Karim Adyel nous parle du Droit du Sport
Avocat à la Cour, Docteur d'Etat Français en droit, Master 2 professionnel Droit du sport, conseiller juridique de l'Association Marocaine des Footballeurs Marocains ( AMF ), soit, une carte visite bien garnie
Q : Le Droit du Sport est-il une branche juridique nouvelle ?
K.A : L'apparition du sport dans les prétoires est un phénomène récent, qui a souvent été interprété, dans l'esprit du grand public, comme ayant marqué l'avènement du Droit du Sport. Or, c'est inexact. Le droit côtoie en réalité le sport depuis très longtemps, ayant été notamment saisi par le droit des contrats, sinon dès l'origine, du moins dès que le sport fut doté d'un minimum d'organisation.
Aujourd'hui, c'est l'ensemble du droit qui est régulièrement sollicité et cela pour des raisons évidentes. Le nombre important de pratiquants et d'adhérents à des associations sportives contribue à élever le phénomène sportif au rôle d'une composante importante de la vie sociale et culturelle ; sans oublier le développement de la commercialisation des spectacles et de la professionnalisation des athlètes qui confèrent au sport la dimension d'un secteur économique et financier de tout premier ordre, d'où l'application de toutes les branches du droit dans leur grande diversité : le droit de la responsabilité civile et pénale, qui trouve un terrain d'élection privilégié avec les conflits nés de la pratique des sports à risque ; le droit des groupements, avec les associations et les sociétés commerciales sportives ; le droit social, impliqué par le développement du professionnalisme ; le droit commercial, lié à la commercialisation des droits d'exploitation du spectacle sportif ; le droit administratif, imposé par l'existence d'un service public du sport et même le droit constitutionnel.
Q : Pouvez-vous affirmer qu'il existe une spécificité du Droit du Sport ?
K.A : Il est évident de constater aujourd'hui que l'interconnexion du droit et du sport ont donné lieu dans les pays occidentaux et notamment en France à une jurisprudence abondante, que ce soit des décisions judiciaires administratives ou de droit commun sans oublier les sentences arbitrales du Tribunal Arbitral du Sport (TAS communément appelé CAS (Court of Arbitration for Sport)). En matière législative sportive, nous parlons de lex sportiva. Cette expression est difficile d'approche. Comme le commerce, le sport ignore les frontières est revendique une justice et un droit qui soient adaptés à cette réalité et débarrassés des sujétions des souverainetés nationales. La lex sportiva a été façonnée et mise en avant dans le monde du sport pour satisfaire les mêmes intérêts.
La lex sportiva peut être définie comme une collection de règles d'origine variable rassemblées sur le seul fondement de leur adéquation aux besoins du sport national et international et comme une méthode de sélection de règles à régir le sport national et international, utilisée par les tribunaux étatiques et arbitraux à l'échelon national et international.
Q : Qu'en est-il du Droit du Sport au Maroc ?
K.A : Situons tout d'abord son cadre législatif et règlementaire.
S'inspirant du moins du Code du Sport Français de 2006, le Maroc s'est doté en 2010 d'une nouvelle loi relative à l'éducation physique et au sport dite loi N°30-09 promulguée par le dahir N°1-10-150 du 24 Août 2010 ainsi que d'un décret d'application ministériel et dernièrement d'un arrêté du Ministre de la Jeunesse et des Sports en date du 18 Mars 2013 édictant les statuts-types des fédérations sportives. Il est également à souligner qu'un projet de loi relatif à la lutte contre le dopage dans la pratique sportive est en cours d'examen (projet de loi N°51-08). Enfin, un projet de loi devant complété le Code pénal, relatif à la lutte contre la violence lors ou à l'occasion des compétions ou des manifestations sportives est également en cours d'examen (loi N°09-09).
Q : Quelles sont les particularités de la loi 30-09 ?
