’instance, donnant ainsi opportunément satisfaction aux syndicats de magistrats après le « passage en force » de la nouvelle carte judiciaire.
Si ces propositions devaient être suivies par le législateur, elles signifieraient, par un nouveau revirement, la disparition de la toute jeune juridiction et un nouveau retour en arrière pour la Justice de proximité[17].
Des juges vacataires, dédiés au contentieux civil et pénal de proximité.
Face aux critiques soulevées lors de la création de la juridiction de proximité, le Conseil constitutionnel a pris soin de préciser que « pour une part limitée, des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière (peuvent) être exercées à titre temporaire par des personnes qui n’entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire »[18]. Cette position justifie le maintien d’une durée maximale de 7 ans pour l’exercice des fonctions alors que les premiers juges nommés parviennent à la fin de leur mandat.
Dans la même décision, le Conseil impose que « des garanties appropriées permettent de satisfaire au principe d’indépendance » et, qu’à cette fin, « les intéressés soient soumis aux droits et obligations applicables à l’ensemble des magistrats ». Les juges de proximité relèvent donc du statut de la magistrature (sauf, bien sûr les règles interdisant le cumul d’activités), alors-même qu’ils n’appartiennent pas « au corps » des magistrats.
Cet encadrement se justifie par l’originalité du statut des juges de proximité : il s’agit de juges exerçant à temps partiel, mais dont l’activité est dédiée à une juridiction spécifique qu’ils président. La réforme de 2005 leur a ouvert la possibilité de participer à certaines formations collégiales au sein du TGI ; ils sont aujourd’hui, à ce titre, assesseurs au Tribunal correctionnel.
Les juges de proximité sont issus « de la société civile », ils exerçent ou ont exerçés une autre activité principale. En cela, ils ne différent pas des autres juges qui ne sont pas « de carrière » dans nos juridictions (tribunaux de commerce, prud’hommes, tribunaux des baux ruraux, tribunaux de sécurité sociale). Contrairement à ces derniers, ils assurent néanmoins des fonctions moins spécialisées, aussi bien au civil qu’au pénal, et disposent d’une plénitude de compétences dans leur domaine d’attribution. Pour cette raison, le Conseil constitutionnel a imposé que les candidats à ces fonctions aient des qualifications juridiques, et que leur aptitude soit vérifiée sous le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature.
De fait, le recrutement d’un juge de proximité relève du « parcours du combattant ». Le processus de sélection validé par le CSM, la formation à l’ENM, le stage probatoire, la nomination par décret en Conseil des ministres sur avis conforme du CSM ( !), puis l’installation dans la juridiction exigent plusieurs années, et une certaine obstination de la part des candidats[19] …
Une fois en fonction, le juge de proximité acquiert le statut d’agent public de l’Etat à temps partiel, rémunéré comme salarié vacataire. Sa charge de travail, et donc sa rémunération mensuelle, varie considérablement d’une juridiction à l’autre tout en restant rarement inférieure à 25 heures par mois. Ce temps de travail doit être intégré dans l’agenda professionnel de chacun , alors-même que les juges ne maîtrisent pas les dates de leurs audiences.
Le montant de leur rémunération de base est équivalent à des vacations d’enseignement universitaire[20]. Mais c’est son surtout son caractère forfaitaire qui est source de difficultés : il ne permet pas de rembourser les frais de déplacements et impose un même montant, quelle que soit la durée de l’audience correctionnelle, ou quel que soit le nombre des jugements à rédiger suite à une audience civile, ….
Près de 700 juges de proximité sont aujourd’hui en fonction[21]. C’est peu, comparé aux 3 000 prévus, mais suffisant néanmoins pour assurer une activité soutenue dans près de 500 juridictions de proximité. Parmi eux, le nombre important de retraités explique un âge moyen élevé (57 ans). Les professions judiciaires (avocats, notaires, huissiers, mais aussi anciens magistrats ou greffiers) sont les plus représentées, malgré une rélle ouverture à d’autres secteurs, et notamment celui des juristes d’entreprise.
Leurs motivations à exerçer ces fonctions sont évidemment très variables : à coté de motivations classiques (poursuivre une retraite « active », disposer d’un complément de revenus) et d’un véritable goût pour la fonction, de nombreux juges de proximité trouvent dans cette activité l’opportunité d’un parcours de compétences, et espèrent pouvoir un jour le valoriser.
