L’indemnisation des concurrents contre les pratiques anticoncurrentielles lors des procédures de passation de la commande publique

Publié le Modifié le 08/04/2023 Vu 1 922 fois 0
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Présentation synthétique et pratique de la possibilité pour un concurrent évincé d'une adjudication d'agir en responsabilité contre ses concurrents soumissionnaires coupables de pratiques anticoncurrentielles

Présentation synthétique et pratique de la possibilité pour un concurrent évincé d'une adjudication d'agi

L’indemnisation des concurrents contre les pratiques anticoncurrentielles lors des procédures de passation de la commande publique

L’indemnisation des concurrents contre les pratiques anticoncurrentielles lors des procédures de passation de la commande publique

 

Pour reprendre les termes d’I. Hasquenoph dans sa thèse : « Les tiers au contrat public sont souvent les premiers affectés par l’atteinte portée au libre jeu de la concurrence lors de sa passation ou de son exécution. Mais leur recours revêt une portée qui dépasse la recherche de leur intérêt propre. D’une part, parce que le libre jeu de la concurrence est une composante de l’intérêt général devant guider l’action de l’administration : en introduisant un recours, les tiers se font gardiens de la légalité. D’autre part, parce que le contrat est la traduction juridique d’un rapport économique : il concrétise la rencontre de l’offre et de la demande et a pour but de garantir un « gain de Pareto » , c’est- à- dire un « résultat gagnant- gagnant » » (Contrats publics et concurrence. Volume 206, Isabelle Hasquenoph , Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses).

 

La sanction des pratiques anticoncurrentielles lors de la passation des contrats de la commande publique ne vise pas uniquement à préserver l’ « ordre public concurrentiel » (CJUE, 22 oct. 2015, aff. C194/14P, Treuhand, pt 36 ;Trib. UE, 8 sept. 2016, Goldfish BV), mais également les personnes publiques, notamment dans un but d’économie des deniers publics. À ce titre, le principe d’égalité est fondamental en la matière, afin de préserver la libre concurrence. Cette idée est reconnue de longue date, le juge administratif a par exemple affirmé dans un arrêt Bourgade (CE 9 juill. 1948, Bourgade, n° 68956, 68957, Rec. p. 314 ; CE 25 juill. 1939, Dame Veuve Gautron, n° 64734, Rec. p. 529) que « les règles de concurrence et l’égalité des soumissionnaires sont de la substance de l’adjudication » . Comme le met en exergue I. Hasquenoph : « le principe d’égalité de traitement a permis au juge de garantir le jeu d’une concurrence loyale lors de la passation du contrat ». C'est ce que rappelle l'Autorté nationale de concurrence française elle-même (Cons. conc., déc. n° 06-D-25, 28 juill. 2006 relative à des pratiques relevées à l'occasion de la restauration du patrimoine campanaire de la cathédrale de Rouen, § 68.). 

 

Au préalable, il faut noter que le marché public sera considéré comme constituant lui-même le marché pertinent en matière d’ententes (Paris, 12 déc. 2000 ; Cons. conc., Décis. du 27 mars 2008), tandis qu’en matière d’abus de position dominante il s’agira de prendre en compte les marchés sur lesquels sont actifs les opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offre (Cons. conc. n° 01- D- 67 du 19 oct. 2001, préc. ; Cons. conc. n° 07- D- 15 du 9 mai 2007, préc. ; Cons. conc. n° 01- D- 08 du 4 avr. 2001, préc. ; Aut. conc. n° 09- D- 18 du 2 juin 2009, préc. ; Cons. conc. n° 01- D- 66 du 10 oct. 2001, préc). 