S'agissant de la loi 30-09, abrogeant la loi 06-87, elle appelle à plusieurs remarques. A l'instar du modèle Français, elle a été établie dans une structure pyramidale avec l'état à son sommet. Ce dernier dispose de nombreux moyens de contrôle des acteurs du sport Marocain. Il est représenté au sein du Comité National Olympique comme au Comité Directeur des Fédérations. Les statuts des Fédérations doivent lui être notifiés, les statuts des ligues professionnelles et des sociétés sportives sont soumis à son approbation. Il peut, sous certaines conditions demander la dissolution judiciaire l'organe directeur fédéral (ce qui n'est pas sans poser une problématique juridique comme nous allons le voir quant à la nomination d'un comité provisoire, article 31) et prendre toutes mesures utiles dans l'intérêt de la discipline sportive concernée.
Les étages inférieurs de la pyramide sont occupés par le Comité Olympique, les Fédérations et les Clubs. Le CNOM, doté de la personnalité morale, est reconnu d'utilité publique. Les Fédérations sportives (délégataires) participent à l'exécution d'une mission de service public.
Une seule fédération peut être habilitée (agréée) par discipline sportive. Elle dispose alors d'un monopole pour l'organisation des compétitions délivrant un titre national ou régional. Alors que la création d'une ligue professionnelle n'est, en droit Français qu'une faculté, elle serait, en droit Marocain, obligatoire dès lors que certains seuil fixés par la loi sont dépassés. L'organisation, la gestion et la coordination ainsi que le droit d'exploitation commerciale de compétitions et manifestations sportives à caractère professionnel sont alors délégués à la ligue dans le cadre d'une convention d'une durée maximale de 10 ans.
Les clubs sont constitués sous la forme d'associations, dont les statuts doivent être approuvés par l'administration. Les associations doivent créer une société, et en demeurer associé, dès lors que l'un de leurs sections sportives dépasse des seuils de recettes ou de rémunérations fixées par voie réglementaire. La loi prévoit un troisième critère alternatif : une proportion de plus de 30% de sportifs professionnels parmi les licenciés séniors. La société prend alors la forme d'une société anonyme, dont le capital est composé obligatoirement d'actions nominatives et dont le tiers au moins des actions et des droits de vote doivent être détenus par l'association sportive.
La loi n'autorise la création que d'une seule société sportive par association. Par conséquent, si une autre section répond aux critères de constitution obligatoire d'une société, la gestion des activités sportives professionnelles de cette autre section sera confiée à la société qui a déjà été constituée. Lorsque l'association sportive est composée pour moitié de sections sportives gérées par la société sportive qu'elle a créée, elle doit confier à cette dernière la gestion de l'ensemble de ses sections.
Les relations entre l'association sportive et la société sportive qu'elle a créée sont définies par une convention approuvée par l'administration. Cette convention rappelle celle qui lie les associations et sociétés sportives françaises, si ce n'est que sa durée est beaucoup plus longue, puisqu'elle peut être conclue pour une période de 10 ans.
L'actionnariat de plusieurs sociétés sportives relevant de la même discipline est prohibé, à l'image du droit Français antérieur à la réforme de la loi du 15 Décembre 2004. La sanction est dissuasive puisque le contrevenant s'expose à une amende et à une peine d'emprisonnement de six mois à deux ans. On notera aussi qu'il est interdit au médecin ayant conclu une convention avec le club d'être actionnaire de la société sportive.
L'accès à un centre de formation agréé est soumis à la conclusion d'une convention de formation conforme à une convention type définie par voie réglementaire. On retrouve ici le double projet de formation, sportive et académique, socle de la formation des sportifs en France et défendue au niveau communautaire : les centres de formation ont l'obligation d'assurer aux jeunes sportifs un enseignement scolaire général ou un enseignement professionnel.
Les sportifs professionnels sont liés aux clubs qui les emploient par un « contrat sportif » conforme à un contrat-type édicté par l'administration, eu égard aux spécificités de chaque discipline sportive. Le contrat sportif est un contrat à durée déterminée établi pour une durée maximale de 5 ans. La résiliation anticipée du contrat n'est possible que d'un commun accord ou selon les motifs prévus par la fédération internationale concernée.