Quelles que soient leurs motivations, la plupart des juges de proximité -qui ont généralement une carrière professionnelle déjà riche- n’accepteront pas, comme le propose la commission Guinchard, de voir modifier en cours de mandat les missions pour lesquelles ils ont été recrutés - qui plus est pour devenir de simples supplétifs, dépourvus de la responsabilité juridictionnelle qui est la leur depuis 2002.
Conscient de la nouvelle charge que la réforme impliquerait pour les juges d’instance, l’Association Nationale des Juges d’Instance s’est d’ailleurs déclarée opposée à ces propositions et en faveur du maintien des compétences actuelles de la juridiction de proximité[22].
Le mode de recrutement « externe » et le statut original des juges de proximité relèvent d’une double préocupation :
La première est de pallier, à moindre coût, le manque de moyens de la Justice. Les juges de proximité « absorbent » plus de 17 % du contentieux civil de l’instance, et limitent par conséquent le besoin de recrutement de magistrats. De plus, ils remplacent utilement les magistrats de carrière dans des activités jugées par eux chronophages et peu valorisantes, tel l’assessorat aux audiences collégiales du tribunal correctionnel.
Si cette préocupation « de bonne gestion» n’est pas criticable en soi, elle ne saurait pour autant devenir -comme semble le souhaiter le rapporteur de la commission Guinchard- la seule justification au recrutement de juges vacataires.
On ne saurait en effet faire l’impasse sur une autre préocupation qui est au centre du dispositif imaginé par le législateur : des juges « différents » seraient mieux à-même de « juger différemment » les litiges qui relèvent du quotidien des justiciables.
Malgré leur « profil » spécifique, les juges de proximité ont-ils pour autant une pratique juridictionnelle différente ?
En instituant un mode de recrutement externe, le législateur a pensé que « les qualités humaines et psychologiques ainsi que la disponibilité paraissent aussi importantes que les compétences juridiques …Les citoyens sont en effet en droit d’attendre un juge faisant preuve, avant tout, de bon sens et disposant d’une bonne connaissance des choses de la vie et donc d’une grande capacité d’écoute (…) Il paraît donc important que les caractéristiques des juges de proximité ayant vocation à pacifier les conflits et à juger en équité diffèrent de celles des magistrat professionnels, qui se présentent essentiellement comme des techniciens du droit chargés de faire prévaloir la règle de droit »[23].
La mise en œuvre de la réforme a profondément modifié cette perspective initiale, parce que ses acteurs se sont montrés très perméables au fantasme du juge non-professionnel, supposé incompétent, et faisant courir le risque d’une justice « au rabais ».
On l’a vu, le Conseil constitutionnel a d’abord exigé que les candidats justifient d’une qualification juridique, et leur sélection par les services de la Chancellerie et le CSM a largement favorisé des personnes issues du monde judiciaire .
Surtout, la formation assurée par l’ENM et les juges d’instance durant le stage probatoire n’a pas permis de donner une place nouvelle à la conciliation dans la procédure, contrairement à la volonté du législateur pour qui le juge devait « offrir un traitement judiciaire rénové des litiges de la vie quotidienne en faisant une large part à la conciliation et donc, de ce fait, à l’écoute des justiciables »[24].
La formation des juges de proximité leur impose également une méthodologie de rédaction du jugement directement issue de la pratique des magistrats de carrière et des « fascicules » de l’ENM.
L’« office du juge de proximité » ne s’est donc jamais émancipé des pratiques professionnelles de ses collègues de l’instance, en particulier parce que le juge de proximité juge en droit. Il motive ses décisions et rend ses jugements « au nom du peuple français » . Il a de ce fait une fonction, -et une identité professionnelle-, bien différentes des actuels conciliateurs de Justice[25], et même de l’ancienne figure du juge de paix.
En effet, même si « la mise en place des juges de proximité se nourrit à de nombreux égards de la nostalgie des juges de paix »[26], cet illustre précurseur suprimé en 1958 lors de la création des tribunaux d’instance ne peut constituer qu’un lointain modèle. Qui s’accomoderait aujourd’hui « des arrangements hors audience, de recrutements locaux très politisés, de jugements en équité »[27] non motivés en droit ?
