La mitigation à la francaise

Publié le Modifié le 20/05/2012 Vu 11 177 fois 0
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Les comparaisons entre le droit des contrats de Common Law et son homologue français présentent souvent un rapport de force en faveur du 1er cité. La notion de « mitigation », véritable pierre angulaire des sanctions de l’inexécution en droit des contrats anglo-américain ne semble pas avoir d’équivalent en droit français alors qu’elle est consacrée en Allemagne, en Suisse, pratiquée par les arbitres et occupe une place non négligeable dans les conventions internationales ou encore dans le droit uniforme international . Une fois de plus diront certains, la France fait donc office d’exception. L’arrêt rendu par la seconde chambre civile en date du 24 novembre 2011 représente une occasion opportune de traiter de cette notion de "mitigation" et peut être de voir que finalement, la position du droit français n’est pas si exceptionnelle que cela.

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La mitigation à la francaise

 

La « mitigation » dispose d’un devoir juridique de réduire le dommage subi. En clair, le créancier passif ne pourra pas demander le dédommagement pour les pertes qu’il aurait pu éviter d’une part, et les mesures qu’il a prises pour réduire le dommage seront prises en compte dans l’évaluation du montant du dédommagement d’autre part. Il s’agit d’un concept majeur de la Common Law dont l’origine est pour le moins ancienne, nous citerons l’arrêt Dunkirk Colliery Co v Lever (1878)[1]. On la retrouve dans le sale of goods Act anglais mais aussi dans le U.C.C américain[2].

En droit français, il n’existe pas de fondement législatif envisageant ce concept mais une jurisprudence massivement commentée. Ainsi en 2003, la Cour de cassation a dans deux arrêts pris une position qui mérite d’être claire et qui trancha certains débats qui préconisaient de donner au juge le pouvoir de restreindre l’indemnisation des dommages en fonction de l’attitude de la victime lorsque celle-ci n’a pas fait toute diligence pour réduire son préjudice[3]. Dans le premier de ces arrêts, la Cour de cassation cassa l’arrêt d’appel au motif que « la victime n’était pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». Dans la seconde affaire, le principe de réparation intégrale du dommage expliqua le raisonnement des juges qui affirmèrent « que l’auteur d’un accident doit réparer toutes les conséquences dommageables » et « que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable »[4]. Certains y verront le strict rejet d’un devoir juridique de minimiser le préjudice d’autant plus que le concept de « mitigation » s’applique aussi bien en matière délictuelle que contractuelle. Dans sa décision du 24 novembre 2011, la seconde chambre civile va statuer sur une affaire relevant cette fois-ci du champ contractuel et nous permet d’affirmer que le rejet ne concerne que le champ délictuel[5]. Dans cette espèce, la cour d’appel avait rejeté la demande d’un assuré d’une indemnisation du préjudice né de la privation de jouissance de son véhicule en raison du refus de l’assureur de continuer à le garantir. Les juges de la cour d’appel avaient énoncé que l’assuré n’établissait pas que la décision de l’assureur l’avait empêché d’utiliser sa voiture  en s’adressant à un autre assureur. La seconde chambre civile casse l’arrêt d’appel pour un défaut de base légale en ce que les juges n’ont pas caractérisé que la faute de l’assuré avait causé l’aggravation de son préjudice matériel. Autrement dit, il est possible de reprocher à l’assuré de na pas s’être rapproché d’un autre assureur dès lors que l’on caractérise la faute et l’aggravation du dommage qui en résulte. On remarquera donc que la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle sont soumises à des régimes différents concernant l’existence d’une sanction de l’aggravation du dommage subi. Malheureusement, les juges se sont limités à l’aggravation et n’ont pas affirmé un devoir  juridique de  réduction du dommage.

 

Le visa de l’article 1147 nous permet de situer cette « mitigation à la français » sur le terrain de la causalité et non de la bonne foi. On plonge alors à notre tour dans les débats qui animent actuellement la doctrine anglo-américaine et les tenants de « Law and Economics »[6] : Pourquoi maintenir la mitigation à la charge du seul créancier ? Le débiteur n’est-il pas lui-même à même de limiter les dommages qui lui sont, au départ, imputables ? Le travail opéré par le juge dans cet arrêt mérite un complément législatif afin de clarifier cette question ainsi que celle de la nature et de l’étendue des diligences demandées à la victime. Il n’en demeure pas moins que le juge dispose des moyens de sanctionner l’attentisme du créancier via l’article 1147 que venons d’envisager ainsi que l’article 1151 selon lequel « même en cas de dol commis par le débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre, à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et des gains dont il a été privé, que ce qui est la suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention ».

 

Espérons que le juge s’en souvienne et utilise ce fondement pour établir une jurisprudence claire et certaine. Soyons optimiste d’autant plus que l’article 77 de la Convention de Vienne dispose d’une obligation de minimiser le dommage qui s’appliquera donc devant le juge français pour les litiges relatifs aux contrats de vente internationale.

 

L’état du droit français est pour le moins satisfaisant. Il ne s’agit certes pas d’une copie conforme de la mitigation anglaise mais le juge dispose des outils pour sanctionner l’attentisme ou les incuries aux conséquences préjudiciables de la part du créancier. Il n’y a donc pas de réelle exception française mais peut-être une spécificité liée aux institutions même du droit des contrats français. On pourra citer la principe de réparation intégrale du dommage ou encore le principe de force obligatoire du contrat qui n’offre pas un cadre accueillant pour la notion de « mitigation à l’anglaise ». Le principe de réparation intégrale du dommage expliquera pourquoi le juge se place à la date du jugement pour évaluer le montant du préjudice tandis que le juge anglo-américain se placera à la date de non-exécution de l’obligation. La force obligatoire justifiera elle la réparation en nature qui n’est pas propice à la mitigation alors que le droit anglo-américain ne verra que  comme exceptionnelle la réparation en nature. L’influence sera donc limitée, n’en déplaise aux partisans du droit des contrats de Common law.

 

 

 



[1] V.  Lord James L.J. in Dunkirk Colliery Co. v. Lever, 1878, 9 Ch. D. 20, at p. 25

 

[2] Sales of goods Act 1979,article 50 et 51 et U.C.C 2-706(1).

 

[3] Cass. 2e civ., 19 juin 2003 ; Lallemand Xhauflaire c/ Decrept et Cass. 2e civ., 19 juin 2003 ; Dibaoui c/ Flamand

 

[4] Geneviève VINEY ; Responsabilité civile, La Semaine Juridique Edition Générale n° 1, 7 Janvier 2004, I 101

 

[5] Huges Adida-Canac ; « Mitigation of damage » : une porte entrouverte ?; R.Dalloz n°2/7495 page 141

[6]V. sur ce point le case-book sur « Law and Economics » de Barnes & Stout, West, 1992, p.230et s.

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Ce blog est dédié à l'actualité juridique en Droit Comparé. Il est tenu par les étudiants du Master 2 droit comparé appliqué de l'Université d'Aix-Marseille.

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