Les clubs et les sportifs professionnels peuvent avoir recours aux services d'un agent sportif, titulaire d'un agrément délivré dans les conditions prévues aux règlements généraux de la fédération sportive concernée. L'agent sportif ne peut être rémunéré que par son contractant, sauf accord contraire exprimé par l'ensemble des parties dans le contrat relatif à la même transaction. La loi précise que le montant de la rémunération de l'agent sportif ne peut excéder 10% de la rémunération fixe hors primes variables perçue, par la partie dont il est le mandataire, dans le cadre du contrat conclu par les parties.
Question 5 : Quelles sont vos remarques relatives à cette loi et à la nouvelle règlementation sportive au Maroc ?
Permettez-moi d'abord d'apporter une observation générale.
Cette loi est quasiment empruntée au modèle Français. Il n'y a pratiquement aucune harmonisation avec les autres branches du droit qui viennent normalement s'appliquer au domaine sportif. Plusieurs absences et contradictions sont à relever.
Notons tout d'abord que s'agissant du statut de l'agent sportif, le 60ème congrès de la FIFA a approuvé le 11 Juin 2014 plusieurs amendements au statut de la FIFA et au règlement d'application des statuts de la FIFA nécessaires pour la mise en œuvre du nouveau règlement sur la collaboration avec les intermédiaires qui remplacera prochainement l'actuel règlement des agents de joueur de la FIFA, ce qui constitue une vraie révolution dans ce milieu.
Le nouveau règlement ne régit plus l'accès à l'activité mais fournit un cadre général pour un meilleur contrôle de l'activité en elle-même en introduisant des exigences et standards minimaux ainsi qu'un système d'enregistrement des intermédiaires qui représentent les joueurs et/ou les clubs dans le cadre de la conclusion de contrats de travail et d'accords de transfert. En conséquence, les dispositions de la loi 30-09 relatives au statut d'agent sportif devront être modifiées après l'entrée en vigueur du nouveau règlement.
Par ailleurs et s'agissant du droit du travail, nous rappelons que le code du travail Marocain est d'ordre public. Dans ce sens, l'article 16 qui prévoit que le contrat est à durée déterminée (CDD), dans le cas où le travail à un caractère saisonnier, ce qui est le cas des footballeurs professionnels et autres sportifs professionnels de sport collectif et l'article 17 qui précise que le contrat est conclu pour une durée maximum d'une année et renouvelable une seule fois, la loi 30-09 prévoit une durée maximale de 5 ans. Il y a lieu de clarifier le point juridique relatif à la résiliation en cas de transfert en cours de saison sportive en tenant compte de la règlementation internationale en la matière.
Nous avons également relevé des incohérences quant à la force probante de la loi 30-09 puisqu'il faut s'assurer, en application de l'article 115, de la promulgation de tous les textes d'application par voie règlementaire pour que cette loi puisse avoir plein et entier effet. Par ailleurs, rappelons que l'Etat est responsable du développement du mouvement sportif et en assume l'encadrement et le contrôle et par voie de conséquence c'est le Ministère de la Jeunesse et des Sports qui délègue aux Fédérations sportives la participation à l'exécution d'une mission de service public. Pour ce faire, il faut que la fédération sportive soit dûment habilitée (Publication au bulletin officiel par arrêté ministériel) et pour qu'elle soit habilitée, il faut que ses statuts soient conformes aux statuts types des fédérations sportives et homologués par le ministère de tutelle.
A ce stade, on relève un imbroglio de terminologie juridique et plus exactement une confusion entre la délégation, l'habilitation et l'agrément.
Rappelons qu'une fédération délégataire ne peut que participer à la mission de service public tandis que la fédération agréée dispose, dans les conditions légales d'une prérogative de puissance publique. L'habilitation doit être strictement définie en précisant qu'en droit du sport français on fait clairement la distinction entre la fédération délégataire et la fédération agréée. Dans le cadre du droit du sport marocain au vu de la loi, des décrets, et de l'arrêté d'application, il y a un flou juridique quant à l'emploi de telle ou telle terminologie juridique.