Sur ce dernier point, la timide proposition du rapport Charvet [28]de « permettre au juge de proximité de trancher en équité, suivant des modalités à définir, les conflits concernant des sommes de moins de 1 000 € » n’a jamais été retenue.
Une expérience dans ce sens aurait sans doute permis, en renouant avec les objectifs initiaux du législateur, de générer une pratique différente. Elle aurait aussi contribué à forger une véritable identité à la juridiction de proximité, sans pour autant la détacher de son ancrage au sein des juridictions d’instance.
Il reste que, selon la personnalité des juges en fonction, ceux-ci « semblent fournir plus d’efforts que les magistrats de carrière pour expliquer le déroulement de l’audience et certains points juridiques aux justiciables. La pédagogie lors de l’audience apparaît comme l’attribut privilégié des juridictions de proximité »[29] .
Au-delà de sa fonction d’écoute et d’explication, la juridiction de proximité trouve en définitive l’essentiel de sa légitimité dans sa capacité à assurer efficacement, et à faible coût, les compétences qui lui ont été confiées par le législateur.
Un bloc de compétences civiles et pénales récemment étendu et globalement bien assuré.
Après une période « expérimentale », le législateur a consolidé la nouvelle juridiction en étendant et en clarifiant ses compétences en 2005[30].
Depuis cette date, les juridictions de proximité sont compétentes pour traiter des litiges civils d’un montant inférieur à 4 000 €[31], concernant aussi bien les personnes morales que les personnes physiques, pour les besoins de leur vie professionnelle ou non professionnelle. En matière civile, la réforme a donc étendu sa compétence d’attribution en allant au-delà de la définition intiale des « petits litiges » - notion d’ailleurs parfaitement ambiguë, car ce n’est pas le montant du litige qui en fait la complexité juridique-.
Le juge de proximité est ainsi essentiellement compétent, dans la limite des 4 000 €, pour les actions contractuelles, les actions en paiement, les actions en responsabilité. Son domaine recouvre un contentieux varié relevant surtout du droit des obligations, notamment contractuelles : créances impayées, mal façons, vices cachés, non restitution du dépôt de garantie au locataire, etc. Ces litiges ont un montant moyen proche de 1 000 €[32].
Deux domaines considérés comme « techniques » sont néanmoins réservés au seul tribunal d’instance : les litiges concernant le crédit à la consommation et les relations entre bailleurs et locataires. Encore que sur ce dernier point, la juridiction de proximité est compétente pour les actions en restitution du dépôt de garantie ; elle peut d’ailleurs, depuis un avis de la Cour de cassation, être amenée à statuer dans ce cadre sur une demande reconventionnelle concernant le paiement des loyers[33].
Dans le même esprit, la complexité de la répartition des compétences entre les différents tribunaux de première instance a conduit le législateur à préciser que « le juge de proximité renvoie toutes les exceptions d’incompétences au juge d’instance »[34]. Cette disposition a cependant pour effet d’allonger les délais de traitement des affaires, car lorsqu’il n’est pas lui-même compétent, le juge d’instance doit à nouveau renvoyer à la juridiction qu’il désigne …
La procédure devant la juridiction de proximité connaît peu d’originalités par rapport à celle en vigueur devant le tribunal d’instance.
En particulier, la possibilité qui est ouverte au juge de proximité[35] de renvoyer le dossier au juge d’instance s’il se « heurte à une difficulté juridique sérieuse », n’est jamais utilisée dans la pratique. Ce recours permettant « d’élever le litige » pourrait, à certaines conditions, plus utilement bénéficier au justiciable et venir atténuer les effets de l’absence de procédure d’appel. En effet, comme pour tous les autres tribunaux de première instance, les décisions de la juridiction de proximité sont insusceptibles d’appel lorsqu’elle portent sur des litiges d’un montant inférieur à 4 000 €, ce qui, on l’a vu, constitue pour elle le cas général.
De même, si le juge de proximité est compétent pour homologuer les accords de conciliation[36], dans la pratique « le recours à la conciliation n’est pas plus systèmatique que devant le tribunal d’instance »[37]. Ce point mériterait certainement une nouvelle réflexion.
Malgré ses défauts, la juridiction de proximité pèse dorénavant d’un poids certain dans le contentieux civil d’instance : plus de 100 000 affaires ont été jugées en 2007, soit 17,5 % des dossiers [38].
