Par Judith KRIVINE, Avocate au barreau de PARIS (Dellien Associés)
Les salariés de toutes les entreprises dont l’activité se poursuit sur le lieu de travail pendant le confinement se trouvent confrontés à deux injonctions contradictoires, ce qui constitue pour eux une grave source de stress :
- D’un côté, en tant que citoyens, ils entendent quotidiennement une consigne extrêmement claire, en substance : « restez chez vous, tout déplacement peut conduire à ce que vous soyez contaminés ou qu’à l’inverse, porteur sain sans le savoir, vous contaminiez d’autres personnes » ;
- De l’autre, comme salariés, ils se voient contraints de prendre les transports, d’aller sur leur lieu de travail et ainsi de se trouver quotidiennement en contact avec des personnes et des surfaces susceptibles d’être contaminées par le virus.
Dans ces conditions, l’appréciation de l’obligation de prévention de l’employeur qui découle de l’article L. 4121-1 du code du travail ne peut qu’être encore plus rigoureuse qu’en temps normal. L’employeur doit veiller d’une part à évaluer les risques de manière concertée avec les représentants du personnel et d’autre part à mettre en place des mesures adaptées découlant de cette évaluation (articles L. 4121-1 et 2 et R. 4121-1 à 4 du code du travail), en fonction de son activité, mais aussi en fonction de l’organisation du travail, des métiers exercés, voire de la situation de chaque salarié.
C’est ce que viennent de confirmer plusieurs Tribunaux Judiciaires :
- Le premier à Lille le 3 avril, saisi par l’Inspection du travail et l’Union locale CGT de Roubaix et environs représentée par un avocat du Barreau de Valenciennes – que nous félicitons -, qui a ordonné à l’Association Adar Flandres Métropole (association d’aide à domicile) de mettre en place 14 mesures d’évaluation et de prévention, y compris la détermination des activités devant être maintenues ou aménagées ;
- Le deuxième à Paris le 9 avril, saisi par la Fédération Sud des Activités Postales et des Télécommunications, représentée par Me Julien Rodrigue (Dellien Associés), qui a condamné La Poste à procéder à une évaluation détaillée de chacun des risques professionnels identifiés du fait spécifiquement de l’actuelle crise sanitaire d’épidémie de Covid-19, en associant les services de la Médecine du travail, les instances représentatives du personnel, les organisations syndicales et dans la mesure du possible, les personnels concernés, cette mesure comprenant notamment :
o Le recensement de l’ensemble des activités postales estimées essentielles et non essentielles à la vie de la Nation,
o les conditions d’exercice liées à l’épidémie de covic-19 des divers métiers et emplois des activités postales essentielles à la vie de la Nation,
o les incidences de l’arrivée annoncée le 1er avril 2020 de volontaires des services support, de salariés de la société MEDIAPOST, d’intérimaires et de salariés en CDD au sein des services pour étendre la distribution de la presse, du courrier et des colis ainsi que l’ouverture de ses bureaux à compter du 6 avril 2020,
o les mesures adoptées dans les cas d’infections signalées, qu’elles soient avérées ou suspectées, tant en ce qui concerne les personnels qu’en ce qui concerne les locaux et les mobiliers professionnels,
o les risques psychosociaux résultant spécifiquement de l’épidémie de Covid-19
- le troisième à Nanterre le 14 avril, saisi par l’Union syndicale Solidaires, représentée par Me Judith Krivine (Dellien Associés), dans lequel il a été constaté des manquement d’AMAZON à son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés se matérialisant par :
o l’absence d’association des instances représentatives du personnel à l’évaluation des risques résultant de l’épidémie,
o l’insuffisance d’évaluation des risques de contamination à l’entrée du personnel et dans les vestiaires (dispositifs inadaptés au regard du nombre de salariés),
o l’insuffisance de plans de prévention avec les entreprises extérieures (nettoyage, restauration, maintenance, transporteurs…),
o l’insuffisance des mesures relatives au nettoyage, notamment des outils de manutention,
o l’absence d’évaluation du risque de contamination tenant aux manipulations des colis,
o l’insuffisance des mesures de formation du personnel et leur inadaptation au regard des risques élevés de contamination liés à la nature de l’activité de l’entreprise,
o l’absence d’évaluation des risques psychosociaux en lien avec le risque épidémique, les changements organisationnels et les nouvelles contraintes de travail.
Le tribunal judiciaire de Nanterre a alors ordonné à Amazon de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie et à la mise ne œuvre des mesures prévues à l’article L.4121-1 du Code du travail (mesures de prévention des risques, d’information et de formation, organisation et moyens adaptés à la situation) et dans l’attente, à restreindre l’activité des entrepôts aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux, ce sous astreinte de 1.000.000 euros par jour de retard et par infraction constatée.
Ces décisions sont importantes en ce qu’elles montrent que le droit à la santé prime sur les considérations économiques et montrent que malgré la suppression des CHSCT dans les entreprises (hormis La Poste qui a maintenu provisoirement ses CHSCT) qui visait clairement à tenter de réduire le pouvoir des représentants du personnel en la matière, leur rôle reste central dans la détermination collective des conditions de travail des salariés.
Note : Amazon a fait appel de la décision du TJ de Nanterre. L’audience est fixée devant la Cour d’Appel de Versailles le 21 avril 2020 à 10h.
Décisions citées :
- Ordonnance de référé du TJ de Lille du 3 avril 2020, n° 20/00380
- Ordonnance de référé du TJ de Paris du 9 avril 2020, n° 20/52223
- Ordonnance de référé du TJ de Nanterre du 14 avril 2020, n° 20/00503