Les enlèvements des voix critiques par les services des renseignements tchadiens en 2024

Publié le 03/10/2024 Vu 328 fois 0
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L'article traite des enlèvements des voix critiques par les services des renseignements tchadiens en 2024. Il met en lumière les méthodes des services de renseignements tchadiens et les moyens de dédense des tchadiens.

L'article traite des enlèvements des voix critiques par les services des renseignements tchadiens en 2024. Il

Les enlèvements des voix critiques par les services des renseignements tchadiens en 2024

 Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen.

Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

 

Le préambule de la Constitution tchadienne affirme que : Les différents régimes, qui se sont succédé, ont créé et entretenu le régionalisme, le tribalisme, le népotisme, le communautarisme, les injustices sociales, les violations des droits de l’Homme et des libertés fondamentales individuelles et collectives, dont les conséquences ont été la guerre, la violence politique, la haine, l’intolérance et la méfiance entre les différentes composantes de la nation tchadienne.  Loin d’être finie, cette situation s’est empirée depuis l’ascension du Général Mahamat Idriss Deby Itno au pouvoir avec l’instrumentalisation des forces armées, du parlement et de l’appareil judiciaire.

La Star des enlèvements, séquestration, torture et exécution des voix critiques par le gouvernement était sans doute le feu Président Hisseine Habré. Le feu Maréchal Idriss Deby Itno semblait lui emboîter le pas jusqu’à ce que le Général Mahamat Idriss Deby Itno le supplante avec des massacres massifs des populations jusques dans les locaux de la Chancellerie américaine[1] lors des événements malheureux d’octobre 2022.

Le coup d’Etat qui a porté le Général Mahamat Idriss Deby Itno au pouvoir en avril 2021 et qui a été validé par le Président français Emmanuel Macron[2] au nom de la stabilité du Sahel a marqué un tournant décisif dans la justification l’intensification des enlèvements des opposants, leurs tortures et même les assassinats. Des crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été perpétrés à la fois contre les populations civiles et des leaders d’opinions. L’argument de la stabilité du Tchad et de la sous-région a été braqué pour protéger le maintien au pouvoir du tyran.

Entre 2021 et 2022, plusieurs manifestations avaient été organisés par plusieurs coalitions de partis politiques et des organisations de la société civile pour rejeter le projet de dévolution dynastique du pouvoir. La première manifestation a été organisée par la société civile et l’opposition en date du 27 avril 2024. Des balles réelles ont été tirées par la garde républicaine dont le Chef n’est autre que le General Mahamat Idriss Deby Itno. Selon Marceau Sivieude, directeur adjoint pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale à Amnesty International a déclaré que la répression des manifestations avaient entraîné la mort d’au moins cinq personnes, d’après les autorités[3]. De nombreuses autres personnes ont été blessées et arrêtées et certains sont encore portés disparus. Des enlèvements en masse ont aussi eu lieu dans la nuit du 20 au 21 octobre 2022. Les militaires, aidés par des services des renseignement, ont fait irruption chez mon père comme chez plus de 500 autres personnes pour enlever des citoyens soupçonnés d’avoir manifesté contre le pouvoir du Général Mahamat Idriss Deby Itno.

Entre 2021 et 2024, le Général Mahamat Idriss Deby Itno, appuyé par ses services de renseignements, vont pousser à l’exil, enlever et torturer toute les voix critiques qui se sont levées pour dénonciation la mauvaise gouvernances, la corruption, le crime et les mauvaises pratiques du gouvernement. Dans notre seconde partie, nous mettrons un accent particulier sur les enlèvements.

En 2024, plusieurs enlèvements de personnalités tchadiennes ont eu lieu. Toutefois, trois cas ont particulièrement retenu notre attention à cause de la mobilisation qui a eu lieu sur les réseaux sociaux pour leur libération. Il était de notoriété publique que les services de renseignements tchadiens ne répondent qu’à leur propre zèle et, au pire, à ceux venant de la Présidence de la République. Toutefois, face à la pression des réseaux sociaux où leurs enlèvements étaient signalés en temps réel avec des photos et vidéos à l’appui, les services de renseignements vont libérer leurs victimes qui vivent désormais une sorte d’épée de Damoclès.

Notre réflexion autour du sujet des enlèvements des voix critiques tchadienne sera axée autour de deux points principaux. D’abord, nous parlerons des enlèvements de deux religieux et d’un journaliste. Ensuite, nous parlerons de la nouvelle dynamique de pression que représentent les réseaux sociaux pour signaler les méfaits des services de renseignements aux fins d’obtenir leur libération.