En matière pénale, ce sont 450 000 affaires qui ont été jugées en 2007. La juridiction de proximité s’est vue en effet attribuée l’ensemble du contentieux des quatre premières classes de contraventions, sauf quelques rares exeptions[39].
Cette compétence n’est pas aujourd’hui remise en cause. Elle concerne en effet un contentieux de masse, constitué surtout d’infractions routières, pour lequel les pouvoirs du juge sont limités[40]. La pratique conduit d’ailleurs le juge a rendre sa décision « sur le siège », c’est à dire sans délibéré, et sans rédiger de motivation (sauf en cas d’appel). De ce point de vue, l’activité du juge différe profondément au civil où chaque affaire est particulière et où tous les jugements sont rendus après délibéré et sont motivés par écrit.
C’est donc surtout pour le contentieux civil que peut être soulevée la question de la qualité des jugements rendus.
Pour apprécier qualitativement l’activité des juges de proximité, on dispose de peu d’éléments objectifs.Tout au plus, peut-on constater que les délais de traitement des affaires ne sont pas plus longs qu’au niveau de l’instance (4,7 mois) ; mais ce délai dépend plus des renvois demandés par les avocats et des moyens du greffe, que de la célérité du juge à rédiger ses décisions.
Concernant la qualité intrinséque liée à la motivation des décisions, l’appréciation est « mitigée » selon les auteurs d’une étude portant sur un nombre limité de jugements[41]. Pour un autre, « l’analyse des décisions rendues par 17 juridictions ne fait pas apparaître d’incompétence manifeste des juges de proximité à régler le contentieux qui leur est soumis, même si on note une motivation juridique insuffisante des décisions »[42].
Pour autant, la proportion des jugements de proximité frappés d’un recours en cassation n’est pas supérieure à celle des jugements d’instance, et la doctrine a trouvé dans les décisions rendues[43] de nombreux sujets de commentaires favorables.
En 2008, Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux pouvait se féliciter officiellement de « l’implantation réussie et l’enracinement durable de la nouvelle juridiction ainsi que (de) la reconnaissance des juges de proximité comme partenaires à part entière du monde judiciaire »[44]. Moins d’un an plus tard, la Chancellerie indiquait pourtant vouloir donner suite à la proposition de la commission Guinchard concernant la suppression de la juridiction de proximité [45]….
Une juridiction qui doit être consolidée, plutôt que remise en cause.
La Justice de proximité répond au besoin permanent de rapprocher la justice des citoyens dans un environnement marqué à la fois par la judiciarisation de notre vie quotidienne, la complexité des procédures, le coût élevé des auxiliaires (avocats et huissiers), l’engorgement des tribunaux et l’allongement des délais de traitement des contentieux.
Son histoire réçente démontre qu’elle ne peut répondre à ses objectifs (être accessible et rapide, équitable et fiable) que si elle est incarnée par une juridiction spécifique, et rendue par des juges dédiés, au profil adapté.
L’organisation mise en place depuis 2002 pâtit aujourd’hui de sa plus grande réussite : avoir su s’intégrer et conquérir toute sa place dans le fonctionnement de notre système judiciaire, face aux magistrats et aux avocats, et surtout, au service du justiciable.
Peut-on affirmer que la réforme a échoué du fait que les juges de proximité mettent en œuvre
les mêmes méthodes que les magistrats du siège ? Sans doute pas, mais « l’inclinaison de la nouvelle institution vers le mimétisme par rapport à la justice d’instance »[46] l’a rendue fragile face à la vélléïté des politiques. Pourquoi, en effet, conserver une juridiction originale si elle a perdu ce qui faisait son originalité ? … et se priver par là-même de « lâcher du lest » vis à vis des syndicats de magistrats en colère après les réformes « Dati » ?
L’identité même de la juridiction de proximité s’est sans doute affaiblie. Pour autant, il n’aurait pas été souhaitable pour le fonctionnement quotidien des juridictions de premier degré de creuser un fossé entre, d’un côté, des juges issus de la société civile dédiés à des activités plus sociales que juridiques, et de l’autre, des magistrats de carrière dont le travail « purement » juridique se limiterait à interpréter les textes pour « dire le droit ».
Ce serait tout autant une erreur d’évoluer, comme le propose la commission Guinchard, vers un système de juges suppléants, en conservant les seuls juges et en supprimant la juridiction de proximité, notamment au civil.
