La proposition de loi pour "faciliter le maintien et la création d'emplois" adoptée par l'Assemblée nationale le 9 juin 2009 est toujours sur le bureau de la commission sociale du Sénat avant examen par notre docte assemblée.
Pour la sauvegarde des droits des salariés il faudrait mieux qu'elle y reste !
En effet l'article 6 de la loi qui modifie les dispositions actuelles du code du travail concernant le prêt de main-d'oeuvre risque d'avoir des conséquences préjudiciables pour les salariés.
Ce texte élargit la flexibilité au nom de la flexisécurité sans prévoir les garanties nécessaires pour les salariés.
Il banalise le prêt de main-d'oeuvre par " un véritable détricotage" du code du travail qui fait du salarié une marchandise que les entreprises peuvent se prêter comme bon leur semble .......
- Examinons rapidement la proposition de loi .
Nous pouvons lire dans l'exposé des motifs de cette proposition : " celle-ci s'inscrit dans une sorte de « double cadre » :
– la crise mondiale et ses effets sur la structuration de nos activités et emplois ;
– la nécessité, crise ou pas, d’accroître la mobilité professionnelle en préservant les droits
Les baisses d’activité contraignent de nombreuses entreprises à mettre en œuvre des procédures de chômage partiel ou plus grave encore des plans de licenciements. ....
Pour éviter ce scénario catastrophe « perdant-perdant », des entreprises cherchent à trouver d’autres solutions qui permettent de préserver le lien d’emploi tout en allégeant leurs charges fixes. La solution s’appelle la mise à disposition de personnel ou détachement.
Les huit députés coauteurs de cette proposition de loi ont construit leur texte autour de cinq thèmes dont les trois principaux visent à - assouplir le dispositif relatif aux groupements d’employeurs - faciliter le prêt de main d'oeuvre - Définir les contours du télétravail.
L'Assemblée nationale a adopté le 9 juin 2009 en première lecture la proposition de loi qu'elle a modifiée.
- permet à un salarié à temps partiel d'accroître temporairement sa durée de travail (éventuellement à hauteur d'un temps complet) avec l'accord de l'employeur, par avenant à son contrat de travail ;
- accorde aux stagiaires une gratification obligatoire dès deux mois de stage consécutifs (au lieu de trois actuellement) ;
- assouplit les règles applicables aux groupements d'employeurs.
- encadre le télétravail et facilite le prêt de main-d'œuvre à but non lucratif ;
La proposition ainsi adoptée a été transmise au sénat.
- Regardons de plus près les modifications apportées par l'article 6 du projet
Le prêt de main-d’œuvre c'est la mise à la disposition d’une entreprise de personnel dont la gestion relève d’une autre entreprise.
Certains parlent de prêt de main-d’œuvre, d’autres de mise à disposition d'autres encore de détachement, de transfert de salariés etc..
Selon l'article L. 8241-1 du code du travail, « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre est interdite ».
L’infraction est constituée même si la fourniture de main-d’œuvre n’entraîne pas de préjudice pour celui-ci ; dès lors que l’objet exclusif de l’opération est la fourniture de main-d’œuvre.
Font exception– le travail temporaire,– le portage salarial, – le travail à temps partagé, dispositif issu de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 – les agences de mannequins, les associations ou sociétés sportives ainsi que les mises à disposition de salariés auprès d’organisations syndicales ou d’associations d’employeurs – le recours aux contrats de prestations de service ou de sous-traitance.
Aux termes de l’article L. 8241-2 du code du travail, « les opérations de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif sont autorisées.
Hormis des cas très spécifiques ( groupements d'employeur, associations intermédiaires, associations de services à la personne ) le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif n'est pas réglementé . Quelques arrêts de la cour de Cassation en ont défini un contour assez flou.
Dans la pratique les entreprises établissent en général des conventions qui définissent les motifs de la mise à disposition, sa durée , qui va payer les salaires , les conditions de retour du salarié dans l'entreprise d'origine etc..
D'un coté nous avons des opérations dont l'objet exclusif est de prêter du personnel qui sont interdites dès lors que ces mises à disposition sont faites dans un but lucratif et de l'autre ces mêmes opérations qui sont licites lorsqu'elles sont faite à titre non lucratif.
Les tribunaux au fil des années ont défini la frontière entre ce qui est lucratif et ce qui ne l'est pas . Mais force est de constater que cette frontière qui reste encore incertaine est source de nombreux contentieux.
En général le caractère non lucratif est reconnu lorsque l'entreprise prêteuse ne fait aucun bénéfice et facture uniquement les salaires , charges et frais professionnels des salariés prêtés.