I.               Les enlèvements de trois voix critiques par les services de renseignements en 2024

Les personnalités dont les noms suivent ont été enlevées par les services des renseignements tchadiens pour avoir critiqué la mauvaise gouvernance du gouvernement de Mahamat Idriss Deby Itno. Il s’agit de :

·       Mahamat Ahmat Abba (Imam) le 06 janvier 2024

·       Madou Simon-Pierre (Curé de l’Eglise Catholique) le 05 août 2024

·       Badour Oumar Ali (Journaliste) le 08 août 2024

Tout d’abord, l’imam Ahmat Mahamat Abba est connu pour ses prédications enflammées contre la corruption, le clientélisme, la collusion, le népotisme, le détournement des derniers publics, l’injustice et toutes les pratiques antidémocratiques. Sa petite mosquée a vu le nombre de fidèles augmenter parce que ses messages étaient fidèles aux prescriptions islamiques. Ce regain de popularité l’a propulsé au-devant de la scène et surtout sur les réseaux sociaux où ses fidèles publient les vidéos de ses prêches. De prêcheur anonyme, il devient l’une des personnalités les plus aimées par les internautes arabophones tchadiens.

Le 06 janvier 2014, les services de renseignements feront irruption chez lui par des hommes à 03h du matin pour l’enlever de force et l’amener vers une destination inconnue. Il sera relâché quelques jours plus-tard face au mécontentement de ses fidèles, des internautes, de la société civile et l’indignation des chefs religieux.

S’agissant ensuite du curé de la Paroisse Bienheureux Isidore Bakandja de Walia-Goré au 9e arrondissement de N’Djamena jusqu’à août 2024 où il a été relevé de ses fonctions, l’Abbé Madou Simon-Pierre est aussi connu pour ses homélies contre les mauvaises pratiques du gouvernement et l’injustice. Il donne des interviews de manière récurrente aux journaux et médias pour donner ses points de vues souvent tranchants.

Selon le Ndjampost[4], le Curé a été enlevé par des hommes armés enturbannés venus à bord de plusieurs alors qu’il était sous perfusion dans son bureau au sein de sa paroisse. Il sera embarqué de force à bord d’un véhicule 4X4 Toyota V8 non immatriculé. Dans leur précipitation, ils ont abandonné des véhicules non immatriculées dont quelques-unes ont été caillassées par la population[5].

Dans un communiqué Publié le même jour sur la Page Facebook du Ministre Porte-Parole du gouvernement , M. Abderamane Koulamallah, le gouvernement nie tout enlèvement et indique qu’il s’agit d’une arrestation régulière suite à des propos tenus par l’abbé Madou qui auraient mis en péril la cohésion nationale.

Selon lui, « Les propos incendiaires de l'abbé Madou constituent une atteinte grave à la loi et à la paix sociale, et ont ainsi motivé une action légale conformément aux lois de la République. L'abbé Madou est actuellement auditionné dans le cadre de cette procédure judiciaire régulière. Il est essentiel de souligner que cette arrestation s'est déroulée dans le respect des droits fondamentaux et que les forces de l'ordre n'ont en aucun cas eu recours à la violence ou à des pratiques illégales. »

Selon les explications du CEFOD[6], le curé dénoncé   a qualifié le projet de l’ordonnance N° 001/PR/2024 , portant composition du parlement de « honte nationale » dans les colonnes du journal N’Djaména-Hebdo en ces termes : « Voici ce qui va se passer : nous aurons une assemblée nationale avec 50 députés issus de toutes provinces du sud, et 115 députés venus du nord du pays », indique le prêtre qui trouve cela grave. « Le sud très peuplé entre désormais dans l’esclavage institutionnel et constitutionnel. Et pour le sudiste, c’est terminé, parce qu’il n’y aura pas débat », s’offusque-t-il et se demande « comment 50 personnes fabriquées d’ailleurs de toutes pièces vont faire face à 115 personnes » ? Il demande au président de la République de renoncer à ce projet s’il « a encore le sens de l’unité de ce pays ». Sinon, a-t-il prévenu « je vais proposer deux choses : Je proposerai la parité mathématique nord-sud, pour gouverner le Tchad dans toutes les institutions comme un député au nord, un député au sud, un gendarme au nord, un gendarme au sud, un soldat au nord, un soldat au sud, un policier au nord, un policier au sud. Sinon je suis prêt à dire à tous les sudistes de boycotter et là on va revendiquer l’autodétermination ». La loi sera promulguée et le curé sera privé de tribune pour dénoncer car il sera relevé de ses fonctions par l’archevêque et sommé de se reposer car ayant une santé précaire.