 

Parmi les pratiques anticoncurrentielles que l’on retrouve en matière de passation de contrats de la commande publique se trouvent :

 

  • Les ententes entre soumissionnaires (au sens de l’article 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce) : ce sont des pratiques anticoncurrentielles par objet, en d’autres termes elles revêtent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en évaluer les effets (Cons. conc., 18 janv. 2001, Pratiques relevées dans les marchés des travaux de revêtement de sols et de peinture dans le Finistère). À titre d’exemples des pratiques prohibées on peut citer : 
      • La pratiques d’offres de couverture (Cons. conc. n° 06- D- 08 du 24 mars 2006, préc. ; Cons. conc. n° 05- D- 19 du 12 mai 2005). 

      • La pratique du boycott (Cons. conc. n° 07- D- 49 du 19 déc. 2007)

      • L’entente de répartition des marchés (Aut. conc. n° 16- D- 27 du 2 déc. 2016)

      • Les échanges d’informations susceptibles d’affecter la concurrence (Cons. conc. n° 06- D- 08 du 24 mars 2006)

  • Les échanges d’informations entre potentiels ou anciens membres d’un groupement d’entreprise candidat (entente au sens de l’article 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce) :  avant la constitution d’un groupement d’entreprises (Cons. conc. n° 06- D- 25 du 28 juill. 2006), ou après s’il y a eu abandon d’une candidature commune (Cons. conc. n° 06- D- 25 du 28 juill. 2006).
  • Les abus de position dominante (au sens de l’article 102 TFUE ou L. 420-2 du code de commerce), qui peuvent prendre la forme de pratiques tarifaires (Cons. conc. n° 07- D- 13 du 6 avr. 2007) ou non (Aut. conc. n° 15- D- 01 du 15 févr. 2015), et peut être mobilisé dans le cadre de la théorie des infrastructures essentielles (Cons. conc. avis n° 02- A- 08 du 22 mai 2002, relatif à la saisine de l’association pour la promotion de la distribution de la presse.).

Si une entreprise se livre à une de ces pratiques, elle pourra voir sa responsabilité engagée ainsi que le rappelle l’article L. 481-1 du code de commerce : « Toute personne physique ou morale formant une entreprise ou un organisme mentionné à l'article L. 464-2 est responsable du dommage qu'elle a causé du fait de la commission d'une pratique anticoncurrentielle définie aux articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1, L. 420-2-2 et L. 420-5 ainsi qu'aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ». Le candidat évincé, en d’autres termes « tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure le contrat, alors même qu'il n'aurait pas présenté sa candidature, qu'il n'aurait pas été admis à présenter une offre ou qu'il aurait présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable » (CE, 11 avril 2012, n° 355446, avis, Société Gouelle), trouvera là un moyen d’obtenir réparation de son préjudice. 

 

I-Le délai pour agir 

 

L'action en réparation obéit aux principes de droit commun de la responsabilité, retoqués par plusieurs dispositions spéciales issues de la directive de 2014. Le dommage consécutif à la faute doit être réparé, à condition que l'action ne soit pas prescrite. Il est nécessaire de faire application de l'article L. 482-1 du Code de commerce, combiné au droit commun de la prescription.

 

1.)Le point de départ de la prescription

 

Le point de départ est déterminé selon l'article 2224 du Code civil : « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». 

 

Lorsqu’il s’agit d’une action consécutive à une décision rendue par une instance publique ou une juridiction, ce délai commence à courir à compter de la date où l'autorité rend sa décision (Paris, 14 avr. 2021 ; V. égal. Com., 27 janv. 2021 ou encore Com. 31 mars 2021). 

 

S’il s’agit d'une action dite « stand alone », il faut faire application de l’article L. 482-1 du code de commerce : 

« Ce délai commence à courir du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative :

 

1° Les actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'article L. 481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ;

 

2° Le fait que cette pratique lui cause un dommage ;

 

3° L'identité de l'un des auteurs de cette pratique.

 

Toutefois, la prescription ne court pas tant que la pratique anticoncurrentielle n'a pas cessé.