Lorsque l'entreprise prêteuse facture de manière forfaitaire en incluant ses frais de gestion le caractère lucratif de l'opération est reconnu.
Toutefois certains arrêts de la cour de cassation ont considéré que la mise à disposition du personnel à prix coutant est en fait a but lucratif lorsqu'elle est faite par une entreprise dont c'est la seule activité.
D'autres arrêts ont assimilé titre onéreux et titre lucratif.
Bref, le prêt de salariés reste la source de nombreux contentieux à l'issue incertaine et exposant de ce fait les entreprises à des sanctions civiles et pénales.
Que prévoit la proposition de loi ?
- Elle définit légalement ce qu'est une opération à but non lucratif afin de " sécuriser" les opérations de prêt de main d'oeuvre .
L'article L. 8241-2 du code du travail est ainsi modifié :
1° Le second alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il n'y a pas de but lucratif dans une opération de prêt de main-d'oeuvre quand l'entreprise prêteuse n'en tire pas de bénéfice. » ;
Il en résulte que lorsque l'entreprise prête du personnel à titre exclusif et n'en tire pas de bénéfice, l'opération n'a pas de but lucratif et devient de ce fait licite.
Cette précision vise a mettre fin aux flottements de la jurisprudence et notamment de mettre à l'abri d'éventuelles poursuites pour prêt de main-d'œuvre illicite les entreprises qui mettaient à disposition d'une autre entreprise leur personnel en facturant le coût de la main-d'œuvre (rémunération et charges sociales patronales), sans dégager de marge (cass. crim. 16 juin 1998, n° 97-80138, B. crim. n° 195)
Mais qu'est ce qu'un bénéfice ?
Le terme bénéfice reste imprécis et peut soulever des difficultés d'interprétation .
En effet une entreprise qui met à disposition son personnel pour éviter le coût de licenciements ne retire t -elle pas un bénéfice de l'opération même si elle facture à prix coûtant ?
Pour éviter cette nouvelle problématique l'amendement 74 qui visait à définir de manière plus claire "le but non lucratif "a été rejeté. « Le prêt de main d’œuvre à but non lucratif implique que l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice que la stricte valeur des salaires versés au salarié pendant la mise à disposition, des charges sociales afférentes, ainsi que des frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition. ».
- Le prêt de main-d'œuvre doit s'inscrire dans le cadre de modalités précises:
Les entreprises doivent conclure entre elles une convention de mise à disposition et l'entreprise prêteuse un avenant au contrat de travail si un élément essentiel du contrat de travail se trouve modifié .
Dans le cas contraire, la notification écrite au salarié des conditions de mise à disposition sera suffisante.
Sont ajoutés les alinéas ainsi rédigés :« Le prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :
« 1° Une convention de mise à disposition entre l'entreprise prêteuse, l'entreprise emprunteuse et le salarié concerné qui en définit les modalités ;
« 2° Un avenant au contrat de travail du salarié si un élément essentiel du contrat de travail se trouve modifié ou, dans le cas contraire, la notification écrite au salarié des conditions de mise à disposition.
« Un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir refusé une proposition de mise à disposition.
« La mise à disposition ne peut affecter la protection dont jouit un salarié en vertu d'un mandat représentatif.
« Nonobstant les dispositions du présent article, un accord de branche étendu ou un accord interprofessionnel étendu peut définir les conditions et les modalités selon lesquelles est réalisé le prêt de main-d'oeuvre mentionné au présent article. »
L'amendement 76 qui a été rejeté demandait expressément une clarification du contenu de la convention ainsi que la rédaction obligatoire d'un écrit.
Cette amendement prévoyait « La convention de mise à disposition est écrite et contient notamment les dispositions suivantes :
« - la durée prévisible du prêt de main d’œuvre ;
« - l’identité et la qualification du salarié mis à disposition ;
« - le travail confié au salarié par l’entreprise utilisatrice ;
« - la durée et les horaires de travail en vigueur dans l’entreprise utilisatrice ;
« - le ou les lieux d’exécution du travail ;
« - les caractéristiques particulières du poste de travail à pourvoir, et, le cas échéant, l’indication qu’il figure sur la liste des postes présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés prévue à l’article L. 4154-2 du code du travail ;
« - la nature des équipements de protection individuelle que le salarié doit utiliser ;
« - les salaires, charges sociales et frais professionnels, concernant le salarié mis à disposition et qui seront facturés à l’entreprise utilisatrice par l’entreprise prêteuse ;
« - les conditions d'exercice des droits à congé ;
« - le cas échéant, toute disposition relative à l'accès aux formations organisées par l'entreprise utilisatrice. ».