L’existence d’une juridiction de proximité « adossée » au tribunal d’instance, et la disponibilité d’un juge « profane »[47] collaborant avec les magistrats de carrière contribuent à renforçer la spécificité et la reconnaissance de l’ensemble des juridictions d’instance.
Maintenant que les craintes du monde judiciaire d’une « justice au rabais » sont dépassées, cette juridiction devient le meilleur cadre pour « donner plus de contenu à la notion de proximité »[48].
Une telle perspective conduirait, par exemple :
- à développer en son sein des procédures de conciliation, aujourd’hui incompatibles avec les contraintes et le mode de fonctionnement des magistrats et avocats,
- à y expérimenter le jugement en équité, pour les affaires les moins importantes,
- à favoriser des procédures plus rapides pour le justiciable, tel le référé de proximité
- à privilégier « l’écoute » des parties en maintenant à ce niveau l’exigence d’oralité des débats et la possibilité de plaider sans avocat[49],
- à rechercher une meilleure articulation avec le juge d’instance, au travers d’une délégation formelle et individuelle pour la tenue des audiences civiles de proximité,
- à instaurer un recours simplifié auprès du juge d’instance en cas de contestation des parties[50], pour « élever le litige »,
- à augmenter les moyens des greffes, condition indispensable au maintien du nombre d’audiences et à l’organisation d’audiences foraines,
- etc.
On ne peut créer ou supprimer des juridictions selon « l’air du temps », alors que les justiciables et les acteurs du monde judiciaire sortent à peine d’un tourbillon de réformes aux effets parfois dévastateurs sur le terrain, et que l’ensemble des études montrent la bonne intégration de cette juridiction dans notre système judiciaire[51] .
La juridiction de proximité était jusqu’à récemment le « chaînon manquant » de notre organisation judiciaire: même si la réforme demeure inachevée, doit-on prendre le risque d’un retour en arrière ? … et faire ainsi resurgir les critiques concernant l’opacité de la Justice et son éloignement des citoyens ?
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[1] Communiqué de presse du 2 avril 2003 de Dominique Perben, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
[2] Le déploiement de la réforme a justifié la création d’une Mission spécifique à l’administration centrale, supprimée en septembre 2006 et intégrée dans la sous-direction des ressources humaines de la magistrature par arrêté du 30 juillet suivant.
[3] Loi d’orientation et de programmation pour la justice n°2002-1138 du 9 septembre 2002
Loi organique n°2003-153 du 26 février 2003 relative aux juges de proximité
Loi n°2005-47 du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance
[4] dans une motion à son congrès du 4 décembre 2002, le Syndicat de la magistrature « s’inquiète des risques d’une justice rendue par des non professionnels (…) sans formation juridique suffisante » et affirme que « cette justice ne présentera pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par la Convention Européenne des Droits de l’Homme ».
[5] rapport du groupe de travail conduit par D.Charvet et J.-C.Vuillemin remis en novembre 2005.
[6] voir l’abondante bibliographie citée in Quel avenir pour les juridictions de proximité ? Romain Montagnon, L’Harmattan, Bibliothèques de droit, 2006.
[7] le juge de proximité est décrit comme « St Louis sous son chêne, pas formé, réac et mal payé » par deux magistrates membres du SM, Démocratie et Socialisme, mars 2005.
[8] voir les nombreuses réactions suite à la condamnation du DAL et des Enfants de Don Quichotte le 24 novembre 2008 par le juge de proximité de Paris.
[9] En particulier, Mission de recherche Droit et Justice, Les Juges de Proximité, D.Thomas et A.Ponseille, nov.2008 ; Les juridictions et juges de proximité. Leur rôle concrêt en matière d’accès à la justice des petits litiges civils, Marc Vericel, décembre 2008 ; ces études de terrain conduites durant 2 ans ont été publiées après le rapport Guinchard et viennent en modifier profondément l’analyse en ce qui concerne la réalité du rôle des juridictions de proximité.
[10] Proposition du Président de la République (discours du 7 janvier 2009) de confier aux juges de proximité un rôle d’assesseur dans les audiences collégiales qui devraient décider, selon lui, de la mise en détention provisoire d’un prévenu.
[11] D.Thomas et A.Ponseille, ibid.
[12] Loi n°98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits.