 

Elle ne court pas à l'égard des victimes du bénéficiaire d'une exonération totale de sanction pécuniaire en application d'une procédure de clémence tant qu'elles n'ont pas été en mesure d'agir à l'encontre des auteurs de la pratique anticoncurrentielle autres que ce bénéficiaire ».

 

2.)Le délai de prescription 

 

Le délai de prescription est prévu à l’article L. 482-1 du code de commerce : « l'action en dommages et intérêts fondée sur l'article L. 481-1 se prescrit à l'expiration d'un délai de cinq ans ». 

 

II-Les conditions pour engager la responsabilité du ou des concurrents coupables de pratiques anticoncurrentielles 

 

Comme le rappelle l’article 1240 du code civil pour engager la responsabilité d’une personne il faut : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. 

 

A-La faute 

 

La faute sera caractérisée par une violation des règles anticoncurentielles ainsi que le rappelle l’article L. 481-1 du code de commerce. Néanmoins, la preuve sera facilitée si une décision dans le public enforcement est déjà intervenue. 

 

1.)Action consécutive 

 

L’article 16 du règlement (CE) n° 1/2003 impose aux juridictions nationales de ne pas prendre de décisions contraires à celles de la Commission (ce que l’on retrouve à l’article L. 481-2 du code de commerce). Il en résulte que les juridictions nationales sont tenues de considérer une violation établie par la Commission comme une faute établie. En revanche, le règlement (CE) n° 1 /2003 est silencieux sur les décisions émanant des ANC. 

 

La directive rappelle que toute infraction constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence soit considérée comme établie de manière irréfragable devant les juridictions nationales de l’État correspondant et au moins comme une preuve prima facie devant les juridictions des autres États membres. L’article L. 481-2 introduit une présomption irréfragable attachée à l’existence et à l’imputation à une personne qui a été constatée en France dans une décision définitive. En revanche, la décision d’une autorité d’un autre État membre constitue un simple moyen de preuve. 

 

Aucune disposition particulière n’encadre l’action consécutive dans le cas d’engagements, ni le dans règlement (CE) n° 1/2003 , ni dans la directive de 2014. Néanmoins, une jurisprudence de la Cour de justice souligne qu’une acceptation d’engagement a le caractère d’une décision et invoque le principe de coopération loyale qui incombe aux juridictions nationales. Les juridictions nationales devraient tenir compte de l’évaluation préliminaire comme « un indice » ou possiblement « un commencement de preuve » (CJUE, 23 nov. 2017, aff. C-547/16, Gasorba c/ REPSOL). Cette interprétation a été rapidement suivie (TGI Paris, 22 févr. 2018, n° 15/09129, BETCLIC c/ PMU)

 

2.)Action autonome 

 

Dans le cas d’une action autonome, c’est-à-dire sans qu’il y ait eu au préalable une action de public enforcement, le droit commun probatoire s’applique, et la charge pèse sur la victime pourdémontrer la faute. Néanmoins, comme le met en avant le Professeur Frison-Roche : « même lorsqu'ils appliquent le droit commun « pur », les juges n'ignorent pas l'existence des dispositions spéciales destinées à aider les victimes » (v. Paris, 24 nov. 2021).

 

3.)L’imputabilité de la faute 

 

Lorsque les actions des sociétés ayant participé à une entente ont été acquises par d’autres sociétés, lesquelles ont dissous les premières et ont poursuivi leurs activités commerciales, les sociétés acquéreuses peuvent être tenues responsable du préjudice résultant de l’entente en vertu du principe de continuité économique mis en œuvre pour les amendes, comme pour la désignation du débiteur de la réparation (CJUE, 14 mars 2019, Skanska). La victime peut introduire une action indifféremment contre une société mère sanctionnée par la Commission ou contre sa filiale, alors même qu’elle n’est pas visée dans la décision, à la condition qu’elles constituent ensemble une unité économique (CJUE, 6 oct. 2021, aff. C-882/19, Sumal). Il incombe à la victime de démontrer la réalité de l’unité économique. 

