Pour les professeurs BONASSIES Pierre et SCAPEL Christian : « Les fonctions du connaissement se sont développées et précisées au fil des siècles au point que ce titre occupe, aujourd'hui, une place tout à fait original au sein du droit des transports. »
Le connaissement remplit deux fonctions probatoires, une fonction représentative et une fonction de négociabilité pour certaines formes : il prouve la réception des marchandises par le transporteur et leur état au moment de la remise ; il prouve l’existence du contrat de transport.
Paragraphe 1 : La fonction de preuve de la réception de la marchandise et de l’état de cette dernière
C’est ici sa mission originelle, le connaissement établit la preuve que le capitaine a reçu les marchandises qu’il décrit.
L’ordonnance de la Marine de 1681, définit le connaissement comme un reçu des marchandises par le capitaine.
Sous cet aspect, la pratique du connaissement semble s’être généralisée au 15ème siècle. Au 16ème siècle, les connaissements se font plus précis, indiquant en particulier que le capitaine ne s’engage à délivrer la marchandise dont il donne reçu que sous réserves des périls de la mer, ajoutant, par exemple dans un connaissement français, la formule « selon les us et coutumes de la mer », d’après le professeur BONASSIES Pierre. Depuis, la valeur attribuée au connaissement dans sa fonction de reçu des marchandises s’est constamment renforcée avec le temps.
Aujourd’hui, en tant que preuve du reçu des marchandises, le connaissement vaut présomption que le transporteur a reçu la cargaison d’une part et d’autre part, que cette cargaison était conforme aux énonciations du connaissement. Cette présomption ne souffre de preuve contraire qu’entre le chargeur et le transporteur, c’est une présomption simple ; elle est irréfragable vis-à-vis du tiers porteur de bonne foi. Ce principe n’apparaissait pas dans le texte de 1924 de la convention de Bruxelles car à cette époque, la pratique et les juridictions admettaient encore le principe contraire. Mais l’évolution des pratiques et le développement du crédit documentaire notamment ont conduit l’adoption des règles de Visby qui modifient le paragraphe 4 de l’article 3. En droit Français, le principe a été admis par le législateur définitivement lors de l’adoption de la loi du 23 Décembre 1986 modifiant l’article 18 de la loi de 1966. Le principe est énoncé dans les règles de Hambourg à l’article 16/3.
Pour ce qui concerne les mentions relatives à la cargaison, la convention de Bruxelles et les règles de Hambourg contiennent les mêmes dispositions. En pratique, le transporteur délivre un connaissement vierge au chargeur qui le remplit. Ensuite, le transporteur le signe en émettant des réserves le cas échéant et le rend au chargeur qui peut le mettre en circulation.
Paragraphe 2 : La fonction de preuve du contrat de transport
Ce n’est qu’au 19ème siècle que la fonction de preuve du contrat de transport a été reconnue au connaissement. Cette fonction, cependant, apparaissait en filigrane dans les connaissements anciens mais la justice ne s’était pas définitivement prononcée. En fait, l’avènement de cette fonction du connaissement trouve son origine dans la mutation de l’économie des transports maritimes qui s’est produite au 19ème siècle : à cette époque apparaissent les premières lignes régulières dont l’organisation est peu compatible avec la charte partie. A partir de ce moment, le connaissement va s’enrichir : on y inscrira des clauses de plus en plus nombreuses, de manière à pallier l’absence de charte-partie. Avec le développement des lignes régulières et du transport sous connaissement, le document va devenir la formule imprimée, à en tête de la compagnie, comprenant les clauses du contrat de transport à son verso.
C’est cette fonction, en réponse aux excès auxquels elle a permis aux transporteurs de se livrer, qui est à l’origine d’abord de l’Harter Act de 1883 et ensuite de la convention de Bruxelles de 1924 « pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement ».