- Le texte prévoit un avenant au contrat de travail du salarié
Cet avenant est requis seulement si un élément essentiel du contrat de travail se trouve modifié , dans le cas contraire, la notification écrite au salarié des conditions de mise à disposition sera suffisante.
- la rémunération contractuelle ;
- la durée du travail, telle que mentionnée sur le contrat de travail
- le lieu de travail (dans la mesure où le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique distinct, sous réserve de la rédaction d'une clause de mobilité..)
- la qualification professionnelle
La notion de secteur géographique n'est pas définie précisément et est appréciée souverainement par les juges du fond lors d'un litige. Le secteur géographique ne correspond pas nécessairement à un découpage administratif par région ou département par exemple. En pratique, pour déterminer l'identité ou non de secteur géographique, les juges se réfèrent notamment aux critères suivants : la distance séparant les deux secteurs géographiques de l'ancien et du nouveau lieu de travail , l'état de développement des transports en commun, l'existence ou non d'un bassin d'emploi homogène, etc.
Il résulte du nouveau texte que selon l'appréciation que fera l'employeur de la nature des modifications apportées au contrat de travail du salarié , il proposera ou ou non un avenant .
En cas de désaccord sur ce point avec le salarié qui accepte néanmoins son transfert tout en considérant qu'il y a un changement essentiel de son contrat que peut -il se passer?
- pourra t- il revenir à tout moment sur son transfert et exiger la réintégration dans son entreprise d'origine ?
- pourra t-il à tout moment prendre acte de la rupture de son contrat de travail et demander des dommages et intérêts ?.
- en revanche lorsqu'aucun élément essentiel n'est touché dès lors que le salarié a accepté le prêt en allant travailler dans l'entreprise utilisatrice par exemple il semble bien que le salarié ne puisse pas revenir sur son accord.
Le renvoi à la notion d'un élément essentiel ou non du contrat de travail qui est une notion jurisprudentielle, définie selon les cas d'espèce complique encore la situation et sera source de nombreux litiges....
Enfin le texte renvoie aux accords de branche le soin de définir les conditions et les modalités selon lesquelles est réalisé le prêt de main-d'oeuvre .
Il en résultera également en fonction des secteurs qui seront ou non couverts par des accords , de grandes disparités concernant les obligations des employeurs et l'étendue des garanties des droits des salariés.
Le législateur transfert la définition des garanties des salariés aux accords conventionnels . C'est encore une fois un "détricotage "du socle commun et général que constitue le code du travail.
- Un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir refusé une proposition de mise à disposition.
Cette disposition constitue t-elle une véritable protection des salariés?
A la lecture du texte voté tout refus de proposition de mise à disposition qu'elle affecte un élément du contrat de travail ou les simples conditions d'emploi, qu'elle nécessite ou non un avenant à contrat de travail ne peut pas être sanctionné.
UN employeur ne pourra pas invoquer dans une lettre de licenciement pour motif disciplinaire ou économique " le refus de la mutation"
Il s'agit là d'une protection bien théorique car dans une entreprise il y a mille moyens de pénaliser un salarié qui va se montrer récalcitrant.
Rien n'empêchera un employeur peut scrupuleux de redéfinir les tâches du salarié de manière à le mettre en difficulté pour ensuite pouvoir le licencier pour incompétence etc...
Sans compter les pressions qui pourront être exercées de diverses manières.
La protection reste donc toute théorique elle va se fracasser à la réalité de l'entreprise .
Ce texte participe comme d'autres récemment votés à un "détricotage" progressif du socle légal du droit du travail, qui devient de plus en plus flou, exsangue et laisse la place libre au champ conventionnel.
Vider le socle du droit du travail est le souhait le plus cher du Medef.
Il laisse le champ libre à la négociation collective principe qui de lui même n'est pas critiquable, sauf que dans notre pays:
- le dialogue social s'effectue toujours sur un terrain conflictuel.
- qu'il y aura des laissés pour compte: tous les salariés qui ne seront pas couverts par des accords conventionnels
- que ce sont les salariés des branches d'activités, des secteurs ou des entreprises fortement structurées de manière syndicale qui seront avantagés par rapport aux autres
On crée un droit du travail en mosaïque , à plusieurs vitesses...
Salariés il faut être flexibles voici ce qui vous attend... exercez vous pendant vos congés !!!