 

B-Le préjudice 

 

Les préjudices réparables sont encadrés par le code de commerce, l'article L. 481-3 disposant que : « le préjudice subi par Le demandeur du fait de la pratique anticoncurrentielle mentionnée à l'article L. 481-1 comprend notamment : 

1° La perte faite, résultant : 

a.)Du surcoût correspondant à La différence entre le prix du bien ou du service qu'il a effectivement payé et celui qui l'aurait été en l'absence de commission de l'infraction, sous réserve de la répercussion totale ou partielle de ce surcoût qu'il a éventuellement opérée sur son contractant direct ultérieur ; 

 

b.)De La minoration résultant d'un prix plus bas que lui a payé l'auteur de l’infraction;

 

2° Le gain manqué résultant notamment de la diminution du volume des ventes liée à la répercussion partielle ou totale du surcoût qu'il a été amené à opérer sur ses contractants directs ou de la prolongation certaine et directe des effets de la minoration des prix qu'il a dû pratiquer ; 

 

3° La perte de chance ; 

 

4° Le préjudice moral ». 

 

La perte de chance demeure un préjudice difficile à prouver. En effet, à la suite de la condamnation du partenariat entre la SNCF et Expedia au titre d’une entente, le liquidateur d’une agence de voyages n’a pas pu convaincre de son droit à réparation pour perte d’une chance (Cass. com., 29 janv. 2020, n°A 17-15.156, SNCF)

 

Néanmoins, il existe une présomption de préjudice en matière de cartels, l’article L. 481-7 du code de commerce disposant qu’ « il est présumé jusqu'à preuve contraire qu'une entente entre concurrents cause un préjudice ». La présomption prévue facilitera le travail de la victime, mais dans lez faits, il faudra malgré tout apporter des éléments suffisamment explicites au juge. La Cour de cassation l'a clairement rappelé, dans une affaire d'entente concernant le secteur de la signalisation routière (Com 27 janvier 2021). 

 

Pour le reste, la victime supporte la charge de démontrer l'ampleur de son dommage.

 

C-Le lien de causalité 

 

Le régime de la charge de la preuve est fixé par l’article L. 485-5. L’acheteur direct ou indirect qui prétend avoir subi un surcoût doit en prouver l’existence et l’ampleur. Cependant, l’acheteur indirect bénéficie d’une présomption subordonnée à trois conditions : le défendeur a commis une pratique anticoncurrentielle ; cette pratique a entraîné un surcoût pour l’acheteur direct ; il a acheté des biens ou utilisé des services concernés par la pratique anticoncurrentielle ou dérivés de ces derniers. Il s’agit d’une présomption simple dont le défendeur peut rapporter la preuve contraire. 

 

En matière de concurrent évincé, il s’agira d’une victime directe, néanmoins il peut être intéressant de se demander quel dispositif devra s’appliquer dans le cas où une entreprise soumissionnaire concurrente a fini par remporter l’adjudication, mais en baissant ses prix de façon incidente, en raison d’une entente entre ses concurrents soumissionnaires. 

 

Sources : 

-Contrats publics et concurrence. Volume 206, Isabelle Hasquenoph , Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses

-Droit de la concurrence, Précis Dalloz, Frison-Roche 

-Fascicule Lexis Nexis, Droit de la concurrence, Synthèse - Mise en œuvre des articles 101 et 102 TFUE, C. Prieto 

 

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Blog de Droit public des affaires by Florent Cedziollo

Élève-avocat et passioné par le Droit public des affaires, je vous propose de retrouver mes articles et veilles juridiques à travers ce site internet.

D'une grande curiosité, j'aime également étudier et écrire sur des sujets relatifs au droit de la concurrence ou au droit international des affaires, voire même à l'économie.

Du fait de ma formation universitaire, étant notamment Normalien en Droit-Économie-Management, j'aime allier pratique et théorie.

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