Le connaissement actuel est le document contractuel fondamental en matière de contrat de transport. Il marque la différence avec le contrat d’affrètement dont le document contractuel caractéristique est la charte-partie, dans les rapports entre le fréteur et l’affréteur. Le connaissement est émis en exécution d’un contrat d’affrètement et transmis à un tiers porteur de bonne foi, il opère une mutation des obligations du transporteur : ce dernier a conclu un contrat d’affrètement avec le chargeur et est lié par un contrat de transport soumis aux règles des conventions internationales dans ses rapports avec le porteur du connaissement. Lorsque la marchandise transportée n’occupe qu’un espace sur un navire, il n’y a pas d’affrètement et donc pas de charte-partie et le connaissement régit les rapports entre le chargeur et le transporteur, d’une part et entre le transporteur et le destinataire, d’autre part. Monsieur René RODIERE explique : « les contrats de transports sont verbaux. Mais la rédaction du connaissement prouve au moins le commencement d’exécution que représente la prise en charge par le transporteur de la marchandise décrite au titre qu’il délivre. Si le titre comporte des mentions qui peuvent passer pour des clauses du contrat, il vaudra preuve que ces clauses font la loi des parties ».
Les clauses de ce contrat peuvent être divisées en deux types : celles figurant au recto du connaissement, qui concernent les particularités du transport effectué (paiement du fret, chargement en cale, en pontée, température de conservation des marchandises, désignation du navire, du port de départ, du port d’arrivée, et toutes les variations possibles), et celles portées au verso, les conditions générales, imposées par le transporteur la plupart du temps, et dont la validité est parfois douteuse.
Paragraphe 3 : La fonction de représentativité de la marchandise
Sur le plan historique, cette fonction s'est affirmée dès 1787 en droit anglais, dans l'arrêt Lickbarrow v. Mason. En droit français, la cour de cassation posait le principe en 1859 que : « la propriété des marchandises voyageant par mer est représentée par le connaissement ». La cour ajoutant que : « le connaissement, ainsi que les marchandises dont il est la représentation, se transmet par la voie de l'endossement ». En conséquence, le connaissement et la marchandise ne font qu'un. C'est l'incorporation du droit au titre, ce qui apporte une sécurité plus que considérable aux opérations du crédit documentaire.
En plus de certifier que les marchandises ont bien été prises en charge par le transporteur, le connaissement représente les dites marchandises. C’est là sa caractéristique essentielle. Cette fonction a été reconnue au terme d’une longue évolution que certains font remonter au 17ème siècle. Des jugements hollandais datant de cette époque ont été retrouvés, considérant que la détention du connaissement équivaut à la possession de la marchandise. Mais, c’est au 18ème siècle que la pratique anglaise a répandu cet usage, d’ailleurs reconnu en 1787 par les cours britanniques (arrêt lickbarrow v. Mason 1787). En France, la question a fait débat et il a fallu attendre la décision du 17 Août 1859 pour que la chambre civile de la cour de cassation pose le principe que « le connaissement, ainsi que les marchandises dont il est la représentation, se transmet par la voie de l’endossement ». Cependant, cette caractéristique est demeurée longtemps incertaine. Ainsi, la convention de Bruxelles ne soulève pas le problème et le fondement de cette fonction, ce qui a donné lieu à un important débat.
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui l’existence de cette fonction ne fait plus aucun doute. D’ailleurs comme nous venons de le rappeler, la législation marocaine affirme franchement le caractère négociable du connaissement. Cette fonction est certainement celle qui fait toute l’originalité et la complexité du connaissement.
Une obligation du transporteur est de livrer la marchandise. Une autre est de livrer la marchandise à la bonne personne. Lorsqu’un connaissement est émis, le transporteur doit livrer la marchandise à la personne dont le nom est indiqué au connaissement (connaissement « à personne dénommée » ou « nominatif ») ou au dernier endossataire (connaissement « à ordre ») ou au porteur (connaissement « au porteur »). Le transporteur reçoit donc la marchandise animo alieni. L’élément corporel et l’élément psychologique de la possession sont ici dissociés : le corpus se trouve entre les mains du transporteur tandis que l’animus est transmis au destinataire, symbolisé par le connaissement.
