Dr Wagué Hamadi Gatta

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Peut-on appliquer la notion « des dettes odieuses » aux dettes contractées par les pays africains en général et la Mauritanie en particulier ?

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Peut-on appliquer la notion « des dettes odieuses »  aux dettes contractées par les pays africains en général et la Mauritanie en particulier ?

Les pays africains sont, depuis l’indépendance, pris en otage économique  à cause des dettes contactées, dont le remboursement est à l’image du tonneau des danaïdes. Chaque Etat africain impute une partie de son  budget annuel à rembourser les dettes contractées, au grand dam de la population, laquelle profite rarement des retombées desdites dettes. Bien au contraire, la population en pâtit.  Pire encore, les Etas créanciers, à travers les institutions sœurs de Bretton Woods, à savoir  la banque mondiale et le FMI, obligent les Etats débiteurs à suivre une certaine gestion de rigueur budgétaire pour pouvoir rembourser convenablement les dettes contractées, sans compter les intérêts  aux taux astronomiques. La conséquence de cette politique d’austérité  consiste à empêcher L’Etat de  faire face aux besoins de sa population. Chacun connait les conséquences des différentes politiques d’ajustements structurels  qui  avaient eu lieu dans les années 1990, et  dont les méfaits se font  toujours sentir.

Face à une telle situation, dont la population est généralement la principale victime, n’est-il pas intéressant de faire jouer la « doctrine des dettes odieuses » pour celles contractées, si elles ne bénéficient pas à la population ?  Chacun, en s’interrogeant,  sait très bien que rarement les dettes contactées ont amélioré le quotidien de la population concernée.

Pour comprendre cette doctrine, il faut  un peu remonter  dans l’histoire. En effet,  La paternité de cette doctrine est attribuée au juriste Alexandre Nahum Sack, ancien ministre de Nicolas II et professeur de droit à Paris qui, en 1927, avait émis cette hypothèse pour recadrer les  dettes.  La philosophie principale de cette doctrine est fondée sur trois conditions.

-          Une dette doit être annulée,  si elle a été contractée en l’absence de consentement de la population ;

-          Si elle ne bénéficie pas à la population ;

-          Et enfin  elle doit être contractée sur la connaissance des intentions de l’emprunteur.

   Au regard de ces trois conditions, est –il possible de qualifier les dettes contractées par les chefs d’Etas  africains souvent dictateurs, corrompus, comme des dettes légitimes ? A mon humble avis, la réponse est plus que négative. Il suffit  de jauger l’état social dans lequel vivent les populations des Etats africains (Mauritanie, Sénégal, Mali et Guinée pour ne citer que ces exemples) pour se rendre compte de l’inefficacité sociale de ces dettes. La plupart de dirigeants africains contractent en longueur de journées des dettes qui sont destinées à autre chose que d’améliorer le quotidien de leur  population. Les dettes contractées sont, soit destinées à l’enrichissement personnel, soit  à financer les guerres civiles,  ou soit à corrompre l’entourage pour  rester ad vitam aeternam au pouvoir. Une telle façon odieuse de gérer les dettes va à l’antipode de la thèse de Nahum Sack.  Et la plupart de pays africains s’inscrivent dans cette mouvance. L’exemple classique de la dette odieuse annulée, qui a fait jurisprudence, est celui de l’affaire Costa-Rica. En 1922, le gouvernement argentin dénonça tous les contrats signés entre le dictateur Tinoco (1917-1919) et les personnes privées parce que ces dettes ne profitaient pas  à la population. En Afrique, la palme revient, toutes proportions gardées, à l’ancien chef d’Etat Zaïrois Mobutu, qui avait contracté des dettes pour s’enrichir personnellement. Et les exemples sont légion (Tunisie et tant d’autres pays).

Depuis un certain moment,  la doctrine de la dette odieuse refait surface face à la persistance des dettes africaines. Certaines thèses récentes essaient de justifier l’annulation de la dette africaine par ce mécanisme. La société civile et certains organismes favorables à l’annulation pure et simple de la dette africaine ne ménagent aucun effort pour que « la doctrine des dettes odieuses » soit encouragée. En  2005, la France a annulé la dette odieuse du Rwanda. Le parlement nigérien a sommé en 2005 le gouvernement  Obasandjo  à « répudier » sa dette, jugée illégitime. En  Argentine, le député Mario  Cafeiro a introduit en 2004  un projet de loi  visant à faire reconnaitre la nature odieuse de la dette argentine. La notion de la « dette odieuse » continue à avoir le vent en poupe. La Norvège a décidé en 2005 de porter haut le flambeau de la dette odieuse, en renonçant aux créances illégitimes et douteuses, un exemple à saluer. Pour que cette doctrine ait un succès, il incombe aux Etats emprunteurs de faire assortir en amont de leurs prêts les trois conditions citées par Nahum Sack.

A la lumière de cette analyse que retenir du cas mauritanien ? Il est de notoriété publique que la Mauritanie, comme tous  les pays africains, est une grosse consommatrice des dettes.  Comme tout pays indépendant,  la Mauritanie peut prêter de l’argent pour faire fonctionner ses institutions publiques, et par voie d’extension, améliorer le quotidien  de mauritaniens. Est-ce que réellement les dettes contractées profitent à la population ?  Ou bien ces dettes sont destinées à d’autres fins ? Si  les dettes contractées par l’Etat Mauritanien étaient bien utilisées au profit de la population,  la Mauritanie serait-elle dans la situation actuelle : hausse des prix, baisse de pouvoirs d’achat et précarité sociale? N’est-il pas intéressant de faire un audit des dettes contractées pour savoir à qui profitent réellement ces dettes : la population ou l’entourage ?  Ne faut-il pas encore aller très loin, en gelant les comptes de ceux qui ne font que profiter de la manne de l’Etat ?

Autant de questions qui méritent de réponses  pour savoir là où vont les millions empruntés.  Pour freiner des pratiques pareilles ne faut-il pas créer une commission nationale indépendante, dont le rôle est de surveiller la destination de l’argent emprunté? La réponse à ces questions est plus qu’importante.

 

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