[13] La justice de proximité, rapprocher la justice des citoyens, Anne Wyvekens, in La justice, réformes et enjeux, Cahiers français n°334 ,sept-oct 2006.
[14] Exposé des motifs de la Loi organique du 26 février 2003, préc.
[15] Décret du 15 février 2008 (JO du 17 fev)
[16] Rapport Guinchard, « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », 30 juin 2008, voir notamment propositions 1 et 22.
[17] Dans un communiqué, l’Association nationale des juges de proximité (ANJP) dénonce les propositions Guinchard qui « aboutiraient à la suppresion de la juridiction de proximité en tant que juridiction indépendante » et redoute que « cette réforme n’entraîne un fort mouvement de démission »
[18] C.const n°2003-466 DC du 20 février 2003 ; C.const.n°2004-510 DC du 20 janvier 2005
[19] Cons.d’Etat 24 fev.2006 n° 282455 sur l’absence de droit à nomination d’un candidat dont la candidature a été rejetée sans motivation par le CSM ; plus 6 000 dossiers de candidatures ont été reçues à ce jour par le Ministère de la Justice.
[20] rémunération moyenne comprise entre 500 et 1000 € bruts mensuels (hors périodes de vacances judiciaires).
[21] en mai 2009, 600 juges sont en activité, 18 en disponibilité, 160 en stage probatoire, sources Ministère de la Justice, Direction des Services Judiciaires
[22] voir colloque des 23 et 24 octobre 2008 à l’Université de Saint-Etienne, La juridiction de proximité en matière civile : réalités-actualité-avenir, par la voix de la vice-présidente de l’Association Nationale des Juges d’Instance.
[23] rapport de M.P.Fauchon pour la Commission des lois du Sénat
[24] rapport de M.E.Blessig pour la Commission des lois de l’Assemblée Nationale.
[25] D. n°78-381 du 20 mars 1978 ; les conciliateurs peuvent participer aux audiences de proximité et intervenir à tout moment de la procédure.
[26] Juge de paix, juge de proximité : les métamorphoses d’un profane judiciaire, A. Pelicand, Congrès de l’AFS, Bordeaux, sept.2006
[27] ibid.
[28] ibid.
[29] D.Thomas et A.Ponseille, ibid.
[30] L. 26 janvier 2005, préc.
[31] plus précisément, les actions personnelles ou mobilières jusqu’à 4 000 € et des demandes indéterminées qui ont pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 4 000 €, art L 231-3 du Code de l’organisation judiciaire
[32] M.Vericel, ibid.
[33] avis de la Cour de cassation, saisie par la juridiction de proximité de Rochefort, du 10 octobre 2005.
[34] Art. 847-5 du Code de procédure civile .
[35] art L 231-5 Code de l’organisation judiciaire.
[36] idem
[37] D.Thomas et A.Ponseille, ibid.
[38] sources Ministère de la Justice, Direction des services judiciaires.
[39] les diffamations et injures
[40] Le montant de l’amende est plafonné à 750 € et, en matière contraventionnelle, les procès-verbaux font foi jusqu’à preuve du contraire selon l’art 537 du CPP. ;
[41] D.Thomas et A.Ponseille, ibid.
[42] M.Vericel, ibid.
[43] Sophie-Claude Fendt, de l’ANJP, a resensé une vingtaine de décisions commentées et publiées.
[44] Réponse ministèrielle n°19121, JO du 20 mai 2008, p.4245
[45] Réponse ministérielle n° 23799, JO du 7 avril 2009, p.3305
[46] Rapport Charvet, ibid.
[47] A.Pélicand, ibid. ; les juges de proximité ne portent pas la robe, mais une simple médaille.
[48] rapport Charvet, ibid.
[49] les avocats, mais aussi de nombreux magistrats, souhaiteraient que soit instituée une représentation obligatoire par avocat devant les Tribunaux d’instance pour favoriser la mise en état des dossiers.
[50] Pas un appel, mais une requête en simple validation (par ordonnance non motivée) ou invalidation (avec substitution de motifs et de dispositifs) du jugement de proximité.
[51] « il apparaît aujourd’hui plus raisonnable de profiter de l’installation de juges non
professionnels appelés à trancher des conflits d’ordre civil et pénal pour en parachever
l’existence, plutôt que de réduire leurs attributions d’une façon telle qu’une disparition
prochaine en serait le seul horizon », D.Thomas et A.Ponseille, ibid.