Le destinataire doit présenter le connaissement au transporteur pour prendre livraison de la marchandise. Cette obligation est indépendante des relations entre le porteur du connaissement et le chargeur, sauf la mauvaise foi du porteur. Ainsi, si le chargeur transfère le droit de propriété sur les marchandises par contrat de vente à A, mais remet le connaissement à B, seul B pourra réclamer la délivrance de la marchandise au transporteur, même si A démontre la propriété de la marchandise. Ce principe est exprimé par l’article 49 du décret français du 31 Décembre 1966 dont l’objet est de régler le conflit qui pourrait survenir dans le cas où deux ou plusieurs personnes se présentaient pour prendre livraison de la marchandise.
Paragraphe 4 : La fonction de négociabilité du connaissement
Cette obligation citée dans le paragraphe précédent est donc à l’origine de la négociabilité du connaissement. Le transfert du droit exclusif à la délivrance des marchandises a été confondu avec la possession des marchandises et la délivrance des marchandises flottantes avec la délivrance du connaissement.
En France, le Doyen René RODIERE écrit : « livrer le connaissement, c’est livrer la chose ». Tous les autres droits attachés à la possession du connaissement dérivent de ce droit exclusif à la délivrance de la marchandise : droit de disposition, droit de garantie, droit d’agir en réparation, droit d’indemnisation. Tous ces droits tendent à la réalisation du droit du destinataire à prendre livraison de la marchandise en bon état (ou conforme aux mentions du connaissement).
Il convient à ce stade de préciser la nature juridique du connaissement dans le passé. En droit Français comme en droit Anglais, le connaissement n’était pas un titre de propriété. Le porteur n’était pas forcément propriétaire de la marchandise dont il est en possession, symboliquement, du fait du connaissement, ou réellement à la suite de la réalisation du connaissement. Le transfert de propriété de la marchandise est consécutif aux dispositions du contrat de vente. Le connaissement représentait un droit de créance, c’est un « document of title » en droit Anglais. Il symbolise les droits que le porteur a contre le transporteur. L’acheteur pourra être propriétaire des marchandises sans qu’il y ait tradition du connaissement mais dans ce cas, n’en aura que la possession fictive pendant le voyage, et n’en aura la possession réelle au débarquement que lorsque celui qui aura le droit de prendre livraison la lui aura remise. C’est pour éviter toute incertitude que l’acquéreur qui veut avoir la propriété et la possession du bien flottant nouvellement acquis doit être mis en possession du connaissement. Ce lien entre la possession du document et la possession des marchandises est la caractéristique essentielle du connaissement. Elle lui confère un rôle clef en matière de ventes internationales et de crédit documentaire.
Originellement, la possession du connaissement ouvre droit à son porteur de réclamer la livraison des marchandises au transporteur. Le droit à la réception des marchandises à l’arrivée pose celui de la place du destinataire dans le contrat de transport. Une question logique nous vient à l’esprit : comment se fait-il que le transporteur doive délivrer la marchandise à une personne avec laquelle il n’a pas de relation contractuelle ?. Fondamentalement, le destinataire non chargeur est un tiers au contrat de transport. Selon le Professeur TASSEL, trois réponses sont possibles : l’existence d’une stipulation pour autrui, la qualité de cessionnaire d’une créance ou la nature particulière du connaissement. Le Doyen RODIERE défend la thèse selon laquelle le contrat de transport est un contrat tripartite auquel le destinataire donne son consentement au moment où il accepte de prendre livraison de la marchandise. Quel est le rôle, dans cette hypothèse, du connaissement ? Il a pour rôle de soumettre les rapports transporteur destinataire à la convention applicable d’une part, et de prouver que celui qui se présente est bien celui qui a le droit de prendre livraison, d’autre part.
