Sans préjuger de la culpabilité ou de l’innocence des personnes concernées, ces affaires ultra sensibles sont l’occasion pour Droitissimo.com de s’interroger sur la façon dont peuvent être jugés pénalement les ministres en France.
Une immunité judiciaire doublement limitée pour les ministres
« Responsables, mais pas coupables », se plaisaient à répéter nos chers ministres d’autrefois, et ce jusqu’à l’éclatement du scandale du sang contaminé.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, contrairement au Président de la République, les ministres ne bénéficient plus que d’une immunité judiciaire doublement limitée :
D’une part, elle concerne uniquement les contraventions, c’est-à -dire les infractions les moins graves, celles punies d'une simple amende ou de peines complémentaires, telles qu’un PV de stationnement ou la suspension du permis de conduire.
D’autre part, elle ne s’applique qu’aux actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, c’est-à -dire ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat et qui résultent de leurs attributions ministérielles, excluant ainsi ceux relevant de leur vie privée ou de leurs mandats électifs locaux (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juin 1995, pourvoi n° 95-82333).
La compétence exclusive de la Cour de justice de la République
Si les actes commis par les ministres sont des crimes (peines de prison de plus de 10 ans) ou des délits (peines de prison de 10 ans au plus), ils sont, en vertu de l’article 68-1 de la Constitution, de la compétence exclusive de la Cour de justice de la République (CJR).
La Cour de justice de la République est un tribunal spécial, composé de 3 magistrats professionnels de la Cour de cassation, 6 députés et 6 sénateurs. Il est obligatoirement présidé par un magistrat professionnel de la Cour de cassation.
Toute personne qui s’estime victime d’un crime ou d’un délit commis par un ministre dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès de la commission des requêtes de la CJR. Celle-ci peut aussi être saisie directement par le procureur général près la cour de cassation en vertu de l’article 68-2 de la Constitution.
L’étude de quelques cas pratiques
Dans l’affaire LAGARDE, la situation est relativement simple. Si Madame LAGARDE a commis un délit, elle l’a fait en tant que ministre de l’économie et autorité de tutelle de l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), organisme qui est lui-même autorité de tutelle du Consortium de Réalisation (des passifs et des actifs pourris du feu Crédit Lyonnais), l’une des parties prenantes à l’arbitrage controversé.
C’est donc la Cour de justice de la République qui serait compétente, le cas échéant, pour juger la ministre.
De même, Ségolène ROYAL a été renvoyée devant la Cour de justice de la République, alors qu'elle était ministre déléguée auprès du ministre de l'Education nationale, chargée de l'enseignement scolaire, pour diffamation publique envers deux professeurs de lycée.
La ministre avait mis en cause ces fonctionnaires suite à un bizutage intervenu dans leur établissement.
La Cour de cassation a considéré qu’elle agissait dans l'exercice de ses fonctions de ministre et qu’elle ne pouvait donc être jugée que par la Cour de justice de la République (Cour de cassation, chambre criminelle, 23 décembre 1999, pourvoi n° 99-86298).
Dans le cas de l’affaire Georges TRON qui fait actuellement la Une de tous les médias français, celui-ci a fait l’objet de deux plaintes pour des infractions sexuelles qu’il aurait commises sur d’anciennes employées municipales de la ville de Draveil dont il est maire. L’une des deux plaintes concerne d’ailleurs des faits antérieurs à sa nomination comme secrétaire d’État à la Fonction publique.
Il est alors évident que la Cour de justice de la République ne puisse pas juger de ces plaintes qui relèvent de la compétence de la justice pénale de droit commun.
Mais il arrive parfois que la distinction ne soit pas toujours aussi claire et nette.
Ainsi, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la compétence de la Cour de justice de la République dans l’affaire Roland DUMAS. Il était reproché à celui-ci d’avoir provoqué, alors qu’il était ministre des affaires étrangères, l’embauche de Christine DEVIERS-JONCOUR, alors sa maitresse, par la société ELF AQUITAINE.
On aurait pu penser que cette embauche n’avait été faite que grâce aux fonctions ministérielles de Roland DUMAS et que la Cour de justice de la République était compétente.
La Cour de cassation en a décidé autrement en considérant que la Cour de justice de la République était incompétente pour juger de ces faits. Elle a en effet estimé que les actes de Roland DUMAS, qui n'avait pas dans ses attributions la tutelle de la société incriminée, «n'ont aucun lien direct avec la détermination et la conduite de la politique de la Nation et les affaires de l'Etat, même si la commission de ces faits est concomitante à l'exercice d'une activité ministérielle» (Cour de cassation, chambre criminelle, 16 février 2000, N° de pourvoi: 99-86307).
L’utilité de la Cour de justice de la République en question
L’institution de la Cour de justice de la République est justifiée par le besoin de protéger les membres du gouvernement contre un éventuel harcèlement judiciaire qui pourrait nuire aux actions du gouvernement.
Cependant, dans des pays comme le Royaume-Uni, les membres du gouvernement sont jugés devant les juridictions pénales ordinaires, sans bénéficier d’un traitement de faveur. Cela n’empêche pourtant pas les gouvernements de gouverner.
Par ailleurs, de nombreux juriste critiquent la lourdeur d’une telle procédure. De fait, depuis sa création, elle a peu siégé.
On peut aussi s’interroger sur le mode de nomination des magistrats siégeant à la Cour de justice de la République : la majorité des magistrats (12 sur 15) sont des parlementaires (députés et sénateurs).
Ce choix revient, dans les faits, à faire juger les ministres par leurs paires, car personne n’ignore la porosité entre les membres du parlement et ceux du gouvernement.
Il me semble quelque peu utopiste de croire à l’idée suivant laquelle un député ou un sénateur qui, après avoir prêté serment, oublie tout d’un coup toute allégeance politique ou tout esprit corporatiste, car, même en toute bonne foi, il est toujours difficile de juger en toute impartialité ses paires et ses proches.
C’est pourquoi la Cour de justice de la République gagnerait en crédibilité et en efficacité en remettant les magistrats professionnels au cœur du système.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur http://www.droitissimo.com