S’agissant enfin de Badour Oumar Ali, rédacteur en chef du site Tchadinfos et journaliste à l'ATPE, il a été convoqué à midi par la police judiciaire du 8e arrondissement en date du 08 août 2024. Il a  été enlevé au sein dudit commissariat par des hommes armés et cagoulés, puis conduit à la direction générale de l'ANS selon la déclaration un journaliste présent au moment de cet incident. Selon le journaliste qui a requis l’anonymat, ’’Badour Oumar Ali a été enlevé par des hommes armés cagoulés venus avec un Hilux aux vitres teintées et non immatriculé au commissariat du 8e arrondissement. Il a été transféré à la Direction de l'ANS. Je les ai suivis à la direction générale de l'ANS’’.

Les enlèvements de ces voix critiques par les services de renseignement à bord des véhicules 4x4 teintées de noir pour des destinations inconnues avant de les ramener à leur siège est une pratique courante. Si la victime meurt sous les coups et blessures, il est rare que le corps soit restitué à ses parents et l’affaire passait parfois sous silence ou dans quelques journaux plusieurs jours après les méfaits. Toutefois, l’avènement des réseaux sociaux permet aux familles des victimes de se faire entendre immédiatement par le monde entier et de susciter une indignation collective dans les heures qui suivent.

II.            La libération des voix critiques suite à la pression des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont joué un rôle majeur dans la dénonciation des enlèvements des citoyens tchadiens. Connaissant le mode opératoire des services des renseignements tchadiens, les tchadiens n’hésitent plus à utiliser leurs téléphones pour photographier et filmer les enlèvements puis de les poster sur les réseaux sociaux.

La méthode d’enlèvement standard des services de renseignements sont bien connus de tous les tchadiens puisque les récits des enlèvements se ressemblent.

La méthode atypique est la suivante :

1.     Des individus en cagoules débarquent en trombe à bord des véhicules sans matricule teintées de noir ;

2.     Ils brandissent des armes à feu et tabassent la victime ainsi que toutes les personnes qui se trouvent à leurs côtés ;

3.     Procèdent à l’enlèvement de la personne ;

4.     Ils repartent comme ils sont arrivés sans donner des raisons de l’enlèvement ni  leur destination.

Les enlèvements se passent à n’importe quel moment jugé opportun par les services de renseignements.

Au menu :

1.     Des interrogations musclées ;

2.     La torture psychologique et physiologique à tous les niveaux[7] ;

3.     La signature d’un document d’aveux selon les circonstances.

Certaines victimes succombent suite à leur torture. Tandis que d’autres s’en sortent avec handicaps permanents. L’appareil judiciaire est souvent mis en marche pour écraser les victimes dont certains bénéficieront d’une grâce présidentielle. Ceux qui auront été reconnus innocents par la suite ne seront pas du tout indemnisées. D’ailleurs, il leur est impossible de penser à intenter une action en justice contre les touts puissants services de renseignements. En plus du manque de preuves, il y a le manque de confiance des victimes envers l’appareil judiciaire qui poussent les victimes à se résigner.

Face aux phénomène des enlèvements recrudescents, les populations ont jugé nécessaire de se faire entendre par l’opinion nationale et la communauté internationale par le biais des réseaux sociaux et blogs.

Une fois postés, les publications concernant les enlèvements sont partagées et commentées. Les voix s’élèvent, s’indignent, dénoncent, interpellent les autorités du Tchad et identifient les pages des partenaires et celles des chancelleries étrangères présentes sur le territoire nationale.

L’utilisation de cette méthode de pression a permis la libération rapide des l’Imam Ahmat, de l’Abbé Madou ou encore du journaliste Ali ainsi que d’autres personnes qui ne sont pas citées dans nos travaux.

Si la mobilisation des réseaux sociaux facilite la libération des citoyens, elle est loin d’arrêter le phénomène. Plusieurs mobilisations pour demander la justice à une victime des enlèvements d’obtenir la réparation du préjudice subi. Les enlèvements arbitraires se poursuivent encore de nos jours avec le même modus operandi.  

 
Par Joslain DJERIA, Juriste défenseur des droits humains
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