Le droit à l’action en réparation et à indemnisation reconnu au destinataire pourrait être la conséquence logique de cette thèse. En effet, du fait de l’acceptation du destinataire, le transporteur a des droits et des obligations envers ce dernier.
Mais en France, le droit d’agir sur le fondement du contrat de transport n’a été reconnu qu’au porteur du connaissement, puis à la suite de l’arrêt Mercandia Transporter 2, au chargeur à la condition qu’il soit le seul à subir un préjudice (Chambre commerciale de la cour de cassation, 22 Décembre 1989). En droit Marocain, c’est ce qui a été également décidé par un jugement du TPI de Casablanca en date du 19 Février 1957 affirmant que le destinataire réel qui ne figure pas au connaissement et qui ne l’a pas présenté, est sans droit, d’une part de bénéficier de la livraison et d’autre part, d’agir en responsabilité contre le transporteur maritime à moins qu’il ne rapporte la preuve qu’il est le seul a avoir subi les dommages. Ce n’est donc pas en raison de sa qualité de partie au contrat de transport que le destinataire a le droit d’agir mais uniquement en sa qualité de porteur du connaissement.
Le droit Français de l’action en réparation se déduit donc de deux institutions : le connaissement d’une part, la qualité de seule victime du dommage (pour le chargeur) d’autre part.
Cette solution est liée au droit de recevoir la marchandise que donne la possession du connaissement. Le lien est certainement logique entre le droit exclusif de recevoir la marchandise et le droit d’agir, mais il peut également être considéré que ce droit du destinataire pourrait être fondé sur sa qualité de partie au contrat et non sur la possession du document. La jurisprudence Française n’a cependant pas retenu cet argument, enrichissant ainsi la valeur et le rôle du connaissement.
En droit Anglais, la solution est la suivante : l’endossement du connaissement à ordre opère transfert du droit à la marchandise et des actions que le chargeur avait à l’origine contre le transporteur en vertu du contrat de transport. Le porteur du connaissement peut donc agir contre le transporteur sur le fondement du contrat de transport. Le chargeur n’a plus ce droit mais il peut agir sur le fondement de la charte-partie.
Le transfert du connaissement, en droit Français comme en droit Anglais et Américain opère aussi transfert du droit de disposition. Seul le porteur du connaissement, lorsqu’il en a été émis un, peut donner des contre ordres au transporteur, c’est à dire modifier l’itinéraire, le port de déchargement, la personne du destinataire. Le Pomerence act, 1916, sect. 10, (a) énonce que « les instructions au transporteur ne peuvent être modifiées que part ou pour le compte de la personne propriétaire des marchandises ou en ayant la possession. La possession de la marchandise étant symbolisée par la possession du connaissement.
La prise de possession de la marchandise par l’endossataire du connaissement a pour conséquence (ou pour origine) que le connaissement permet de gager la marchandise flottante. Cette faculté offerte aux commerçants est exprimée dans l’article 92 du code de commerce Français : « le créancier est réputé avoir les marchandises en sa possession… si avant qu’elles soient arrivées, il en est saisi par un connaissement ou une lettre de voiture maritime ».
Le régime juridique si particulier du connaissement est né des besoins de la pratique : représentation de la marchandise pour pouvoir la donner en gage ou la vendre pendant qu’elle est flottante ; ici nous apparaît manifestement l’importance de ce document détenu par les banques dans une opération de crédit documentaire. La sécurité des ces opérations étant assurée par le caractère irréfragable des mentions portées au connaissement, vis-à-vis du tiers porteur de bonne foi (la banque). En effet, tant que le connaissement n’était qu’un reçu des marchandises, faisant éventuellement preuve de l’existence du contrat de transport, il n’avait pas besoin d’être négociable, mais étant devenu représentatif de la marchandise, ce caractère de représentation s’est incorporé au document en lui conférant ainsi le caractère négociable.
Docteur Karim Adyel