Il est également à relever que contrairement au code du sport Français, il n'y a aucune procédure de conciliation préalable obligatoire dans le cadre de la loi 30-09 alors qu'elle se tient obligatoirement devant le CNOSF (Comité National Olympique Sportif Français). Il est à préciser que la chambre arbitrale du sport, telle que prévue par le décret d'application ne peut être saisie qu'après l'échec de la procédure de conciliation, ce qui est inexistant dans la loi 30-09.
Aussi et concernant les organes disciplinaires on les qualifie d'organes juridictionnels ce qui n'est absolument pas le cas car la justice fédérale n'est pas une justice étatique mais disciplinaire (il n'y a pas de contrainte par corps ni de peine privative de liberté). Le pouvoir juridictionnel donc judiciaire appartient aux tribunaux.
Un point juridique doit être décanté. L'article 31 de la loi 30-09 précise que le ministère de la jeunesse et des sports désigne un comité provisoire en cas d'assignation en justice. Cette décision provisoire ne peut être prononcée que par voie de justice (référé). Ce point de l'article 31 est en contradiction avec l'article 12 de la constitution du Maroc : « Les associations de la société civile et les organisations non gouvernementales se constituent et exercent leurs activités en toute liberté, dans le respect de la constitution et de la loi. Elles ne peuvent être dissoutes ou suspendues par les pouvoirs publics, qu'en vertu d'une décision de justice (...) ».
Les fédérations sportives étant des associations de droit privé (Dahir 1958), le Ministère de la jeunesse et des sports est dans l'obligation de recourir à la justice. Le Ministère n'est pas juge étatique, ajoutant à cela que l'article 27 de la loi 30-09 précise que l'assemblée générale de la fédération en est l'organe suprême. Le représentant du ministère a le droit d'assister à l'AG en tant qu'observateur et à siéger aux organes directeurs des fédérations sportives à titre consultatif. Il est à souligner que l'article 26 de ladite loi est à juste titre applicable en la matière. Sur le plan international, l'article 31 est en contradiction avec la « lex sportiva internationalis », qui prohibe l'ingérence des pouvoirs publics dans les associations sportives nationales en précisant la primauté du texte international sur le texte national, le Maroc ayant promulgué la Convention de Vienne de 1981 sur la primauté des conventions internationales sur le droit interne.
Il est également à relever qu'il n'existe pas de convention collective nationale du sport à l'instar de la France. La convention collective serait à même de rapprocher tous les acteurs sur les points juridico-sportifs importants et serait d'ordre impératif, ce qui contribuerait à harmoniser les rapports entre les parties dans le cadre du droit du travail pour les sportifs (Régime de retraite, mutuelle, complémentaire retraite ...).
Il est également à souligner qu'il n'existe pas au Maroc un règlement disciplinaire type à l'instar des statuts types. L'importance des statuts disciplinaires types homogènes est indispensable pour la bonne gouvernance des fédérations sportives.
Nous encourageons également l'élargissement et la conclusion d'accords sectoriels en matière sportive dans tous les domaines touchant directement ou indirectement le sport Marocain (anti racisme, violence ...).
D'un autre côté et malgré la création de la commission nationale de prévention et de lutte contre le dopage (CNPLD) le 23 Avril 2010, mettant en œuvre les recommandations de l'AMA (Agence Mondiale Anti dopage), il faudrait renforcer le cadre juridique en la matière et l'harmoniser avec le code de l'AMA lequel d'ailleurs a subi dernièrement plusieurs modifications. Dans ce sens, nous attendons toujours la promulgation de la loi relative à la lutte contre le dopage dans la pratique sportive N° 51-08 depuis 2009.
Aussi et en matière de lutte contre la violence dans les stades, nous attendons également la promulgation de la loi N° 09-09 complétant le Code pénal en la matière. Enfin et s'agissant des paris sportifs et vu la prolifération des trucages des matchs, nous préconisons la création d'un organisme indépendant de contrôle et de sanction en la matière à l'instar de l'ARJEL en France (Agence de Régulation des jeux et paris en ligne).
En définitive, il y a lieu de palier à ces incohérences et ces manquements afin de délimiter les droits et les obligations de chacune des parties et d'harmoniser le droit du sport Marocain avec les standards juridiques internationaux en matière sportive.
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